Audacieuse

Juliet est toujours sur cette table métallique. Nous sommes dans une ambulance. Je lui tiens toujours la main. J'entends l'alarme qui résonne dans la cabine. Ce son est trop fort. Nous arrivons enfin à l'enceinte Audacieuse. A contre-coeur, je dois me lever pour aller chercher le matelas chez Keiynan, qui sent encore mon odeur. Elle m'a déjà dit que j'avais une odeur particulière, un mélange de fleur d'oranger et de sel. Je ne sais pas d'où vient l'odeur du sel, mais la fleur d'oranger, je sais. Je bois de l'eau de fleur d'oranger tous les soirs pour lutter contre mes insomnies. Et ça sent très bon. Dès que j'ouvre la petite bouteille de verre, l'odeur reste sur moi, mes vêtements. Et c'est très agréable. J'entre chez Keiynan, qui n'est pas là. Je sors un bout de papier de ma poche, attrape un stylo et écris :

K.

Je prends le matelas pour l'amener à Juliet. Elle en a besoin. Je t'expliquerais plus tard. Viens devant l'infirmerie si tu veux la voir.

T.

Je le pose sur son lit et prends le matelas. Il est plutôt léger. Je redescends et entre dans l'infirmerie. Juliet est dans une pièce à part, aux éclairages faibles et bleutés. Comme dans la Fosse. Elle a le teint plus pâle que d'habitude. Elle a naturellement une peau de porcelaine, du coup sa peau est presque bleue. En plus ses cernes ressortent, violettes. Elle n'est pas belle à voir, mais je vois toujours la Juliet pétillante, l'intensité dans ses yeux, ce grain de folie pour lequel j'ai craqué... Tout. Et je donnerais tout pour la revoir. J'ai l'impression de descendre en enfer. Comment je vais faire pour tenir aussi longtemps ? Quelques semaines, quelques mois, peut-être toujours ? Je me sens très mal. Désespéré, en fait. Triste de cette sorte de pause non méritée et non voulue. Nous vivions dans un paradis, avant que tout ne s'arrête. Je me rappelle que les novices doivent être livrés à eux-mêmes. Mais non, Teddy était avec nous. Il doit continuer leur training. Je me lève pour aller vérifier. Je vois Teddy à travers la vitre. Deux novices se battent. Il me voit et sort immédiatement. Je lui dis discrètement :

- Je suis désolé. Je ne sais pas si je vais pouvoir venir ici à sa place tout le temps. J'ai besoin de rester avec elle.

- Attends, mon pote. Une chose à la fois. Elle a quoi ?

J'avais oublié qu'il n'était pas avec nous pour aller chez les Erudits.

- Elle est dans le coma. Ca prendra plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et peut-être toujours...

- Pas de problème. Je reprends mon poste.

- Merci.

Je me relève, mais je ne trouve pas la force de sourire. J'ai juste envie de disparaître de ce monde triste. Mais je ne peux pas, pas avec elle endormie. Je reviens à la chambre de Juliet. Elle n'a pas bougé. Elle ne bougera peut-être jamais. Je me souviens de ce que l'Erudit m'a dit : il faut que je lui parle.

- Juliet. Je ne sais pas si tu le sais, mais tu as changé ma vie. Je ne me vois pas continuer sans toi. Preuve que je suis moins fort que toi. Tu es devenu toujours plus forte depuis ma disparition. Et même si je te l'ai déjà dit, aux portes de la mort, je t'aime. Je … Je m'inquiète terriblement. J'ai peur que tu restes ici pour ta vie entière. Quelques jours, ce sera déjà trop long. Je t'en prie, réveille-toi. Au moins pour toi. Moi, ce n'est pas un problème. Tes novices encore moins. Mais pour toi. Pour que tu savoures ta vie heureuse.