Doctor Who Alternative: L'Heure des Choix

Chapitre 24 : Chapitre 23: Choisir?

5761 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 16:17

Ainsi devaient s'achever les choses. Sur un choix. Le plus terrible des choix. Le Docteur devait désormais décider, soit de rester dans cette pièce et ainsi de n'avoir jamais existé, ou bien de sortir et de vivre à jamais avec une horrible culpabilité.

 

S'il sortait dehors, alors quelle serait sa vie? Une vie de dépression? Une vie remplie à ressasser le passé et à tenter de se construire un avenir inutile et impossible? Le TARDIS serait mort, détruit de l'intérieur. Sa raison de vivre, tout ces voyages dans l'immensité du Temps et de l'Espace, aurait disparu avec lui. Implosée dans son esprit. Mais elle ne serait pas effacée pour autant, et elle serait toujours là, douloureux désir impossible à satisfaire. Quoiqu'il avait peut-être une planète entière à découvrir, derrière ces portes. Mais aurait-il le cœur à cela? Et aurait-il le temps? Bien sûr qu'il aurait le temps. Il avait devant lui des milliers d'années de vies, onze régénérations... Onze autres visages, qui peut-être verraient les choses différemment. Mais onze visages si lointains, si artificiels, si hypothétiques, depuis cet instant et cet endroit précis. Onze autres visages, soit douze vies, en comptant la sienne. Douze vies dont au moins une à se morfondre. Douze vies à attendre, pour rien, à explorer une planète probablement dénuée de beauté. La planète la plus proche qu'avait pu trouver le TARDIS. Et encore, avec un peu de malchance, la Grande Intelligence avait peut-être détourné le vaisseau pour qu'il atterrisse sur une planète hostile, sans vie, très petite, et qui ne serait jamais colonisée. S'il sortait, il devrait vivre des milliers d'années sur une simple planète, sans espoir de la quitter. Et surtout, s'il sortait, n'accepterait-il pas en quelque sorte cette horrible "vérité"? N'accepterait-il pas, en abandonnant son vaisseau, son passé, ses voyages et sa vie, d'y abandonner son titre? De le laisser s'effacer de sa vie, celle du douzième? N'était-ce pas donner raison à son ennemi? Et il laisserait l'Univers seul, sans aide...

 

Mais s'il restait, s'il s'effaçait... S'il n'avait jamais existé, que ce passerait-il? Orso mourrait. La dictature de Prog ne serait jamais renversée. Rotiart allait voler la technologie du Régénérateur, et tenter de prendre la galaxie d'Andromède, ou bien la ramener à l'Infinium. Ceux-ci prendraient le contrôle de la Terre. Et qui sait ce qui serait arrivé à Coxtin. Mais pourtant... Pourtant rien de cela n'était important. Le Titanic avait bien coulé, le Docteur ne l'avait jamais sauvé. Et le monde y a survécu. Il s'était construit autour de ce drame, et les normes de sécurité avaient changé sur les navires. Après tout, les résistants sur Qatros auraient très bien pu faire leur révolte tout seul. Dans le sang, certes, mais ils l'auraient faite par eux-même. Rotiart aurait peut-être pu être arrêté à temps, par l'Église de Tasha, par exemple. Witnink et le jeune Peter Lird n'aurait pas à mourir. Mais il y avait la Terre... Le vaisseau de l'Infinium, les satellites et l'Illusionniste. Sauf qu'il y avait aussi la Proclamation de l'Ombre, prête à intervenir.

L'Univers pouvait se débrouiller sans lui. N'était-ce pas une terrible réalité qu'il découvrait? L'Univers n'avait pas besoin de lui. Mille autres années ou presque avaient passé depuis la dernière fois qu'il l'avait compris. C'était son visage précédent qui l'avait réalisé. Après mille années passées à sauver l'Univers, il avait compris une chose. L'Univers s'en fichait. Un millénaire de plus, et cela restait tellement vrai. L'Univers s'en fichait. L'Univers ne le remerciait jamais, l'Univers lui lançait qu'il n'était plus le Docteur, qu'il avait déchu et trahi son propre passé, et lui il voulait encore sauver l'Univers. Pour quoi faire? Pourquoi l'aider encore? Les regards de ses anciennes incarnations se faisaient lourds derrière lui, malgré qu'il ne s'agissait que d'hologrammes. Derrière lui son passé le jugeait encore. Mais son passé n'était rien. Son passé avait vécu dans l'illusion de servir à quelque chose. Alors que l'Univers ferait très bien sans lui... Alors qu'il y avait plus important que l'Univers.

Il y avait Clara. Cette jeune femme qui avait la vie devant elle, qui était amoureuse, qui avait un travail, des élèves, une famille. Une Fille Impossible à qui il devait la vie plus qu'à quiconque. Une Clara qu'il avait sacrifiée. Ne méritait-elle pas de vivre? Que valait l'Univers, qui se fichait du Docteur, face à une personne qui avait tant fait pour lui? Que valaient toutes les vies, sinon rien, face à la sienne?

 

« L'Univers s'en fiche... murmurait-il. Il ne veut pas de moi, il n'a pas besoin de moi...

- Alors qu'elle, elle a besoin de vous! renchérit son propre hologramme.

- Mais elle ne s'en souviendra pas... Elle ne saura pas le sacrifice que j'aurais fait pour elle... réalisait le Seigneur du Temps. Elle vivra les évènements tels qu'ils auraient du se produire. Elle n'aura même pas conscience de cette existence. De toute cette vie qu'elle a vécue ensuite.

- Mais elle vivra. Ne vaut-il mieux pas qu'elle vive, et que vous mourriez à ses cotés, de vieillesse? N'est-ce pas mieux pour vous de vous éteindre, à la fin de votre longue vie de Seigneur du Temps, après douze régénérations, et de la savoir en vie, que de vivre encore tout un autre cycle de vos vies et de la voir mourir dans cet âge si jeune? N'est-il pas plus juste que l'ancien parte en paix et que la jeune vive sa vie?

 

Le Docteur renifla, alors que d'autres larmes coulaient sur son visage tâché du sang séché qui s'était échappé de son nez, qu'Oswin avait frappé à Londres. S'il restait... Il allait voir sa vie se rembobiner. Revenir en arrière, jusqu'à sa naissance... Aurait-il l'occasion de voir Clara comme il avait vu Amy? Aurait-il la chance de survivre dans les souvenirs de sa compagne? Peut-être. Mais il ne devait pas. Non, il ne fallait pas. Parce qu'elle devait l'oublier. Elle devait l'enterrer au plus profond d'elle-même, elle devait dire adieu à tout cela. Elle devait vivre. Elle devait vivre sans avoir connu cet horrible Docteur qu'il avait été. Elle devait vivre sans aucun souvenir de ces voyages, de ces horreurs. Elle ne devait jamais savoir que Clarisse avait ne serait-ce qu'existé, car celle-ci ne devait jamais avoir existé. Elle ne devait jamais voir ce qu'elle avait vu. Elle devait vivre avec, en sa mémoire, le Docteur qu'il avait été un temps durant. Elle devait se souvenir de ce joyeux vagabond, ce fou voyageant dans une boîte bleue, faisant face à une planète vampirisant les souvenirs, ramenant à la raison un guerrier des glaces prêt à détruire la Terre. Elle devait vivre avec la seule et unique idée que le Docteur, son Docteur, était ce jeune homme fringant, habillé d'un nœud-papillon, prêt à défendre la veuve et l'orphelin, et à montrer de fantastiques merveilles. Jamais elle ne devait se souvenir de lui, cet horrible monstre qu'il était devenu, ce tueur, cet exterminateur. Celui qui ne valait pas mieux que les Cybermen, les Daleks et les Seigneurs du Temps réunis. Jamais personne ne devait s'en souvenir. Jamais personne ne devait savoir que le Docteur était devenu pareille erreur, car jamais pareille erreur ne devait se produire. Jamais. Non pas "Plus Jamais", mais "Jamais".

Lui, dans les derniers moments où son existence était bien réelle, il se souvenait aussi de ce vagabond. Il honorait une de ses promesses, celle qu'il avait faite en jurant de se souvenir de cette vie. Il se souviendrait toujours de ce temps où le Docteur fut cet homme, qu'il avait critiqué et raillé durant toute sa nouvelle vie, alors que maintenant il découvrait que cette dernière incarnation, cette vie qui aurait du en s'achevant achever celle du Docteur, était celui qu'il aurait du être, par les actes tout du moins. Et la précédente aussi. Et presque toutes. Il n'honorait pas son passé. Il changeait mais avait oublié qui il avait été, quel était l'héritage qu'il portait. Et il était devenu la Bête,la Tempête qui Approche et qui prend tout sur son passage.

 

- Elle ne doit pas se souvenir... Elle doit oublier, ne jamais avoir vécu cela... chuchotait-il en reniflant, la tête baissée. Et moi aussi. Je...

 

Il releva son visage et fit face à son hologramme. Son regard de honte et de tristesse face à son regard de glace et de distance.

 

- J'ai... J'ai fait mon choix.

 

Le sourire satisfait qu'il avait tant eu durant les derniers mois s'afficha sur le visage de l'hologramme... Le cloche du cloître avait sonné encore et encore, et l'Heure des Choix s'achevait ici, et maintenant. Le Docteur restait. L'implosion était proche. Et au plus profond des champs télépathiques et des systèmes du TARDIS, la Grande Intelligence jubilait de cette victoire finale.

 

- Non... murmurait Adrian. Vous ne pouvez pas faire ça... Vous ne pouvez pas! Pensez à Jonas, bon sang! Il mourra sur sa planète, lui!

- Pourquoi devrait-il mourir? Il pourrait très bien survivre, participer à une révolution... Qatros se libérera bien toute seule...

- Alors pensez à Gallifrey! À votre peuple, votre propre peuple, que vous avez enfin sauvé! Vous voulez qu'ils meurent tous?

- Mais ils ne valaient pas mieux que les Daleks, et...

- Mais ça c'étaient les dirigeants, les nobles, les guerriers! Il y avait bien des gens honnêtes, des innocents, des enfants, sur Gallifrey! Vous allez les laisser brûler? Mourir dans le néant qui sépare les univers, le void, parce que vos fichus calculs ne seraient pas corrigés?

- Il n'y a pas d'autres possibilités! coupa l'hologramme. Soit il sort, soit il reste. C'est son choix de rester!

 

Adrian réfléchissait à toute vitesse. Il fallait trouver le compromis. Le fameux compromis, qui n'était jamais simple, mais qu'il y avait presque toujours. Il y en avait un. Il le savait. Il le sentait. Au plus profond de lui il sentait que cela ne pouvait pas se terminer ainsi. Que cela ne devait pas se terminer ainsi.

 

- On peux réparer le TARDIS, Docteur.

- Non. Cela prendrait trop de temps. Et puis... Il rejetterait les réparations, expliqua le Seigneur du Temps en faisant un signe de tête vers son hologramme.

- Ou alors... On peux déclencher une régénération du TARDIS! Cela le réparerait, et détruirait la Grande Intelligence!

- Sauf que je bloque le système de régénération! coupa celle-ci.

 

Le jeune homme commençait à trembler. Son angoisse montait de plus en plus. Sa fin aussi approchait, s'il restait ici. Enfin, il ne pourrait pas se retrouver ici ou dehors après l'effacement de ce Docteur. Tout ce qu'il avait vécu avec lui aurait été effacé aussi. Il n'y avait aucune issue. Aucun compromis. Plus rien d'autre que ces deux possibilités. Et ce choix avait déjà été pris par un autre. Il fallait se rendre à l'évidence. Il n'y avait rien à faire d'autre.

 

 

Et alors, au fond de lui, il sentit. Il comprit. Son visage s'éclaira peu à peu, ce qui n'intriguait même plus le Seigneur du Temps, lassé par la vie et par tout cela.

 

- Il y a un compromis... chuchotait le jeune Sparrow.

- Bien sûr que non...

- Si, il y en a un!

- Même s'il y en avait un, je ne voudrais pas le prendre. Vous savez très bien que ces compromis sont horribles.

- Oh, celui-ci le sera, Docteur, mais c'est le moins pire de tous.

- Arrêtez de divaguer et de dire des stupidités de ce genre! coupa l'hologramme. Il n'y a aucun moyen d'échapper à ce choix.

 

Adrian prit une profonde inspiration, et fit face à la projection de l'alien, qui se trouvait devant la porte.

 

- Et ben en fait... Si, il y en a un. Un qui résoudrait tout les problèmes. Le TARDIS survivrait, serait réparé, vous, vous disparaîtriez à jamais, et vous, Docteur... vous n'auriez plus à... "vous soucier de vos actes". De ceux que vous avez commis et que votre mentalité vous aurait poussé à commettre.

- Le TARDIS ne peux pas se régénérer, je vous l'ai déjà dit! répéta le faux Seigneur du Temps.

- Bien sûr que si.

- Bien sûr que non! Il est sous mon contrôle.

- Et alors? Imaginez une créature vivant de la chasse, une créature carnivore. Contrôlez son esprit, et essayez de l'empêcher de manger. Ensuite, mettez-la au milieu d'une table remplie de viandes en tout genre. Vous aurez des difficultés à la retenir, parce que l'instinct reprendra le dessus. Mettez-lui une de ces viandes dans la bouche, et là elle ne répondra plus de rien. Elle dévorera tout ce qu'elle peuT.

- Sauf que nous ne parlons pas de viandes! asséna l'hologramme avec un ton méprisant. Il s'agit d'énergies surpuissantes, de régénérations et de machine temporelle.

- Absolument... murmura le Docteur derrière Adrian.

 

Le jeune homme se retourna, et son regard assuré, le regard de celui qui avait trouvé la solution, croisa le regard si triste et angoissé de l'alien. Le Seigneur du Temps avait honte de lui-même et de ce qu'il était devenu. Il aurait voulu tout effacer...

 

- Il faut parfois assumer ses erreurs... continua Sparrow avec une voix vaporeuse et teintée de respect pour la pauvre créature qui souffrait de ses mots et de ne serait-ce que d'imaginer ce qu'il proposait. Je ne suis pas fier des miennes, Docteur. Mais je les assume. Maintenant, en tout cas, je les assume. Tant celles avec Clarisse que celles avec d'autres. Quelqu'un, un jour, m'a dit que je devais assumer mes erreurs. Qu'on devait tous les assumer.

 

Il s'avança vers l'alien, et leva légèrement son visage, pour continuer à fixer le Seigneur du Temps.

 

- Mais avant de dire cela, ce quelqu'un a bien du l'apprendre. Il a bien du assumer ses propres erreurs, non? Ses propres errements. Tout les sacrifices qu'il a entrepris au nom d'on-ne-sait-trop-quoi. Il a du assumer que parfois, pour lui, la fin justifiait les moyens. Sinon comment aurait-il pu me dire de faire de même?

 

En entendant ces mots, le Docteur se raidit. Son regard devint presque effrayé en comprenant ce que Adrian venait de dire. Il avait vécu son futur. Il avait eu un futur. Il y avait bien une possibilité de survivre à tout cela. Il y avait bien ce compromis... Une idée qu'il avait vite comprise lorsque Sparrow l'avait évoquée, mais qu'il avait refusé d'admettre. Et alors, son regard si effaré face au mystère qu'était le jeune homme, devint reconnaissant. Une autre larme silencieuse coula sur sa joue, alors que "l'Étranger" avait un triste sourire compatissant. Et après avoir fermé les yeux encore une fois, pour reprendre ses esprits, le Seigneur du Temps se tourna vers la porte, et appuya ses mains sur la console brisée derrière son dos, alors que la cloche du cloître sonnait encore.

 

- Je crois que... je crois que je suis toujours le Docteur. Je veux le croire. Et je me fiche de ce que vous allez dire. Ce n'est pas à ses ennemis que l'on doit faire confiance. J'ai fait des erreurs, oui. J'ai fait des choses que je commence presque à regretter. Non... Non, non, et non, ça ne va pas. Autant être honnête, de toute façon. Je les regrette. Pas toutes, c'est vrai. Je regrette avoir forcé ces esclaves à faire exploser leur propre vaisseau... Mais je ne regrette pas d'avoir transformé le traître en esclave. Et je ne regrette pas d'avoir fait condamner Prog à mort. Ni même d'avoir jeté Night et l'Illusionniste dans le vide. Non, ce sont des choses que je ne regrette pas. Et pourtant je devrais... Je le sais bien! Mais au fond de moi, ça ne marche pas. Ce que je suis me dit que c'était nécessaire, que c'était ce qu'il fallait faire. Au plus profond de moi, je suis satisfait de ces actes... Pourquoi? Je n'en sais rien... Mais c'est ainsi. Mais je veux croire que je suis le Docteur. L'homme qui rend les gens meilleurs. J'assume avoir été cruel, lâche, et avoir cédé. Mais je ne veux pas abandonner. Je ne veux pas céder à nouveau, céder à la facilité de pouvoir tout effacer comme ça. Parce que c'est lâche, et même cruel, d'une certaine façon. Et sortir dehors l'est tout autant. Parce que l'Univers a beau n'avoir rien à faire de son Docteur, le Docteur, lui, en a quelque chose à faire de l'Univers.

 

Il inspira une grande bouffée d'air, et la souffla lentement, puis fixa à nouveau l'hologramme, alors que la cloche du cloître sonnait de plus en plus fort.

 

- Alors peut-être n'ai-je pas été le Docteur durant toute cette vie. Peut-être que durant les dernières heures j'ai fait honte à mon passé. Mais c'est terminé. Maintenant je fais face, et je fais mon choix. Je choisis de ne pas abandonner mon nom, de ne pas détruire cette promesse millénaire, alors que j'ai tant d'années devant moi. Pour tout ceux qui m'ont précédé, tout ceux que j'ai été, pour que tout ce qu'ils ont fait vaille la peine d'avoir été fait... C'est eux que je choisis. C'est ce qu'ils sont que j'honore dans mes derniers moments.

 

L'hologramme, bien qu'il n'était qu'une projection entièrement contrôlée par la Grande Intelligence, parut surpris, et commença presque à montrer des signes de peur.

 

- Vos... derniers moments?

- Faisons cela dans les règles, voulez-vous? Je crois que j'ai pris l'habitude de prononcer trois mots. Trois mots implacables qui annoncent que oui, ce sont les derniers moments. Qu'il n'y a aucune autre échappatoire, à part peut-être la mort pure et simple.

- De quoi parlez-vous? Qu'allez-vous faire?

- Ça a commencé, asséna le Docteur en lâchant la console et levant sa main droite devant son visage.

 

Celle-ci semblait comme habitée d'une lueur intérieure, d'un jaune éclatant, presque blanc. Autour, une légère fumée jaunâtre s'échappait de sa peau. Et la même lueur commençait à habiter le bas de son cou. Et ses yeux humides lançaient désormais un regard bien plus assuré et dangereux. Un regard de défi, un regard presque cruel de victoire.

 

- Vous ne pouvez pas faire ça! cria l'hologramme.

- Bien sûr que si. Et devinez quoi? En faisant cela, je mets la viande dans la bouche de la bête. Je nourris le TARDIS d'énergie régénératrice, et là, il suivra. Il se régénérera lui-même, vous détruisant avec. Et moi je n'aurais pas à m'inquiéter de ces sentiments horribles qui n'habitent, de cette satisfaction que j'ai d'avoir provoqué la mort ou pire. Je serais parti. Mort à jamais, remplacé par un autre ou une autre. Un inconnu qui honorera mieux la promesse que je ne l'aurais fait.

- C'est de la lâcheté, Docteur! C'est vous dérober!

- Non, ce n'en est pas! Vous savez ce que cela demande de se supprimer soi-même? Vous pensez que je survivrai, mais vous ne savez pas ce qui m'attend. Je vais mourir, peu à peu, et chacun de mes actes va me poursuivre, jusqu'à se faner dans mon esprit. Je vais disparaître et ne jamais revenir. Et je vais me réveiller, en douleur, dans un nouveau corps brûlant, avec un esprit nouveau. Et ce ne sera pas moi. Il aura mes souvenirs, il aura mon expérience et mes connaissances, mais ce ne sera pas moi. Est-ce lâche de se confronter encore une fois à ses erreurs, alors qu'on les a assumées? Je les assume, et il y en a tant que je souhaiterais regretter!

 

Il avait ramené ses deux bras le long de son corps, et replaça sa main devant lui, pour admirer la beauté de la force qui allait le détruire. La lumière et la fumée l'apaisait, malgré leur intensité. Dans ses doigts, il commençait à sentir la brise qui habitait le TARDIS. Ses nerfs gagnaient en sensibilité. Mais il n'eut pas le temps de fixer sa main plus longtemps: la Grande Intelligence n'avait pas terminé son combat.

 

- Alors au moins vous acceptez cette implacable réalité: vous n'êtes plus le Docteur!

- En disant cela vous acceptez une autre vérité: votre espérance de vie se compte en minutes à peine! Vous vous accrochez à la moindre petite parcelle de victoire. Laissez-moi vous dire que oui, parfois, je n'ai pas été le Docteur, et que oui, j'ai fait des erreurs, et je les assume. Et faire ce que je fait est comme une sanction pour moi. Mais n'essayez pas de dire que je ne suis plus le Docteur, vous m'entendez? Je suis le Docteur plus que je ne l'ai jamais été dans cette vie! La régénération est une loterie, mais je veux croire que je me rends meilleur. Je crois, au plus profond de moi, que ce n'est pas lâche de faire ainsi, ni cruel pour autre que vous ou moi. J'accepte ce traitement, et vous, vous n'avez pas votre mot à dire. Vous êtes bien plus horrible que moi.

- Vous cédez à une autre facilité, Docteur!

- Non, je ne cède pas, au contraire! Je ne cède pas à une autre facilité, je vous l'ai dit. Et je n'abandonne rien. Je n'abandonne pas ma promesse, je n'abandonne pas mes valeurs. Et je n'abandonne pas mon TARDIS, ni même l'Univers. Alors pour l'amour du ciel taisez-vous!

 

L'énergie emplissait son crâne, et il commençait à sentir la brise, les moindres mouvements d'air provoqués par Adrian, sur ses joues, son nez, son front et ses lèvres. Ses yeux devenaient de plus en plus sensibles, et les moindres contours de l'hologramme lui apparaissaient tellement faux, tellement artificiels, désormais qu'il voyait la réalité avec une vision si développée.

 

- Taisez-vous et laissez-moi choisir en paix. Certes, j'ai déjà choisi, mais si l'Heure des Choix doit sonner, c'est maintenant. Laissez-moi sauver ce TARDIS, laissez-moi sauver le Docteur. Si je fais tout cela c'est en son nom, et rien que pour cela taisez-vous. J'ai vu des gens mourir dignement face à moi. Et j'en ai tué de façon si indigne... Taisez-vous, et laissez-moi profiter de ce dernier instant. Laissez-moi mourir dignement. Laissez-moi mourir pour une cause qui vaut qu'on meure pour elle. Parce que je suis déjà mort, tant de fois. Parfois de vieillesse, parfois pour avoir défendu mes idées, parfois pour avoir défendu l'Univers. Parfois, même, pour avoir voulu sauver un innocent. Même un inconnu. Je veux croire que je meure ainsi, vous m'entendez? Tout les deux, vous m'entendez? Je veux croire que je sauve le Docteur, cet innocent. Je veux croire que je protège l'Univers. Laissez-moi croire cela. Taisez-vous et laissez-moi mourir ainsi.

 

Il ne sentait plus ses mains, ainsi qu'une grande partie de son corps. Sa tête elle-même commençait à se couper de son cerveau, et de ses sens. Il sentit une dernière fois la brise qui passait dans le TARDIS, eut une ultime inspiration... Il y eut un silence pendant quelque seconde, qui ne fut coupé que par la cloche qui continuait de sonner régulièrement, et le sifflement qui émanait de son corps. Et alors, en lançant ses derniers mots, il expira:

 

- Laissez-moi mourir en Docteur. »

 

Le Seigneur du Temps ne sentait presque plus son cou, ainsi que ses lèvres et ses joues. Il était comme flottant dans le vide, et sa vue commençait à se brouiller, alors que ses nerfs étaient tant remplis d'énergies, tellement sensibles, qu'ils étouffaient de cela. Cette puissance, d'ailleurs, s'échappait déjà de ses mains, dans un torrent de faible débit. Il réussit, tant bien que mal, à en diriger une vers la console, qui commença à absorber cette lumière orangée. De son visage aussi l'énergie s'échappait. Il sentait qu'il y en avait encore bien plus à revendre, à rejeter. Devant lui, l'hologramme ne réagissait plus, de même que tout les autres autour de la console. La Grande Intelligence devait vouloir s'échapper. Mais elle n'aurait jamais le temps, ni la possibilité de le faire.

Le Docteur réussit à lever son visage, brutalement, car il ne contrôlait plus ce qu'il faisait avec grande précision. Sa vue se brouillait encore plus, et il voyait les rondelles brisées, et l'énergie de régénération qui s'échappait de son visage, en un faible torrent. Et alors il ferma les yeux, prêt à revivre, pour la quatorzième fois dans sa vie, le pire des martyr. Après quelques secondes, il comprit qu'il ne pouvait plus les ouvrir, qu'il n'en avait plus la force. La lumière qu'il voyait à travers ses paupières disparut, et il comprit que sa vue était partie. Le sifflement de la régénération s'éteignit juste après, et alors il plongea dans ses souvenirs.

 

Et dans la salle de contrôle, brusquement, son corps lâcha le torrent, le vrai. L'énergie régénératrice s'échappa de ses mains à toutes vitesse, avec une force telle que son dos et ses bras se tendirent, le mettant en forme de croix. L'énergie, jaune-orangée, éclaira la pièce, et fonça à toute vitesse pour venir frapper les murs, tandis qu'elle s'échappait avec la même rage de sa tête, pour venir s'étaler dans les rondelles. Celles-ci commencèrent à l'absorber, tandis que le flot provenant de ses mains s'insinuait dans les cicatrices, les fentes des parois. Et alors que le visage du Docteur commençait à changer, que son menton s'élargissait, que ses pommettes prenaient plus de relief, et que ses cheveux changeaient lentement de couleur, et que tout son corps semblait grandir de quelques centimètres, une fumée jaunâtre s'échappa de la console, et des fissures. Le rotor temporel s'emplissait lui aussi de cette nouvelle énergie. Et alors que le Seigneur du Temps brûlait sa quatorzième régénération, et que le TARDIS lui-même s'apprêtait à renaître, les hologrammes disparurent, tous. La Grande Intelligence fut détruite par la machine temporelle. Et au milieu de ces flots de lumières, d'énergie et de chaleur, au milieu de cette mort et de cette vie, de ces renaissances qui emplissaient l'atmosphère, un être continuait et restait le même. Personne en cet instant ne put voir Adrian, souriant, qui jubilait presque. C'était comme s'il riait de joie, de bonheur. Quiconque dans ses yeux qui commençaient presque à s'emplir de larmes y voyait un soulagement et une joie des plus grandes. Mais personne ne put le voir. Personne ne put comprendre que son mystère était bien plus encore que ce que l'on imaginait. Mais l'homme qui venait de prendre la place du Seigneur du Temps, celui dont le corps nouveau et l'esprit nouveau allaient bientôt se relier, celui qui quelques secondes plus tard allait naître, lui, allait vite le comprendre, que ce mystère état bien plus grand et épais que ce que l'on pouvait croire. Leurs vies étaient liées, l'avaient été et le seraient. Et si Adrian ne le savait pas encore, pas totalement, il le comprenait, il le ressentait, il le devinait. Et sa quasi-euphorie et son soulagement grandissant, bien qu'ils étaient de véritables sentiments, cachaient l'angoisse qui l'habitait. L'angoisse grandissant au fur et à mesure que le temps passait, que les secondes fuyaient. L'angoisse de ce cri de douleur que le 13ème Docteur allait laisser s'échapper en naissant brusquement dans un corps inconnu. Ce cri qui annonçait qu'après l'Heure des Choix viendraient d'autres heures... Des heures inconnues qui l'effrayaient. Des heures inconnues qui sonneraient avec ce cri.

Et le Docteur cria.

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