Audacieuse

Le soleil se lève. Je suis en train de me laver les mains. Je les sèche, et Keiynan passe à côté de moi en m'embrassant sur la joue, puis il me regarde avec un sourire rieur, et court dans le couloir. Je jette ma serviette par terre et je lui cours après. Heureusement, j'arrive à le rattraper et je lui empoigne le bras. D'un coup sec, je le retourne et il tombe par terre. Je maintiens ses deux bras au sol, ses genoux coincés entre les miens. Je le regarde, et il ne rigole plus. Je sais pourquoi ; il se sent dominé. Et ça ne lui plaît pas. Il préfère être au-dessus. Et intérieurement, je rigole. Je m'abaisse légèrement, mon corps touchant à peine le sien. Il lève la tête comme pour m'embrasser, et je lève la mienne en chuchotant « Supplie-moi ». Il réplique un « jamais » et il passe à l'action. Je l'avais prévu ; alors instinctivement je me laisse faire, et je plie une jambe pour me relever plus tard.

- Maintenant, toi, supplie-moi.

- Jamais.

Et le jeu continue. Je relève mon genou, qui lui cogne dans les abdos, et je me relève pour repasser au-dessus. Il est bloqué, il ne peut pas bouger. Je me rapproche, et je continue.

- Supplie...

- JE T'EN SUPPLIE !

- D'accord.

Alors je lâche ses bras, et il empoigne mon cou pour faire descendre ma tête à son niveau. Et on s'embrasse. Passionnément. Et je me rends compte que je l'aime vraiment. Nous nous relevons et nous partons vers la cafétéria pour le petit-déjeuner. N'empêche que ça donne faim, les amours.

A la cafétéria, Terry n'est pas là. Je m'inquiète, pensant que quelque chose de grave est arrivé. Alors je laisse Keiynan avec Arthur, Kenneth et Jaden. Il faut que je trouve mon meilleur ami. Tout de suite. Alors que je marche d'un pas empressé vers l'appartement de Terry, une photo au mur attire mon attention. Un visage que je connais mieux que n'importe quel autre. Celui de Theo. Je me demande pourquoi cette photo est là. Et j'éprouve un léger pincement au cœur. Tant pis, j'enlève cette photo et je découvre une inscription au mur : Il n'est pas mort. Alors, je suis choquée. Theo n'est pas mort ? Mais est-ce que cette inscription est vraiment pour lui ? Je ne sais pas. Et ça m'intrigue. Alors il serait encore vivant ? Mais si je le retrouve, comment Keiynan va le prendre ? Ne sera-t-il pas déçu si je lui dis que je l'aime encore... Ou le comprendra-t-il ? Les questions s'entrechoquent dans ma tête. Et ça ne tourne pas rond. Puis je repense à Terry, alors je cours vers son appartement, en essayant de chasser ces mauvaises pensées. Il est mort sous mes yeux. Ce n'est pas possible. J'arrive devant la porte, essoufflée. Je toque, et personne ne répond. J'ouvre la porte, et Terry n'est pas là. Je me fais un sang d'encre. Et si il avait crié ? Et si je ne l'avais pas entendu ? Alors je continue de courir. Terry est commandant des patrouilles. Je cours jusqu'aux limites de l'enceinte, les traverse et je vois le train qui passe. J'accélère et je saute dans le dernier wagon. Je traverse le train, et je vois Terry recroquevillé sur lui-même, seul. Je ne vois pas son visage, enfoui dans ses mains, mais je le reconnais à sa chevelure blonde aux pointes noires. Je m'assois à côté de lui, et il relève la tête :

- Terry.

- Qu'est-ce que tu veux ? répond-il méchamment, comme triste et énervé à la fois.

- Hé. Je veux juste savoir ce que tu fais là. Pourquoi tu n'étais pas avec nous.

- Je n'ai pas envie de te voir.

- Et pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait ?

- Tu n'as rien fait. C'est à cause de...

- Theo ?

- Oui.

- Qu'est-ce qu'il se passe, Terry ? J'ai besoin de savoir, et tu le sais.

- Il... Il n'est... Pas mort.

- La photo sur le mur, c'était toi.

- Oui.

- Et comment vous avez fait pour le faire disparaître ? Il ne respirait plus quand je l'ai amené.

- L'infirmière a fait des miracles. Il n'a pas souhaité continuer de te voir après un tel drame psychologique.

- Et il est où ?

- Il est devenu sans-faction. Il a quitté de lui-même les Audacieux.

Je n'ai plus qu'une seule envie, le revoir. Je me lève, et je saute à pleine vitesse. Je suis devant le lycée. Je cours vers un des secteurs sans-faction. Il me semble que c'est près du secteur Altruiste. Alors... la Ruche. Parfait. Je cours en direction de celle qu'on appelait autrefois la Sears Tower. Mes poumons me brûlent, et je suis animée par la rage. J'arrive au pied de la Ruche, et je vois le quartier Altruiste, et un secteur plus sombre, duquel une fumée nauséabonde s'échappe. Les sans-faction. J'y vais en marchant cette fois. Un sans-faction m'accueille d'une manière pas forcément agréable :

- Qu'est-ce que tu fais là, Audacieuse ?

- Je cherche un ancien Audacieux qui vous a rejoint.

- Qui est-ce ?

- Un certain Theo.

- Il n'est plus ici. Il a rejoint un quartier plus proche de celui des Audacieux, pour trouver Juliet Taylor, un truc comme ça.

- Et où il est, ce fameux secteur ?

- Prends l'avenue à droite de la Ruche. Continue tout droit. A la maison en briques, tourne à gauche. Tu arriveras au secteur.

- Merci beaucoup.

Il me jette un regard dédaigneux, puis je me retourne. Je cours dans l'avenue qu'il m'a dite. Le trajet est long, mais je suis endurante. J'aperçois la maison en briques et je tourne à gauche. Alors, j'aperçois le secteur. La pression monte. J'arrive devant la première maison, et j'intercepte une sans-faction :

- Excusez-moi. Je cherche Theo Moore.

- Il est à la deuxième maison sur la droite.

- Merci.

Je marche en observant ce monde étrange. Ils doivent avoir froid. Je trouve la maison et j'ouvre la porte. J'entends des pas, je me retourne, et il est là. Derrière moi. Comme le jour où je l'ai rencontré. Je reste pétrifiée, je n'arrive plus à bouger, lorsqu'il m'adresse la parole :

- Juliet.

- Ou... Oui.

- Je suis encore vivant.

- On me l'a dit il y a de ça une demi-heure.

- Qui, on ?

- Secret. Si je te le dis, je suis sûre qu'il ou elle aura des problèmes. Tu vas aller l'engueuler et lui mettre deux ou trois coups bien placés. Je ne doute pas de tes capacités physiques, dis-je en esquissant un sourire.

- Comme le jour où je t'ai rencontrée.

- Exactement la même, sauf que tu as une instructrice devant toi.

- Je m'en doutais. Tu es trop forte.

- C'est pas tout. Je suis instructrice mais Keiynan aussi, et Raph est devenu leader, ainsi que Teddy.

- Toute la bande, quoi. 

- Theo. Il faut qu'on parle plus sérieusement de toi, et de ton retour.

- D'accord. Tu veux que je commence par quoi ?

- Par ce qui s'est passé avant que j'arrive, et comment tu as survécu.

- D'accord. C'est Chris qui est venu en voulant se venger. Je n'étais pas armé, lui avait un couteau. Il n'a pas hésité à me poignarder plusieurs fois. J'ai crié à pleins poumons, et tu es arrivée. Je pensais que c'était fini, alors je t'ai prononcé ces mots... Et le trou noir. Je me suis réveillé avec l'infirmière à mes côtés, des capteurs partout, l'horreur. Selon elle, c'était une sorte de malaise dû à la perte de sang.

- Je tiens juste à préciser que nous avons tué Chris ; plus exactement c'est  Brian qui l'a tué, car nous savions que c'était lui. Et après, pourquoi tu n'es pas revenu ?

- Je voulais rester, mais je me suis rendu compte que je n'étais plus apprécié chez les Audacieux, à part quelques-uns. Je ne voulais que cela se reproduise en pire, alors je suis parti en toute discrétion, faisant croire à ma mort.

- Theo... Je... J'ai souffert. Beaucoup. Keiynan, Jaden, Arthur, Terry, Kenneth, Brook, Teddy, et encore plein d'autres pourront en témoigner.

- Je le pensais bien. Mais je ne voulais pas te faire subir un tel choc psychologique de me faire assassiner une deuxième fois et pour de bon.

- Et maintenant, tu comptes revenir ?

- Tu ne penses pas que Keiynan le prendrait mal ?

- Comment tu sais...

- Eh. Vous vous étiez comme ça (il colle ses deux doigts). Je pensais bien que quand mon deuil serait fait, tu lui tomberais dans les bras. Et puis il est plus jeune que moi. Je comprends parfaitement que tu restes avec lui.

- Je ne sais pas. Il était mon ami à la vie, à la mort. Mais notre relation est tellement bien partie que je ne sais pas. Il faut qu'on parle sérieusement. Tu penses que je peux lui révéler ta résurrection ?

- En tant que vrai petit couple (il exagère ses mots), vous devez vous parler de tout. A condition qu'il tienne sa langue, bien sûr.

- D'accord. Je passerais demain. Reste dans le secteur, s'il-te-plaît.

- Pas de problème.

Je m'approche de lui et il me serre dans ses bras. Je me sens bien. Malgré qu'il soit devenu sans-faction, il émane toujours de la puissance. Et je donnerais tout pour qu'il revienne. Et je rentre à contre-coeur chez les Audacieux pour voir Keiynan. Il faut qu'on parle sérieusement, lui et moi.