Top Cuisinière

Chapitre 7 : Jour 21

1943 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 22/12/2023 16:03

Cette fois, c’est l’heure de vérité. La cinquième et dernière épreuve est cruciale : elle compte double, et cette fois, le public pourra donner des notes ! Celles-ci compteront autant que celles attribuées par le jury. Si j’obtiens le score maximal, eh bien, je peux… gagner Top Cuisinière ! Oui ! Car Cendrillon a fait un score exécrable lors de l’épreuve des restaurants, ayant été pénalisée par des citrouilles de mauvaise qualité. En plus, à cause de la tricherie, les scores de l’épreuve de la tarte aux pommes ne sont plus pris en compte.

Comme les autres princesses, je porte une robe spécialement confectionnée pour l’occasion. Le couturier du concours – un homme aux gestes secs et précis – a décidé de s’inspirer des couleurs du royaume, travaillant le violet et l’or sous toutes leurs formes. Quand j’ai enfilé son œuvre ce matin, j’ai poussé un petit cri émerveillé. L’étoffe ressemble à la caresse d’une plume, si aérienne qu’elle danse autour de moi à chaque pas, passant du lila au violet ou au pourpre selon l’éclairage, émaillée de gouttelettes dorées, comme si une pluie d’or s’était posée dessus. A ma taille, la ceinture est brodée de fleurs des champs, de sorte à rappeler les ornements glissés dans ma chevelure. J’avoue avoir soupiré de soulagement en découvrant que je devrai porter de simples pantoufles, souples et confortables, alors que j’avais redouté des talons vertigineux.

A côté de moi, les autres candidates sont tout aussi éblouissantes. Cendrillon semble être vêtue de cristaux tissés les uns aux autres, Tiana fait honneur à sa légende avec une robe verte dont la forme évasée et le corset mordoré rappellent un nénuphar, Belle a opté pour le doré et décoré sa chevelure avec une cascade de perles, Blanche-Neige arbore la tenue la plus simple de toutes, mais réalisée avec de si belles étoffes qu’elle est tout aussi extraordinaire. Quant à Ariel, sa robe miroite à chaque pas, évoquant le jeu du soleil sur les vagues, et sa chevelure flotte autour d’elle, tandis que des joyaux en forme de corail scintillent à ses oreilles.

-       Bonne chance à toutes, lance Tiana en tendant sa main.

Comme une seule femme, nous imitons son geste, joignons nos mains puis les lançons en l’air avec un grand cri.

Au signal de départ, quelque chose se produit du côté du public. On dirait que l’arène s’illumine de l’intérieur… Incroyable ! Les gens viennent d’allumer des centaines de lanternes qu’ils lancent dans les airs. Le spectacle est féerique, aussi beau que lors de mon anniversaire ; j’en ai les larmes aux yeux. Je fixe alors mon plan de travail, mon petit fourneau, le tas de bois pour le recharger, mes ustensiles et… reste immobile. A côté, les cinq princesses se sont déjà ruées vers les énormes tables où nous prenons, à chaque épreuve, ce dont nous avons besoin pour nos recettes. Je sais que je devrais être là-bas, moi aussi, mais je ne bouge pas d’un pouce. Le public doit être dans tous ses états, se demande sans doute ce que je fabrique. Ce n’est que lorsque toutes les princesses sont de retour à leur plan de travail que je vais tranquillement chercher mes ingrédients, mon panier à la main. Puis je reviens et j’attends.

Les secondes semblent interminables. Les princesses s’affairent, au four et au moulin, se jetant de toutes leurs forces dans cette ultime épreuve, tandis que j’ai l’air d’une empotée, plantée là à ne rien faire. De délicieuses odeurs s’élèvent, le son des ustensiles se mêle à celui des commentaires lancés par Stefan avec son porte-voix. Lorsqu’il vient vers moi pour tenter d’éclaircir mon étrange comportement, je reste mystérieuse, le cœur battant à tout rompre. Pourvu que j’aie pris la bonne décision…

Dix minutes avant la fin de l’épreuve, je commence à m’activer, et lors du sifflement annonçant la fin du temps imparti, j’ai réussi à faire tout ce que je voulais.

Les minutes suivantes se passent comme dans un rêve. Je me sens de plus en plus ridicule en découvrant les plats incroyables concoctés par mes rivales. Toutes se sont surpassées, et même si je ne peux pas goûter à leurs œuvres, je suis sûre que celles-ci pourraient être servies dans les plus grandes tables.

Quand arrive mon tour, je me répète que tout va bien se passer. Mes doigts se serrent autour de ma poêle fétiche, ce qui me donne un peu de courage, tandis que Pascal se perche sur mon épaule. Les membres du jury haussent les sourcils, se demandant où est mon plat. Je les rassure aussitôt :

-       Il va vous être servi juste après.

Car je tiens à commencer par une petite démonstration pour laquelle je réquisitionne le porte-voix du présentateur:

-       Chers juges, je sais que vous m’avez sélectionnée pour mes talents avec la poêle à frire. Or, il ne s’agit pas que d’un simple ustensile de cuisine, comme je l’ai appris lors de mes aventures. Cet engin peut être absolument génial en situation d’urgence ! Si quelqu’un vous attaque, il vous suffit de la brandir sous cet angle, cet angle ou cet angle pour vous défendre. (Je tourbillonne dans tous les sens, comme si j’étais aux prises avec des adversaires invisibles.) Votre attaquant sera ainsi étourdi ou carrément assommé pour plusieurs minutes. Les pratiquants les plus doués réussiront à calculer la taille de la bosse qui poussera. Mais je préfère joindre le geste à la parole…

Je reviens vers mes commis, sentant que j’ai réussi à éveiller la curiosité du jury. Le manche de la poêle bien en main, je pointe l’ustensile devant moi. Un pas après l’autre, je fixe d’un regard perçant chacun de mes aides, essayant d’imiter Maximus inspectant ses troupes. Le premier devient blanc, le deuxième vert, la troisième rouge, le quatrième laisse échapper un rire nerveux, le cinquième sifflote d’un air innocent en regardant le ciel. J’ordonne aussitôt :

-       Toi, viens ici.

Le jeune homme commence à trembler de tous ses membres. Il jette des regards autour de lui, mais il est pris au piège. Impossible de refuser devant tant de monde. D’ailleurs, le public crie des encouragements, tandis que le présentateur en rajoute une couche. Je poursuis :

-       Place-toi là, voilà, très bien. (Je me tourne vers les juges.) Prenons une situation au hasard. Imaginez que vous participez à un concours de cuisine, avec quelques commis pour vous épauler. Maintenant, ajoutons parmi eux un traître, qui, loin de vouloir votre victoire, cherche à vous mettre les bâtons dans les roues. Il agit sournoisement, salant par exemple votre tarte aux pommes tandis qu’il l’apporte au jury, ou tentant de saboter vos plats lors de l’épreuve suivante. (Se sachant démasqué, le jeune homme ressemble désormais à des castagnettes sur un rythme allegro.) Que faites vous pour lui signifier votre mécontentement ?

C'est alors que le traître craque complètement.

Il court vers moi, poings levés en hurlant:

-       Pour Gotheeeeeel!!

Juste avant que ses poings entrent en contact avec mes pommettes, j'assène un coup sur sa tête - oh, pas trop fort quand même. Le commis s’effondre en gémissant. Je brandis à nouveau ma poêle avec une expression menaçante et obtiens l’effet escompté :

-       Pitié ! Pitié votre Majesté ! Je… J’ai eu tort, j’implore votre pardon !

Je rétorque, les yeux lançant des éclairs :

-       Alors dis-moi pourquoi tu as fait ça.

Les dents claquant fortissimo, il lâche en un cri :

-       La Mère Gothel. Je… j’étais celui chez qui elle achetait des provisions quand vous habitiez dans la tour…. je l’admirais tellement ! Après sa disparition, en vous voyant revenir au royaume, je… Je… J’ai perdu la tête. Je voulais venger sa mémoire!

Je fais tournoyer ma poêle dans ma main, la tête haute.

-       Moui, eh bien que ceci te serve de leçon. Ne tente plus jamais quoi que ce soit contre moi, tu as compris ?

-       Oui, oui, oui… Plus jamais Votre Majesté. C’est compris. Merci Votre Majesté.

Et il s’enfuit sans demander son reste.

Le public éclate en applaudissements, tandis que j’effectue une petite révérence. Rien n’aurait été possible sans Eugène et Maximus, bien sûr, qui ont démasqué le jeune homme lors de l’épreuve du restaurant. C’est ainsi que j’ai compris pourquoi j’avais l’impression d’être observée par la Mère Gothel… Il s’agissait en fait d’un de ses sbires.

Le stress, la pression, la peur, tout s’est désormais envolé. Comme si je surfais sur un petit nuage, je demande aux autres commis - qui me soufflent au passage qu’ils sont désolés de ne rien avoir remarqué – d’amener mon plat. Celui-ci a triste mine par rapport à ceux de mes concurrentes : il s’agit d’une pauvre tranche de pain grillée surmontée d’un tas de spaghettis.

-       Cher jury, je sais que ce plat vous surprend. A ce stade du concours, ce n’est peut-être pas ce que vous espériez, mais laissez-moi vous expliquer. J’ai beaucoup pensé à ce que représentait la cuisine, et j’ai conclu qu’au final, il s’agit avant tout d’un moyen de survivre. Sans nourriture, nous finirions bien sûr tous par mourir. J’ai aussi songé à tous les gens qui ne possèdent pas le fabuleux matériel de Top Cuisinière, et qui, chez eux, aimeraient tant reproduire tous les plats qu’ils vous voient déguster. Puis j’ai pensé à mon mari Eugène. Lorsqu’il voyage durant plusieurs jours sans pouvoir passer par des auberges, il doit se contenter d’ustensiles très simples – telle que la fameuse poêle à frire – et d’un feu. C’est donc son plat fétiche que j’ai reproduit aujourd’hui. Il n’y a besoin que de pain, de pâtes et d’un peu de sauce tomate, ainsi que d’une casserole et d’une poêle. Vous verrez que même ces ingrédients sont simples, on peut les sublimer, comme me l’a expliqué mon cher chef cuisinier Giuliano Pollienzi. J’ai nommé, le pain grillé aux spaghettis, que je dédie donc à Eugène.



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