Audacieuse

Nous sommes dans le train. Sara tamponne son bras touché par une balle, Theo n'a rien, William s'est pris des débris de carrelage à la main lors de l'explosion. Personnellement, je me suis pris une balle dans la cuisse pendant la lutte. Ils ont bien visé. Je me sens mal. Mal d'avoir tué mes propres novices. Ceux que je devais faire aller jusqu'au bout. Pour ma première année d'instructrice. Je rentre la boule au ventre, et j'hésite. Dois-je aller voir Brian ? Il le faut. Je saute du train, et une douleur fulgurante traverse ma jambe. Je reste par terre, comme incapable de me lever. Theo le voit, et me prend dans ses bras pour me porter sur la courte durée du trajet. Il chuchote :

- Je suis désolé de ne pas t'avoir protégée.

- Tu n'as rien à te reprocher.

Je me repose dans le ballottement produit par ses pas. Nous arrivons à l'enceinte, et les autres sont déjà là. Ils nous voient en sang, et nous laissent passer. Theo me dépose à l'infirmerie et va lui-même voir Brian. J'ignore ce qu'il va lui dire. L'infirmière m'anesthésie la jambe et enlève la balle, puis soigne calmement ma blessure. Je me relève avec des béquilles que je trouve inutiles et je monte. Il faut que je sache ce qui va se dire. Je vois Theo à travers la vitre. J'entre. Brian me dévisage. Sa première réflexion est :

- Tu aurais dû rester allongée.

- Pensiez-vous vraiment que j'allais rester clouée sur un lit ?

Je me suis aussi adressée à Theo.

- Pas le moindre du monde, répond Theo en souriant.

- Brian, sérieusement. Je vais bien, on m'a enlevé la balle. Il faut que je raconte les évènements.

- OK.

- Nous avons été chez les Erudits, sans succès. Nous sommes allés chez les Sincères, et là, les cinq novices étaient là. Ils avaient des armes – des pistolets et une grenade – qu'ils nous ont lancée, tuant des Sincères au passage. Nous pensons qu'ils s'y sont ralliés. Alors, nous avons décidé d'ouvrir le feu. Fuir n'est pas notre fort. Ils sont tous les cinq...

- Morts.

- Exactement.

- Vous savez quoi ? C'était la marche à suivre. Il fallait les tuer. Ils ont fait passer les liens du sang avant la faction. Félicitations.

Je suis incompréhensive sur ce coup. J'ai honte de les avoir tués. Theo pose sa main sur mon bras et nous sortons. Je me sens coupable d'avoir tué ces gens. Mes novices. Theo m'arrête et me regarde dans les yeux. Il me crie dessus :

- Mais qu'est-ce qui cloche, Juliet ?

- Qu'est-ce qui cloche ? Mais rien !

- A défier l'autorité au point de te lever alors que ta jambe est parfaitement invalide ?

- Et en quoi ça te dérange que je sois venue ? Tu as quelque chose à cacher ?

- Non. Mais ta version des faits est différente de la mienne. Et comme d'habitude, je n'ai pas pu en placer une.

Tout m'énerve dans cette histoire. Pourquoi n'ai-je pas le droit de venir ? Ca me met hors de moi de le voir dans cet état à me crier dessus comme une gamine. Je jette mes béquilles par terre – à ses pieds – et je fais volte-face. Je pars vers le studio de Keiynan. Je ne veux pas dormir avec lui. Encore moins dans le même lit. Il est tard. Je rentre chez Keiynan, qui est dans son lit, visiblement en train de somnoler, ou de réfléchir, je ne sais pas. Il m'accueille d'un sourire. Je lui souffle un rapide résumé de notre altercation, à laquelle je ne trouve pas de sens :

- Theo m'a engueulée parce que je me suis levée alors que j'étais blessée. Il m'a dit que je n'avais pas à intervenir dans sa discussion avec Brian et que je monopolisais la parole.

- Pfff... Dors ici, y a pas de problème.

- Ca m'énerve... Il m'a crié dessus sans raison, alors qu'il me posait la main sur l'épaule devant Brian.

- Il est... Impulsif.

- C'est le moins qu'on puisse dire, dis-je en rigolant.

Il sourit, et ses dents blanches semblent éclatantes dans le noir. Je m'installe sur le matelas à terre, qui sent... Une douce odeur de fleur d'oranger et de sel. L'odeur de Theo. Je ne peux m'empêcher de demander à Keiynan :

- Keiynan. Qui a dormi ici la dernière fois ?

- Tu as reconnu l'odeur.

 - Oui. Pourquoi a-t-il dormi ici ?

- Il... Il est sorti pendant la nuit de votre studio plusieurs fois. Il t'a laissée à l'intérieur pour te laisser dormir, car il devait aller voir Brian. Ils parlementent depuis longtemps pour réformer le système Audacieux.

- C'est-à-dire ?

- Refonder le système de l'initiation.

- Comment ça ?

- Introduire un nouveau sérum plus performant qui ne serait pas sur des phobies génériques – araignées, vide ou mort – mais qui analyserait les peurs de chacun.

- Et il ne m'a parlé de rien. Tu aurais pu me le dire !

- Je ne le savais pas jusqu'à tout à l'heure. Brian m'a convié à une réunion pour en parler. Il ne voulait pas que tu sois là.

- Pourquoi ?

- J'en ignore la raison, mais apparemment, ils ne veulent pas que tu saches.

- C'est pour ça que Theo ne voulait pas que j'entre... Ils ne parlaient pas de mes novices, mais bien de ce projet...

Keiynan approuve d'un hochement de tête, puis nous nous endormons.