Les Manuscrits de l'Apocalypse (saison 2)

Chapitre 5 : Laissez-moi du temps

Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/11/2016 04:13

Episode 27.1 : Une autre chance
 
La nuit était tombée. L’air chargé circulait dans la chambre d’hôpital. Mathieu s’était assoupi sur une chaise, Kero, inquiet, entre ses bras, et Thomas veillait, ses mains recouvrant celles de sa sœur. Sakura, yeux clos depuis la fin de l’après-midi, ne bougeait pas. Elle eut pourtant un bref sursaut et Thomas releva le menton.
- Sakura ? Tu m’entends ?
- Hmm, murmura-t-elle, assommée par la fatigue et la douleur qui lui paralysait partiellement la jambe.
- Mathieu, elle revient à elle !!
Le jeune homme se réveilla, ne dormant que d’un œil, et approcha en passant une main sur ses yeux. Kero quitta ses bras et se posa à côté de la fillette. Il approcha une patte de la joue de sa maîtresse et se tourna vers Thomas. Ce dernier acquiesça et Sakura finit par ouvrir un œil, puis l’autre...
- Tho...
- Non, ne bouge pas, Sakura. On va appeler une infirmière, assura-t-il tandis que Mathieu gagnait le couloir.
- Tho... mas... Là... fit-elle de sa petite voix encore fragile.
Elle tenta de lever un bras vers la fenêtre mais il retint sa main et la posa sur le drap :
- Ne bouge pas. Reste tranquille. Tu étais dans un coma léger.
Elle secoua la tête un peu plus sèchement et le dévisagea.
- Lai...sse-moi... S’il... te...
Elle posa une main faible sur son drap et le retira d’un coup.
- Ce n’est pas sérieux, chasseuse, la sermonna Kero en tentant de la retenir allongé.
Thomas fronçait les sourcils en reculant.
- Aide-moi, grand dadais ! Elle n’est pas en état !! Je ne vais quand même pas me transformer ici !!
Sakura réussit à s’asseoir sur ses draps et posa les pieds par terre. La fraîcheur du sol ne la fit même pas frissonner.
- Je dois... le voir. Je sais qu’il... est là...
Thomas lui proposa son bras et elle s’y appuya sans le regarder. A la fenêtre, on s’agitait. Les deux silhouettes qui observaient la scène disparurent et Sakura tituba mollement jusqu’au rebord en bois.
- Mais... que faites-vous ? demanda l’infirmière en entrant.
- Laissez-la, s’écria Thomas. Elle sait ce qu’elle fait. Laissez-nous !!
- Mais monsieur...
Il ouvrit d’une main la fenêtre et Sakura jeta un regard hagard sur l’arbre faiblement éclairé par la lune.
- Toi... murmura-t-elle. Je t’en supplie...
- Monsieur, insista l’infirmière... Ce n’est pas...
Il la fusilla du regard et elle se tut.
- Force... murmura Sakura. Force !! cria-t-elle soudain, vidant d’un coup ses poumons. Aide-moi...
- Une force... ? lui chuchota son frère.
Elle attrapa sa clef et la posa sur le rebord.
- Je t’implore...
La silhouette la dévisageait sans bouger.
- Je t’implore... Aide-moi... Une seule fois. Une...
L’homme recouvert de sa toile sombre releva la tête et ses yeux lumineux la fixèrent intensément...
- Aide-moi... Ne laisse pas tout ça ainsi...
Il se résolut finalement à céder à son appel et se désintégra sous leurs yeux pour regagner une carte qui se créait sous la main de Sakura. Kero s’était glissé jusqu’à elle et il se cacha des yeux de la jeune infirmière qui s’inquiétait.
- Tu as capturé une carte ?!!
Le sceau se mit à luire sous ses pieds et la chambre s’illumina. L’infirmière prit peur et sortit. Sakura leva sa clef qui se transforma devant eux. Son bras, sans force, retomba contre sa jambe et elle s’adossa au mur. Elle leva péniblement la nouvelle carte devant elle.
- Sakura, c’est une mauvaise idée !! lui cria Kero. Dans ton état...
- Time, murmura-t-elle. Par mon pouvoir, je te l’ordonne...
- Sakura, Time ne peut pas te ramener en arrière. Tu ne peux rien empêcher. C’était le destin de Linda. Arrête...
- Je ne veux pas revenir en arrière, se mit-elle à pleurer en revoyant le corps de la jeune femme se relâcher dans un dernier souffle. Je veux que le monde entier y retourne... Je veux que TOUT revienne en arrière.
- Mais tu n’en as pas la force... Il faut une puissance magique considérable pour...
- Time !!! Exauce mon vœu le plus cher !!! hurla Sakura en abattant son sceptre sur sa carte. Et donne-moi le temps... Le temps... de la sauver.
Une lueur jaunâtre s’échappa subitement de la carte et tous furent figés.
- Non, Time. Tu peux faire plus que les figer... Ramène-nous ce matin... Juste une fois. Prend toute ma force. Mais fais-le...
La chambre commença à onduler et les mains de Sakura se mirent à trembler. Il fallait tenir. Il le fallait.
Devant ses yeux, il n’y avait plus rien. Une gigantesque spirale s’enroulait autour de la carte et le temps s’écoulait en silence autour d’elle, dans le sens inverse. Les sentiments de la journée la frôlèrent, les émotions d’un jour de ce monde l’effleurèrent. Les pensées, les mouvements, le vent, la mer, la chaleur et le froid, tout disparaissait. Des gens revenaient à la vie, des animaux, des plantes ; les aiguilles du temps s’inversaient... Mais dans cet état, qu’y pourrait-elle ?
La course des nuages reprit doucement sa route. Le ciel luisait au-dessus d’elle et elle se sentait bien. « Mais oui ! » En revenant en arrière, ses propres blessures avaient disparu. Elle fit un pas en avant et les bruits multiples de la ville lui parvinrent de nouveau. Un klaxon la sortit de sa torpeur. Des pneus qui crissent, une voiture qui chasse sur le côté...
« Le muuuuuur !!! »
Crash inévitable... Sakura revécut ainsi la première scène de cette folle journée... L’accident terrible qu’elle avait causé en traversant la route... 
« Papa... accourut-elle. Papaaa... »
 
Le médecin referma la porte derrière lui et ôta ses lunettes dont il se mit à manipuler une branche nerveusement. Thomas s’avança vers lui et l’homme inspira profondément.
- Les premiers examens sont, je ne vous le cache pas, particulièrement préoccupants. Votre père a été violemment frappé derrière la boîte crânienne. Un peu plus bas et il mourait sur le coup. Je pense que sa vie n’est heureusement pas en danger. Mais pour son amie... La situation est différente.
- Qu’a-t-elle ?
- Elle a été frappé sur le côté de la tête et je crains que les dégâts causés par cet accident soient irréparables. Mais tant qu’elle ne sera pas réveillée, je ne pourrai être catégorique. Elle lutte actuellement et elle a besoin de repos. Dès que j’ai des nouvelles je vous appelle. Mais je vous conseille de rentrer chez vous pour le moment.
- Merci, docteur. Je crois que ma sœur va vouloir rester encore un peu avec notre père.
- Bien.
Il les quitta et Thomas soupira. Mathieu arrivait.
 
Sakura posa la main sur celle de son père et il tourna la tête vers elle.
- Bonjour, lui fit-elle, au bord des larmes. Papa, l’accident... C’est...
Ses yeux se tournèrent vers la fenêtre et il sourit :
- Ce n’est rien, petite fille. Dis-moi, sais-tu où se trouve ma femme ?
Sakura sentit un pincement dans son cœur.
- Papa... murmura-t-elle en chassant ses larmes du revers de sa manche. Maman est...
- Où est Linda ? Ma chère Linda... Comment va-t-elle ?
- Que dis-tu... Elle est à côté, je crois...
- Tu es très jolie, tu sais, lui souffla-t-il dans un sourire lumineux. Tu me fais penser à une femme que j’ai bien connue. C’était il y a si longtemps... 
- Papa, lui murmura-t-elle en le prenant par les joues pour qu’il la regardât. C’est moi, Sakura. S’il te plaît, ne perds pas encore la mémoire... Je t’en prie. Pas cette fois. Je n’ai plus la carte du temps, puisque je ne l’ai pas encore attrapée, alors ressaisis-toi.
Il la dévisageait, le regard ailleurs.
- Papa !!
- Moi, je peux t’aider...
Le souffle de son apparition avait fait sursauter Sakura qui se trouva nez à nez avec Bianka.
- Comment ?
- Par une force qui m’est affiliée. Ce ne sera pas définitif. Ensuite, tu devras tout lui expliquer. Qui il est réellement. La vérité seule le maintiendra dans le présent. Tu comprends ? Tu devras tout lui dire.
- Mais... C’était tellement mieux quand il ne se souvenait de rien... Brice avait eu raison d’effacer toute trace de son passage et même un peu plus. Papa ne s’inquiétait pas, il était de nouveau calme, comme avant.
- Tu ne peux choisir quel est le mieux pour lui...
- Mais je le sens.
 Il s’accroupit près d’elle et, un genou au sol, posa une main sur sa joue :
- Sakura, réfléchit. Depuis toujours ton père comprenait les gens, d’un regard il les cernait. Une rencontre lui suffisait. Sa part de Clow vivait en lui. Mais ce n’était pas réellement une part de Clow, c’était ton père avant tout. C’était devenu son pouvoir, son propre don. Tu l’admirais pour ce don, aussi. Ton père a toujours su que tu étais la chasseuse, Sakura. Ton père a toujours su que c’est toi, dit-il en pointant un doigt vers elle, qui deviendrait l’élue de Clow. Ce livre dans Sa bibliothèque. La carte de l’Arbre, sagement restée chez toi alors que la plupart ont fui très loin... C’est la vie de ton père.
- Oui... tu dois avoir raison. Thomas doutait aussi de Kero depuis longtemps...
- Tu comprends ? La vérité guidera l’esprit de ton père. Tu dois tout lui dire.
L’homme avait laissé son regard se perdre par la fenêtre et Sakura le regarda sourire.
- D’accord. C’est d’accord.
- Bien... Que mon pouvoir de Mémoire trace le chemin de la vérité dans vos esprits...
Une faible lueur apparut sur le front de Dominique.
« Toute la vérité » articula Bianka en s’évaporant.
 
 
 
 
Episode 27.2 : A l’hôpital.
 
- Quelle histoire, souffla Samantha en se laissant tomber dans la banquette de la cafétéria de l’hôpital. Et tu ne peux pas revenir encore en arrière pour ne pas causer cet accident ?
- Je n’ai plus Time.
- Et quand tu l’auras attrapée ?
- Non, avança sagement Gothar. Le destin est construit par nos actes et cet accident est inéluctable. Sakura ne pourra changer que ce qui est modifiable.
- Exact, souffla Anthony en reposant sa tasse. Mais ne t’inquiète pas, Sakura. Si dans l’état où tu étais, tu as su maîtriser Time, c’est que le Destin a accepté ce retour. Time est une carte difficile à utiliser. Tout d’abord parce qu’elle nécessite une grande puissance. Arrêter le temps, c’est stopper tous les phénomènes non seulement terrestres mais universels ! Inverser sa course n’est possible que si cet acte est accepté par le Destin.
- Qui est le destin ? Tu en parles comme d’une personne...
- C’est une force, avoua-t-il sans laisser d’émotions filtrer dans sa voix et dans son regard. Mais celle-ci ne t’attaquera pas, ne t’inquiète pas. C’est une force unique. Comme beaucoup d’autres. Et aucun magicien ne la contrôlera jamais.
- Le Fléau, Anthony... réfléchit Sakura. C’est une force aussi, alors ?
- Oui. Mais ce sont des forces bien particulières car elles ne sont affiliées à aucun élément. C’est un peu compliqué. L’ordre de l’Univers est une chose complexe. Clow a passé sa vie à tenter de rassembler les deux magies nécessaires pour diriger une parcelle de l’univers. Mais je me souviens d’une chose : s’il existe sur la terre autant de croyances, c’est pour éloigner les hommes du savoir éternel.
- Un peu comme en science, ajouta Gothar. Il existe une foule de théories que les savants ne parviennent pas à lier. Tout ceci est lié. L’Univers s’est créé ainsi : en divisant les croyances et le savoir.
- Tes cartes sont les cartes du sceau originel, continua Anthony. Avant toute vie, avant l’homme, avant l’univers, il y avait l’énergie éternelle. Clow a cherché à la comprendre. Et ce qu’il a découvert, précisa Anthony en se levant et en attrapant sa veste, c’est... son destin. En voulant comprendre l’univers, il a compris la raison de son existence.
- Je ne te suis pas...
- Bon, bon, bon... les interrompit Samantha. C’est pas que je m’ennuie, mais j’aimerais aller me promener un peu.
- C’est surtout que tu n’y comprends rien, se moqua Gothar. Si tu lisais un peu plus...
- Ca va, le rat de bibliothèque. Ah, je t’envie, Sakura, lança le gardien aux cheveux longs. Je préfèrerais avoir un estomac à la maison qu’un intello !
- Allons-y, tous les deux, sourit Anthony. Katya nous attend. Sakura ? N’aie pas peur pour ton père. Tout ira bien.
- Ce n’est pas pour lui que j’ai peur...
Il approcha et déposa une bise sur sa joue.
- Je suis de tout cœur avec toi.
 
Kero sentit son ancien maître quitter l’hôpital et il ne réfléchit pas plus longtemps. L’occasion de lui parler était arrivée. Il fila et les rattrapa rapidement. Il les arrêta sur le trottoir qui faisait face au complexe hospitalier.
- Attends, Anthony, lança-t-il une main levée vers le jeune homme. J’ai des questions à te poser, ne te défile pas...
- Je t’écoute, gardien.
Samantha soupira et croisa les bras en tapotant le bitume du pied.
- Pas longtemps, alors, ronchonna-t-elle.
- Tu m’as enfermé dans le livre de Clow.
- C’est Clow qui l’a fait, Kerobero, précisa Anthony.
- Clow ou toi, c’est pareil, s’énerva la peluche en virevoltant devant lui. Pourquoi a-t-on perdu la mémoire ?! Tu nous a ôté nos souvenirs. Pourquoi ça ?
- Ce n’est pas moi qui l’ai fait, sourit Anthony.
- Je sais, c’est Clow Read !! s’énerva encore Kero. Ne tourne pas autour du pot, Anthony !
- Ce n’est pas Clow Read qui t’a ôté ta mémoire.
La peluche se figea.
- Qui... qui alors ? demanda-t-il, le souffle coupé. Je croyais...
- Ce n’est pas moi, voilà tout. Ce n’est pas Clow. D’ailleurs gardien-guide, lança Anthony en s’éloignant suivi par Samantha qui lui adressa un signe de la main, sens-tu encore une once de son pouvoir en moi ?
- Que... quoi... ?
- Clow est mort, Kerobero, se tourna-t-il. Définitivement.
La peluche se posa sur la barrière de sécurité qui bordait la voie que le jeune homme traversait.
Aucune magie n’émanait de son corps. Le fauve ne l’avait même pas remarqué, trop habitué à croire que Clow vivait encore en Anthony. Mais ce n’était plus le cas. Il était... redevenu normal.
 
Sakura tira une chaise et s’assit à côté du lit de Linda.
- Je me sens responsable. Entièrement coupable, Linda. Me pardonneras-tu... ?
Le corps inanimé de la femme aux cheveux longs demeura entièrement silencieux, mu simplement par la respiration lente qui la maintenait en vie. Sakura approcha encore et posa une main sur le bras de la jeune française. Le souvenir d’Agathe, sa mère, la traversa et elle sentit son cœur se resserrer. Elle était coupable.
 
Thomas referma la porte doucement et Mathieu posa un regard triste sur lui.
- Tu ne veux pas la soutenir ? Elle a besoin de toi, c’est une épreuve difficile, pour elle. Elle est jeune.
- Je le sais, avoua Thomas. Mais je ne me sens pas à l’aise en présence de Linda. Alors j’attendrai que ma sœur sorte.
- Mais ta présence, c’est maintenant que...
- Je ne peux pas. Je ne veux pas être dans la même pièce qu’elle. C’est comme ça.
Mathieu secoua la tête et s’assit sur un des fauteuils du couloir.
- Elle ne remplacera pas ta mère, si c’est ce qui te préoccupe.
Thomas le fixa, interloqué.
- Qu’as-tu dis ?
- Tu ne l’aimes pas trop, je crois. Je l’ai ressenti à tes gestes, à tes manières. C’est un peu... C’est un peu comme Yue.
- Attends, que dis-tu ? lui demanda Thomas en le rejoignant sur la banquette.
- Elle fait partie de la vie de ton père, elle vit avec lui. Ils mangent ensemble, ils voyagent ensemble, ils réfléchissent ensemble. Si quelque chose est né entre eux...
- Non, je ne pense pas.
- Mais tu le crains, je me trompe ? Thomas, ton père sait ce qu’il fait...
- Bien sûr. Et je sais qu’il aime profondément ma mère.
- Mais l’épaule d’une femme est plus concret que le souvenir d’une disparue.
- Comment peux-tu dire ça de ma mère ?
- Sois objectif. C’est peut-être dur pour lui de se l’avouer.
Thomas chassa ses idées et s’avança, croisant ses doigts, les coudes sur ses genoux.
- C’est comme Yue, continua Mathieu. Tu ne l’aimes pas.
- Je ne l’aimais pas parce qu’il n’avait aucune considération pour toi. Tu passais au second rang.
- Oui, c’est exactement ça, tu ne l’aimais pas parce qu’il s’appropriait une personne que tu aimais suffisamment pour croire qu’elle t’appartenait.
- Mathieu...
- Comme ton père.
Thomas se tut et baissa la tête.
- Tu crois que papa et Linda...
- Non, je ne sais pas. Mais si ce sentiment l’étreint, il faudra que tu l’acceptes. Comme tu as accepté Yue.
Thomas se tourna vers lui :
- Qui te dis que je l’ai accepté ? Si je dois m’accoutumer à sa présence pour passer des moments avec toi, alors ce n’est pas un prix trop élevé. Ne pas te voir, ne plus te voir, ça serait trop cher à mes yeux.
Mathieu posa une main sur son épaule et Thomas y posa la sienne.
 
Katya déposa la bougie sur l’autel et recula.
Ce temple abritait toute son enfance. Et bientôt, il serait détruit. Bientôt, il serait le lieu du combat. Elle repositionna ses lunettes de soleil et leva les yeux au ciel. Voilà pourquoi Clow avait tant tenu à ce que sa famille s’installât ici. Pour qu’elle y naquît et y vécût, en protégeant illusoirement la cloche lunaire. En fait, c’était pour protéger ce sanctuaire du temps qui filait. Il voulait garder ce lieu intact. Il voulait que tout soit comme il l’avait prévu pour aider Sakura.
Elle posa une main sur l’écorce de l’arbre sacré. D’amples ondes bénéfiques en émanaient lentement et elle s’en imprégna. Toute son enfance. Son adolescence. Sa première rencontre avec le fils de Dominique. Cette aura qu’il dégageait. Il était bien normal de tomber amoureuse de celui qui dégageait cette aura qu’elle avait toujours cherchée. Toute son enfance était là.
Elle passa sa main dans ses cheveux et inspira profondément.
- Katya.
Elle sourit en entendant la voix de l’être magique.
- Bianka. Que veux-tu ?
- Je ne sais pas vraiment ce qu’Anthony a décidé pour Sakura.
- Il ne lui dira que le nécessaire. Mais je ne comprends pas pourquoi tu lui demandes son avis.
- Dans mon cœur, c’est encore mon maître. Je suis comme Kero, je suis sentimental. Et je me rattache à mes souvenirs.
- Mais pourquoi ne pas chercher la présence de Clow chez Dominique ?
- Parce que monsieur Gauthier n’a pas les souvenirs. Il n’a que les sentiments.
Elle se perdit un instant dans ces pensées mais finit par secouer la tête.
- Enfin, souffla-t-elle en lui souriant. Tu n’es pas un gardien de Clow, alors fais ce que Tara te conseille.
- Pourquoi es-tu triste, Katya ?
- Comment oses-tu lire dans mes pensées, gardien ? souffla-t-elle en secouant la tête.
- Je m’en excuse. Mais ce que tu dégages est assez négatif pour m’inquiéter. Tu es proche d’Anthony et je te respecte assez pour m’inquiéter.
- Je te remercie de cette bienveillance, Bianka. Mais c’est personnel.
- Bien. Je n’insiste pas.
- Au revoir...
Et il disparut.
« Personnel... »
 
Le téléphone de Sakura vibra et elle s’éloigna du lit de Linda pour prendre l’appel. Thomas la regarda longer le couloir.
- Allô ? Tiffany ?
- Je commençais à m’inquiéter, ça ne répond pas chez toi.
- J’ai oublié de te prévenir, excuse-moi. En fait, je suis à l’hôpital.
- Pardon ?! Que t’est-il arrivé ?
- Non, non, ce n’est pas moi... C’est mon père est l’étudiante stagiaire qui travaille avec lui. Ils ont eu un accident...
- Linda ?! Je peux venir ? Je sens dans ta voix que tu n’es pas bien...
Sakura se mordilla la lèvre et sentit les larmes remonter en elle.
- Hmmm, fit-elle au téléphone.
- Attends-moi devant, je ne tarderai pas.
Elle rangea le téléphone et se dirigea vers les escaliers. Thomas se leva ; elle tourna dans le couloir.
- Où va-t-elle ? demanda-t-il.
- Tu ne veux pas aller la voir ? lui proposa Mathieu.
- Si ! Tu as raison...
 
 
Episode 27.3 : Le baiser.
 
Dominique se redressa sur son lit. Il s’assit et posa son front au creux de sa main. Une terrible douleur l’avait envahie. Mais par-dessus tout, il sentait le pouls de son amie étudiante. Linda... Il sentait son cœur, non loin. Les battements lui parvenaient à peine. Il poussa les draps et sortit les jambes.
- Quelle douleur...
Il se leva et s’appuya à la porte du placard pour s’habituer à ce changement de position. Il se dirigea difficilement vers le couloir
 
- Sakura ?
- Ah, Thomas... Tu n’avais pas besoin de venir, j’attends Tiffany.
- Ca va aller ? S’il y a quelque chose qui ne va pas...
- Non, non, je t’assure.
Il la vit remuer doucement sur place, visiblement préoccupée. Elle s’agita un peu plus quand il posa une main sur son bras.
- Sakura...
- Je te dis que tout...
Il la prit contre lui et elle passa ses bras dans son dos. Elle ne put retenir ses larmes et ils se turent un long moment. Il serrait sa sœur entre ses bras. Cela le fit sourire. Ils s’étaient rapprochés, tous les deux, et cela ne lui déplaisait pas vraiment. Il perdait peu à peu cette image du grand frère méchant qui les avait liés durant tant d’années. Et au fond de lui...
 
Dominique traversa le couloir et trouva la porte de la chambre de Linda du premier coup. La jeune femme inconsciente était étendue sur son lit. Sa vue se troublait progressivement et il ferma d’un geste la porte qui se claqua. Il prit appui sur le meuble qui faisait le coin et tenta de se concentrer sur la distance qu’il devait encore parcourir pour rejoindre le lit de Linda. Quand il posa la main sur les draps, la vision totalement embrouillée, il s’y assit.
Il prit la main douce et fine de la jeune femme et la serra contre lui.
- Il est l’heure, murmura-t-il, les yeux mi-clos.
- Je le sais, répondit une voix profonde venue de nulle part. Pourquoi suis-je encore en vie ?
Il ouvrit un œil et posa son regard sur sa jeune amie et collègue, inconsciente.
- Parce que le temps a fait un bond en arrière.
- Alors mon heure est de nouveau venue ?
- Ne dis pas ça. Pourquoi penser à la mort alors qu’une nouvelle vie t’attend ?
- Quelle nouvelle vie ? Tu ne comprends pas.
- J’essaie, tu sais, souffla-t-il, désespéré. J’essaie.
-  Juste une chose, Dominique...
- Quoi ?
- Une chose que Linda voulait plus que tout et que je veux lui offrir.
Il ouvrit lentement les yeux et patienta.
 
- C’est à cause de moi, l’accident, avoua Sakura.
- Que dis-tu ? Non, je t’assure...
- Si. Je n’ai pas vu arriver la voiture et c’est en voulant m’éviter que papa a dérapé...
Elle recula pour le regarder dans les yeux et il haussa les épaules.
- L’essentiel n’est pas de savoir comment c’est arrivé, dit-il alors. Mais comment cela va se terminer.
- Je le sais, murmura-t-elle. Je le sais moi... J’ai...
- Comment ça ?
- Je... hésita-t-elle. Je sais ce qui va arriver. Et je dois l’empêcher.
- De quoi parles-tu... ?
Elle pinça ses lèvres quand la voiture de Tiffany pénétra sur le parking de l’hôpital.
- Attends, réfléchit-elle, les yeux grands ouverts...
Tiffany lui avait téléphoné, Thomas l’avait rejointe. Quatorze heures allaient sonner au clocher non loin...
L’écho sourd des cloches lui parvint alors et Thomas leva les yeux vers l’horizon, dissimulé derrière les lignes successives d’habitations. Une drôle d’impression...
- C’est maintenant...
- Quoi ?
Elle se mit à courir dans les escaliers. Comment avait-elle pu oublier cet instant, l’instant pour lequel elle était venue ?!
Pour éviter de faire la même bêtise une seconde fois...
Elle courait à perdre haleine dans les couloirs.
 
Le corps de Linda se redressa et la jeune femme ouvrit les yeux.
- Dominique... susurra-t-elle.
Il apposa un doigt sur ses lèvres et elle ferma les yeux, chassant une larme.
Elle se sentit attirée par lui et ses bras se posèrent autour de son cou.
 
Sakura arrivait à grandes enjambées, les poumons en feu. Ce baiser... Cette lumière qui avait surgi... Et le corps de Linda se relâchant sur le lit, sans vie... Elle revit encore le visage heureux de la jeune femme qui retombait sur son coussin. Ses bras glissant autour du cou de son père, et s’écrasant mollement autour d’elle.
Leurs lèvres qui se séparent...
Ses idées s’éclaircirent d’un coup. Les paroles de Bianka lui revinrent.
Elle arrivait à la porte et elle posa une main sur la poignée.
« Que mon pouvoir de Mémoire trace le chemin de la vérité dans vos esprits... »
Il avait dit : « dans VOS esprits » ! Elle ne s’en serait pas rappelé sans lui ! Le retour avait presque effacé sa mémoire... Il l’avait aidée, elle aussi.
Elle sentit l’aura puissante qui émanait du bâtiment. C’était une force... Il y avait une force en jeu. Et le baiser avait tué Linda...
Elle poussa violemment la porte et le corps de Linda retomba en arrière. Le coussin s’enfonça mollement sous elle et les bras de la jeune femme glissèrent doucement. Sakura secoua la tête, ne voulant pas le croire... Dominique se tourna vers elle et ne sut quoi dire. Il leva une main vers sa fille qui s’était figée. Sa mémoire lui était revenue trop tard... Elle posa une main sur sa bouche et fit un autre pas en arrière. Les cheveux de Linda s’étalèrent sur le drap et sa tête pivota sur le côté.
Sakura se mit à pleurer et s’enfuit. Elle parcourut le couloir en sens inverse et redescendit à tout vitesse. Elle courait. Elle fuyait ce destin atroce auquel elle n’avait rien pu faire. Elle qui avait souhaité ce retour, elle avait tant désiré modifier cet instant... Elle croisa Tiffany et son frère mais ne s’arrêta pas.
« Sakura ne pourra changer que ce qui est modifiable » entendit-elle Anthony répéter en elle.
« QUE ce qui est modifiable... »
Elle se retrouva vite sur le trottoir et elle traversa la rue.
Un bras puissant la retint et la tira contre lui alors qu’une voiture les frôlait...
Le brassement de l’air au passage du véhicule la figea. Et si personne ne l’avait arrêtée... ?
- Où allais-tu, voyons... ?
- Brice...
- Ne dis rien, chasseuse. Ne me remercie pas. Je ne fais pas ça pour toi...
Elle reprit son souffle et il lui sourit :
- Je fais ça parce que je suis conscient que toi seule pourra lutter contre le Fléau.
- Je n’ai même pas pu sauver une amie... s’asséna-t-elle, amère.
Un petit rire le secoua et elle fronça les sourcils :
- Tu parles de Linda Carmin ? Elle est sauve...
- Mais je...
- Tu comprendras plus tard, ne t’en fais pas.
- Tu la connais ?
Il sourit amicalement en passant une main dans ses cheveux avant de disparaître.
 
Linda toussa soudain et ouvrit doucement les yeux.
- Dominique ? Que s’est-il passé ?
- Chuuut... Il y a du travail en retard à l’université, lui confia-t-il, le visage lumineux. Alors rétablis-toi vite.
Elle esquissa un sourire en réponse et inspira profondément.
- Tu ne m’as pas tuée... s’étonna la voix profonde. Tu aurais pu. Le contact de nos lèvres, ton pouvoir. J’aurais été anéantie.
- Pourquoi vouloir mourir ? Je ne pouvais pas tuer quelqu’un qui me le demandait. Et de plus, je tiens à Linda. C’est quelqu’un qui ne mérite pas de disparaître. Au contraire de toi, je me suis souvenu de cette journée effacée. Et je n’ai pas répété mon erreur. Il faut que tu vives.
- Il faudra pourtant bien qu’elle meure...
- Peut-être. Mais pas de mes mains. Je laisse ce travail à celle qui a été choisie.
- Pourquoi es-tu si gentil avec moi ?
- Parce que la force qui te guide n’est qu’ombre et mort. Tu avais le droit de goûter à autre chose. Tu le désirais.
Linda tourna la tête et la voix se tut un court instant.
- Merci de m’avoir donné cette affection, Dominique, mais...
- Oui, je sais... Ton maître va te rappeler à lui.
- Et j’oublierai forcément ce sentiment.
- Qui peut dire qu’on oublie à jamais un plaisir ?
- Adieu... souffla finalement la voix.
- Vous parlez tout seul, professeur ? sourit Linda en lui lançant un regard amusé.
- Pas vraiment. Allez, il faut te reposer.
 
Sakura était accoudée à sa fenêtre. Tant de choses étranges s’étaient déroulées dans cette journée qu’elle avait besoin d’un peu de calme. Linda était saine et sauve. Dominique ne garderait pas son bandage à la tête très longtemps.
Kero s’assit à côté d’elle et observa le ciel étoilé.
- Je n’ai pas eu mes réponses, lui avoua-t-il, déçu.
- Je crois que les réponses viennent avec le temps.
- Une veine de philosophe, ce soir ?
- Peut-être. Je me disais que je n’avais pas capturée Time encore.
- Et qu’attends-tu ? Si ça se trouve elle est...
- Non, s’il est venu à l’hôpital, c’était pour me voir, en fait. Le Temps a accepté de me céder son pouvoir pour sauver Linda. Et je ne veux pas plus.
- Euh, chasseuse, c’est une force, tu n’as pas oublié ? Une force !! F. O... commença-t-il à épeler en mimant les lettres gigantesques d’un panneau lumineux, R. S...
- non, C.
- Euh... Oui, peut-être. C et E. Une force, quoi.
 
Au-dessus de la maison, deux silhouettes patientaient en silence, l’une assise élégamment sur le faîte du toit, les jambes croisées dans une tenue ample et droite sur ses jambes profilées, et l’autre debout à ses côtés, les bras croisés, les cheveux en bataille caressés par le vent calme. Une ombre s’avança entre elles et la femme dévisagea la force :
- Nous t’avons libérée du Fléau. Et en échange, tu nous as aidé à sauver une vie. Nous sommes quittes !
Yolis acquiesça et écarta les bras :
- Le monde est à toi. Mais où que tu ailles, le Fléau sera sur tes pas. Il te reste une solution. L’unique solution pour vivre encore longtemps...
- Sakura, souffla Tara.
Time posa ses yeux lumineux sur les deux gardiens et abaissa sa capuche sur son regard.
- Très bon choix, sourit Yolis.
Time se décomposa en filament de couleurs et s’envola vers la fenêtre de la chambre où il se laissa envelopper dans une carte qui se créait devant Sakura. Elle l’attrapa sans comprendre et jeta un œil vers le ciel.
- C’est Time !
Kero était soufflé. Ahuri, il s’assit sur le bureau.
- Et ben voilà, lança-t-elle triomphante, je l’ai eue ! Et une de plus !

 

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