Audacieuse

Elle est par terre, ses vêtements devenus rouges de son sang. Juliet est pieds nus, et ses pieds ont plein de petites égratignures, sûrement à cause de la pierre. Je la retourne sur le dos et je comprends immédiatement : elle s'est fait poignarder, parce qu'elle a sauvé quelqu'un. Et ce quelqu'un est encore en vie. Ca me rappelle mes racines Altruistes. D'où je viens, ça m'aurait paru naturel qu'elle se fasse poignarder à la place de quelqu'un d'autre. Mes parents m'ont souvent emmené chez les Altruistes. C'était comme chez moi. A force, je me demande d'où elle vient. Je l'ai vue au Choix : je sais qu'elle était Sincère. Mais... Cet instinct qui la pousse à sauver au-delà du danger m'impressionne. Je la prends doucement dans mes bras en évitant sa blessure et la pose sur un brancard. Les infirmières courent vers le poste, les mains agrippées aux poignées du brancard. Je cours derrière elles, animé par la force qu'elle me procure. Je sais qu'elle veut vivre, je le sais. Au poste, les infirmières sortent leurs défibrillateurs, font tout pour la réanimer. L'une d'elles sort, haletante :

- On va l'opérer du cœur. Dans quelques heures, elle sera réveillée.

Je réponds calmement, mais aussi rempli d'espoir :

- OK.

Je réalise qu'elle pourra revivre, alors je sors pour le temps de l'opération. Il faut que je les retrouve. Les personnes qui l'ont agressée étaient forcément plusieurs : seule, elle aurait lutté. Je vais à la salle de contrôle pour observer les images. Après tout, je suis leader. Je demande à un des gars de me programmer sur la caméra de la Fosse, et je remonte dans la journée, à quelques minutes après mon arrivée – 23 heures 28 minutes. Je remonte à 20 minutes et je vois une jeune Audacieuse blonde qui se débat contre deux hommes à peine plus âgés. J'entends Juliet arriver et la vois s'interposer. Les hommes la frappent sans ménagement. J'en vois un qui a une pierre et qui la lâche sur sa tête. Juliet chancelle, et l'autre Audacieux sort un pistolet. Elle réagit en pointant l'homme à la pierre de son couteau, et l'autre la tient en joue. Ils restent immobiles, puis l'Audacieux que Juliet maintient par son couteau la poignarde. Je n'arrive pas à les identifier. Puis ils s'enfuient en courant et retirent ce qui leur masquait la tête. Je souffle :

- Oh.

Je reconnais immédiatement Warren et Harry. Les deux novices qu'elle a brillamment doublé lors de l'initiation, et qui se vengent comme des lâches. Pourtant, elle n'a rien fait à Harry. Je pense que Warren a dû le rallier à sa cause. Je me lève pour aller les voir. Si je me souviens bien, ils sont au premier. Je descends les escaliers, j'arrive devant la porte de Warren et j'ouvre la porte. Ils sont tous les deux là, en train de se laver précautionneusement les mains. Ils me regardent et je m'approche dans une démarche déterminée. Harry passe devant Warren, et je crie :

- Je fais quoi, là ?

- Bah, rien, me répond-il, nonchalant.

- Oh que non. Vous avez agressé ma copine, vous avez voulu la tuer.

- Et alors ?

- QUOI ? Tu viens de me demander ce que tu as fait de mal ?

Et c'en est trop. Je sors mon pistolet, vise et tire dans sa jambe. Warren essaye de s'enfuir par la fenêtre, et je lui tire dans la main. Ils hurlent de douleur, et je me retourne pour aller au près de Juliet. Je m'occuperais de ces imbéciles après. Je repars à l'infirmerie, serein. Je pense que l'opération doit être terminée, elle doit être en salle de réveil. J'arrive, et je la vois immobile, un énorme pansement autour du cœur. Elle va se réveiller. Je la regarde, immobile. Les infirmières m'ont dit de ne pas entrer. Je patiente en la contemplant, et je sais qu'elle va se réveiller. Et alors que je suis pris dans mes pensées, je vois un gaz rouge s'infiltrer dans la salle de réveil. Qu'est-ce que c'est que ça ? Je vais demander à l'infirmière immédiatement :

- Qu'est-ce que c'est que ce gaz ?

- Je ne sais pas, c'est incontrôlé ! On dirait du sérum, mais je ne sais pas lequel !

- Quoi?!

Je sors et rentre dans la salle sans protection. L'air est lourd, étouffé par ce gaz rouge qui plombe l'atmosphère. Je marche difficilement, mes yeux me piquent. Je n'abandonne pas, il faut qu'elle s'en sorte. Mes membres flanchent, je n'arrive plus à marcher et m'effondre. Ma vision est trouble, mais je ne me résigne pas. Dans ma tête, il se passe quelque chose d'inexplicable. Il faut que je la sauve. Mon cerveau ne réagit plus, et dans un dernier effort, je lève ma main – non sans difficulté – et agrippe la barre métallique du lit de Juliet. Elle ne se lève pas. Je ne la vois plus, ce gaz la recouvre et je ne vois même plus ma main. J'essaie de me rapprocher, mais je ne peux plus. Je sens ce sérum m'envahir tout entier, dans ma bouche, mes oreilles. J'ai l'impression d'avoir du coton à la place du cerveau. Je ne sens plus rien, je ne pense même plus à Juliet. Je veux me sortir de là, et je repense à ma vie, qui sera certainement bientôt achevée : mes parents en mission permanente, toujours à essayer de trouver le parfait équilibre, mes premiers amis, mon initiation, mes débuts, et quand tout a chamboulé, que Juliet s'est fait une place dans ma vie... J'inhale difficilement ce que je pense être de l'air, mais c'est ce sérum. J'halète, je lutte pour que mes poumons fonctionnent. Ma main se détache de la barre et tombe par terre, inanimée. Je ne peux plus bouger. Je sais que je vais mourir. Et nous mourrons ensemble.