Les chroniques d'Arkanie T.1 : Cybard

Chapitre 6 : Le tournoi

4167 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/04/2017 20:02

Lorsque le soleil commença à poindre derrière sa fenêtre, Freya n'était toujours pas parvenue à refermer l'œil. Elle renonça et décida de s'asseoir sur son matelas en attendant l'arrivée d'Alpaïde, qui ne devrait plus tarder. Celle-ci venait lui porter son petit-déjeuner à l'aube.

Des coups furent frappés à la porte pendant que le regard de la princesse papillonnait jusqu'aux rideaux, entre lesquels filtrait la lumière du jour. Un rayon aveuglant s'engouffrait à l'intérieur, qui cessa de l'éblouir après un moment passé à l'observer sans ciller.

- Entrez, invita Freya quand elle se fut arrachée à sa contemplation.

La domestique apparut, un large plateau entre les bras. Il croulait sous les victuailles et la jeune noble, qui avait peu d'appétit au réveil, le lui rendait souvent à moitié plein. Elle prit un morceau de pain, qu'elle avala avec un peu d'eau, avant de proposer une pomme à Alpaïde.

- Oh non, Altesse, je n'ai pas le droit d'accepter !

- Pourquoi donc ? répliqua Freya. Ce n'est pas du vol, puisque je te l'offre. Tu sais aussi bien que moi que je ne la mangerai pas et que tu devras la ramener à la cuisine. Prends-la, personne n'en saura rien.

La suivante esquissa un geste timide en direction du fruit, que la princesse lui glissa entre les mains. Alpaïde la remercia pour sa générosité, sans pour autant croquer dans la chair rouge et appétissante de la pomme. Elle jugeait inconvenant de la goûter devant sa maîtresse.

Freya avala encore une grappe de raisins, puis repoussa le plateau encore bien garni. La domestique s'empressa de le saisir et d'aller le poser sur la petite table, installée à proximité de la fenêtre, dont elle tira les rideaux au passage. Elle se dirigea ensuite vers l'armoire.

- Quelle toilette votre Altesse désire-t-elle porter, aujourd'hui ?

- Une tenue assez pratique. Je serai installée dans la tribune royale pour le tournoi d'épée et les escaliers sont très étroits, or je vais devoir les emprunter plusieurs fois.

Alpaïde parcourut un instant les robes qu'elle avait sous les yeux, puis en décrocha une. De couleur pourpre, elle était moins ample que celle que Freya avait portée la veille. Elle était aussi plus courte et les manches épousaient la forme des bras, au lieu de s'évaser à partir du coude.

- Cela vous sied-il, Altesse ?

- Ce sera parfait, je te remercie.

Freya s'apprêta en silence. Elle était d'ordinaire plus bavarde que cela, le matin, mais le manque de sommeil la rendait moins loquace. Elle ne s'exprima pas davantage lorsqu'Alpaïde s'occupa de ses cheveux, ni lorsqu'elle la parfuma.

- Souhaitez-vous porter une parure ? interrogea la servante.

- Mon collier d'améthyste. C'est un présent de Judicaël, qui me l'a rapporté du Calverne, il y a deux ans. Il sera enchanté de le voir à mon cou. Il m'a demandé de l'encourager durant le tournoi, ce sera une preuve supplémentaire de mon soutien.

- Pensez-vous qu'il puisse le remporter, Altesse ?

- La chance sourit presque toujours à Judicaël, mais je crains que cela ne suffise pas, aujourd'hui. La bonne fortune ne lui permettra pas de venir à bout de tous ses adversaires. Je connais nombre de chevaliers dont la technique est supérieure à la sienne.

- Les chevaliers de sa Majesté sont des hommes vigoureux, commenta Alpaïde. Je ne serais pas étonnée que l'un d'eux soit victorieux.

- Ceux du Calverne sont aussi de redoutables combattants. J'ai ouï dire que des membres de la garde personnelle de Lydéric allaient participer. Gageons qu'ils s'en sortiront très bien.

Alpaïde recula de quelques pas, après avoir attaché le bijou qu'elle avait été cherché dans un petit coffret au cou de sa maîtresse. Freya se contempla un bref instant dans le miroir. Elle était peu soucieuse de son apparence, en dépit de sa beauté naturelle, mais elle tenait à paraître élégante afin de satisfaire la volonté de ses parents. Tout comme sa mère, elle devait représenter l'Arkanie en matière de charme et de joliesse.

- Votre Altesse désire-t-elle autre chose ? s'enquit la domestique, une fois qu'elle eut achevé de la préparer.

- Décroche ma cape, s'il te plaît. Même si je suis très en avance, je ne peux contenir mon impatience. Retrouvons mon frère et mettons-nous en route.

Alpaïde obéit. Elle prit le manteau de Freya et le conserva sur son bras. Tant qu'elle n'aurait pas quitté le château, la princesse n'aurait pas besoin de le vêtir. Il ne lui servirait qu'une fois à l'extérieur, pour se protéger de la rigueur du vent qui soufflait sur Maarmé tous les matins.

Freya se rendit aux appartements de Cybard, où elle dut patienter un long moment, car ce dernier n'était pas prêt. Le prince, en plus de son tempérament étourdi, souffrait d'un cruel manque de ponctualité. Il était incapable de respecter les horaires convenus, même lorsqu'il se donnait du mal pour y parvenir.

La jeune femme était en train de faire les cent pas devant sa porte lorsque Cybard sortit enfin, escorté par son domestique personnel, Anthelme, un garçon roux et maigrelet. Freya l'embrassa son frère sur la joue pour le saluer, puis l'exhorta à partir sans plus tarder pour l'arène où se déroulerait le tournoi.

- Très chère, réfrénez votre enthousiasme ! la taquina-t-il. Cet évènement n'est-il pas censé être organisé en mon honneur ? Si quelqu'un devait se montrer excité, il s'agirait de moi.

- Ne l'étiez-vous pas, hier, devant ces bardes ? Et cette pièce de théâtre, que j'ai choisie pour vous, ne vous a-t-elle pas ravi ?

- C'était plaisant, j'en conviens, mais pas au point de me plonger dans un état pareil au vôtre. Regardez-vous, vous me donnez l'impression d'être en transe, déjà grisée par l'énergie des combats.

Freya eut un petit rire pendant qu'ils marchaient de front dans un couloir, les serviteurs progressant dans leur sillage. Ils atteignirent les escaliers qui les conduiraient au rez-de-chaussée et, une fois en bas, Cybard constata :

- Vous portez le collier de Judicaël. Dois-je en conclure qu'il participe au tournoi ? Ce coquin ne m'en a rien dit.

- Je suis surprise que vous l'ayez remarqué, mon frère, vous qui avez pour habitude de nouer votre cape à l'envers. Comment avez-vous pu vous aviser d'un tel détail quand tant d'autres vous échappent ?

- Parce que je vous aime et que je vous prête une attention toute particulière. N'oubliez jamais que vous êtes le centre de mon univers, ma douce Freya.

L'intéressée se laissa charmer par ses propos flatteurs, puis répondit à sa question au sujet de Judicaël. La princesse s'attendait à croiser le Véronien avant de quitter le château, mais cela ne se produisit pas. Hormis le roi Lydéric et son épouse Valdrade, qu'elle aperçut dans la cour, ainsi que quelques nobles, Cybard et elle ne rencontrèrent personne.

- Je suis étonnée de la facilité avec laquelle j'ai pu convaincre Père qu'une telle surprise vous ferait plaisir, avoua Freya. Comment a-t-il pu croire cela ?

- Sans doute parce qu'il s'agit de son vœu le plus cher. Que ne donnerait-il point pour que je m'intéresse davantage aux armes qu'à la littérature, et que j'étudie la stratégie militaire au lieu de composer des vers à mes heures perdues. Père ne m'aime pas comme je suis. Il aime le fils qu'il voudrait que je sois.

Freya ne releva pas. Elle n'avait aucune envie de parler du mariage arrangé de son frère avec la princesse Énimia, or elle savait qu'elle ne pourrait l'éviter si la conversation se prolongeait. Les yeux de Cybard venaient d'ailleurs de perdre toute trace de bonne humeur. Pour la raviver, elle déclara sur le ton de la plaisanterie :

- Lorsque vous régnerez sur l'Arkanie, rien ne vous empêchera de faire appel à moi pour toutes les questions liées à la guerre et au combat.

De temps en temps, à l'insu de tous, Freya se rendait dans la salle d'armes, où elle s'exerçait à l'épée sur différents mannequins. Seul Cybard avait connaissance de ce secret, car elle savait que ses parents ne l'auraient pas approuvé. Même selon l'avis d'Auréa, pourtant plus accommodante que Gildas, une femme n'avait pas besoin de savoir se battre.

Comme Freya ne s'entraînait pas aussi souvent qu'elle le désirait, sa technique était médiocre et, faute d'avoir de réels adversaires, elle n'avait jamais pu tester ses capacités en situation de duel. Bien que cela ne compense pas les lacunes dont souffrait sa pratique, elle passait de longues heures à étudier dans la bibliothèque des livres qui traitaient du maniement des armes, ainsi que des batailles célèbres.

- Vous me complétez, affirma Cybard. Peut-être est-ce cela qui conviendrait le mieux à l'Arkanie ? Non pas un, mais deux héritiers. Vous et moi, pour permettre à ce magnifique royaume de demeurer prospère.

- Je n'ai pas besoin d'un trône pour cela. Vous savez très bien que, le jour où vous serez installé dessus, je me tiendrai juste à votre droite, pour vous prodiguer ces conseils dont vous aurez tant besoin. Je vous l'ai promis.

Tandis qu'ils s'éloignaient du château, la main du prince vint prendre celle de Freya et la pressa avec tendresse, avant qu'il lui adresse un sourire. Elle le lui rendit. Elle savait que c'était sa façon à lui de le remercier d'être à ses côtés et de lui rappeler qu'il aurait toujours quelqu'un sur qui compter.

***

Virgile, le forgeron, était étendu sur son lit, les yeux tournés en direction de la fenêtre. Il était encore en train de dormir lorsque l'agitation, dans la grand-rue du village, l'avait tiré de son sommeil. La douleur qu'il éprouvait au niveau de l'avant-bras s'était réveillée en même temps que lui.

Il avait commis une erreur de débutant en martelant le métal. Durant un instant, il s'était laissé distraire par la présence d'un visiteur et, à présent, il en payait le prix. Il continuait à souffrir du coup qu'il s'était lui-même infligé et qui lui avait brisé le poignet. À cause de cela, il avait dû renoncer temporairement à la pratique de son art et confier les rênes de la forge à sa fille, Alix.

Il avait la chance de pouvoir s'appuyer sur elle et il ne cessait jamais de le lui répéter. Grâce à son labeur, la jeune fille réussissait à gagner assez d'argent pour leur épargner la misère, dans laquelle ils auraient sombré sans son courage et sa détermination.

L'homme repoussa la couverture élimée qui le recouvrait et se redressa pour s'asseoir sur le lit. Il ramassa ses bottes, abandonnées sur le sol poussiéreux, qu'il enfila. Il se leva ensuite pour aller s'accouder à la fenêtre, curieux de découvrir la cause du chahut qui régnait au-dehors.

De nombreux villageois se pressaient, à l'extérieur. Tous parlaient très fort et ils semblaient excités par quelque chose. Virgile cherchait à comprendre ce qui pouvait provoquer un tel enthousiasme au sein de la foule quand un coup fut toqué contre la porte de sa chambre.

- Entre, invita-t-il.

Le battant pivota sur ses gonds et Alix pénétra dans la pièce, un plateau entre les mains. Il supportait un broc, ainsi qu'une miche de pain qu'elle avait achetée au boulanger. Elle lui adressa un sourire avenant, tout en déposant son fardeau sur la petite table de nuit branlante.

- J'ai hésité avant de venir, avoua-t-elle. Je craignais de te réveiller.

- Les habitants de Maarmé s'en sont déjà chargés. Tu entends ce vacarme ? Qu'est-ce qui se passe, aujourd'hui ?

- Le peuple a été convié par le roi Gildas à assister au tournoi d'épée, organisé en l'honneur de l'anniversaire du prince Cybard. L'aurais-tu oublié ?

- Ça m'était sorti de l'esprit, oui.

La main valide de Virgile se crispa sur le rebord de la fenêtre, qu'il serra avec force. Depuis qu'il était dans cet état, impuissant et inutile, il se laissait aller à la mélancolie, au point de ne plus se rappeler des jours qui s'écoulaient. Il se négligeait beaucoup trop, or c'était irrespectueux à l'égard d'Alix. Elle travaillait si durement qu'elle méritait mieux que cela de sa part.

- Père, je... commença cette dernière en triturant nerveusement le jupon rapiécé qu'elle portait pour ne pas salir ses autres tenues dans l'atelier.

- Tu as un problème ? Tu me parais contrariée.

- En aucune façon. Je... Puis-je te demander une faveur ?

- Tout ce que tu voudras. Tu m'es d'une si grande aide, je te dois bien ça.

- J'aimerais beaucoup assister à ce tournoi, Père. J'ai conscience qu'il faut que je reste, car ma présence est plus utile ici, mais... Quand on passe autant d'heures à fabriquer des armes, on est parfois tenté de souhaiter les voir en action, tu ne crois pas ?

Alix baissa les yeux, timidement. Elle se sentait coupable de soumettre une telle requête à Virgile quand elle était la seule sur qui il pouvait s'appuyer. Au début, aucune réponse ne lui vint, mais l'homme finit par détourner son regard de la fenêtre pour le ramener sur elle. Ses yeux brillaient d'une lueur bienveillante.

- Ce que je crois, surtout, c'est que tu parles comme une authentique forgeronne. Si je ne me rétablis pas très vite, il ne faudra pas longtemps à l'élève pour dépasser le maître.

- Père, tu me flattes. Je suis loin d'avoir ton niveau et rivaliser avec toi n'est pas mon intention. Je veux juste te rendre service.

- J'en ai conscience, mon enfant. C'est pour cette raison que je serais égoïste de t'empêcher de te distraire si tu le désires. À cause de moi, tu es obligée de réaliser des tâches qui m'incombent. Puisque l'occasion se présente, n'hésite pas. Amuse-toi.

- Vraiment, Père ? Mon absence ne risque-t-elle pas de te poser problème ?

- Tu es à jour dans tes commandes, et si de nouveaux clients se présentent, je suis capable de les accueillir. Je suis infirme, certes, mais je peux encore servir à quelque chose. Qui plus est, je doute que beaucoup de monde ait l'idée de se rendre à la forge aujourd'hui alors que, d'après ce que je peux voir, tout Maarmé a décidé de se rendre au même endroit que toi.

Alix inclina la tête avec reconnaissance. Virgile avait toujours été très bon pour elle depuis qu'il l'avait recueillie sous son toit, à l'âge de sept ans. Dès lors, elle s'était efforcée d'être la meilleure fille pour lui, aussi docile que serviable. Elle y parvenait plutôt bien, car il ne s'était jamais plaint d'elle.

- Je te remercie, Père.

- Cette joie qui illumine ton visage est la plus agréable récompense que je puisse espérer. Va te changer, à présent. Tu ne voudrais pas qu'on te voit moite et couverte de suie ?

- Non, en effet. J'y vais tout de suite. Merci encore, Père !

Alix lui adressa un sourire éclatant, puis quitta la pièce avec entrain. Virgile regarda la porte se refermer derrière et une expression amusée détendit ses traits. Cette jeune fille était le rayon de soleil que le hasard avait apporté dans son existence. Il était enchanté d'avoir croisé sa route, car elle éclairait sa vie depuis dix ans, désormais.

***

Les gradins qui encerclaient l'arène pouvaient accueillir plus d'un millier de personnes. Une tribune, drapée de tentures diverses et remplie de sièges en velours, surplombait l'espace dans lequel les différents compétiteurs allaient s'affronter. Elle était destinée à la famille royale, ainsi qu'à leurs invités. Les blasons des différentes contrées avaient été affichés dans le but de les honorer.

Des tentes avaient été dressées tout autour de la zone, pour permettre aux chevaliers de s'y retirer entre les joutes. Il n'y en avait pas assez pour tous les participants, raison pour laquelle ils se voyaient contraints de les partager. Lorsque Cybard et Freya pénétrèrent dans celle de Judicaël, ils découvrirent le Véronien en grande conversation avec son père.

- J'espère que nous ne vous interrompons pas, s'excusa la princesse.

- Que nenni, répondit Rustic. J'étais en train de conseiller à mon fils de se montrer aussi courageux que possible et perdre avec toute la dignité dont il se sent capable.

- Nous sommes tous assez unanime à ce sujet, affirma Judicaël. Même ma mère, qui a toujours confiance en moi, ne me voit pas dépasser la seconde joute. Pour ma part, je pense qu'il s'agira un miracle si je remporte la première. Ma seule chance de gagner un duel aurait été de vous affronter, Cybard.

- En effet. Face à moi, vous auriez même accompli l'exploit d'obtenir la victoire la plus rapide de l'histoire de la chevalerie en combat singulier.

Ils éclatèrent tous d'un rire franc, avant que Rustic frappe l'épaule de Judicaël pour lui témoigner son soutien. Le prince l'imita et Freya, plus tendre, déposa sur sa joue un baiser d'encouragement.

- Vous êtes bien aimable d'avoir choisi de porter mon collier, mais je crains qu'après cela, vous n'osiez jamais plus l'arborer en public, assura le jeune homme.

- Pourquoi avoir tenu à participer si vous redoutez à ce point l'humiliation ?

- Dans l'unique but de m'amuser. J'ai conscience que je vais être ridicule, mais je ne refuse jamais une bonne distraction. Et puis, regardez ce que cela me vaut : d'être embrassé par la plus belle jeune femme d'Arkanie.

- Si cela peut vous motiver, je vous promets un baiser pour chaque combat que vous remporterez.

- Diantre ! Voici que je me sens invincible, désormais ! plaisanta Judicaël, ce qui provoqua une nouvelle hilarité générale.

Cybard et Freya demeurèrent encore quelques minutes en compagnie du Véronien, jusqu'à ce qu'un coup de trompe soit sonné. Il indiquait aux participants qu'il était tant pour eux de se préparer, car le tournoi allait débuter sous peu. Le prince et la princesse décidèrent de prendre congé pour laisser Judicaël enfiler son armure en toute tranquillité.

Tandis qu'ils se trouvaient sous la tente, les gradins s'étaient remplis. Freya fut ravie de constater l'intérêt que les habitants de Maarmé portait à ce genre de divertissement, car ils étaient venus en masse. La plupart d'entre eux paraissaient aussi excitée qu'elle à l'approche des premiers coups d'épée.

Escortés par leurs domestiques, Cybard et elle rejoignirent la tribune royale. De temps en temps, des villageois les apercevaient. Elle leur adressait de grands signes de la main, ainsi que des sourires éclatants et, lorsque son frère le remarquait, il l'imitait. C'était fort rare, cependant, puisqu'il ne prêtait presque aucune attention à la réalité.

- Attention aux marches, jugea utile de l'avertir Freya, pendant qu'ils rejoignaient les places qui leur étaient réservées.

Auréa et Gildas étaient déjà installés sur de nobles sièges. La jeune femme s'assit à la droite de sa mère, Cybard à la gauche de son père, ainsi que le protocole l'exigeait. Le roi de Calverne et son épouse se trouvaient à côté d'eux. Le fauteuil du duc de Véronas était encore vide, puisqu'il avait choisi de s'attarder auprès de son fils.

Bientôt, les gradins furent pleins. Il ne restait plus un seul espace libre, ce qui témoignait du succès de l'évènement. Dans quelques instants, les chevaliers feraient leur entrée dans l'arène, leur heaume rutilant sous le bras, l'arme à la main afin de saluer la foule.

Freya trépignait d'impatience. Le spectacle s'annonçait de toute beauté et, grâce à la cassette de pièces d'or qui était promise au vainqueur, la motivation des combattants n'en serait que décuplée. Comme l'Arkanie était prospère et que l'argent ne manquait pas, Gildas avait pu se permettre de placer une telle somme en jeu.

- Ces festivités sont-elles à la hauteur de vos attentes, mon fils ? s'enquit Auréa en se penchant vers l'avant pour s'adresser à Cybard.

- Elles ne sauraient l'être davantage, Mère. Hier, les saltimbanques nous ont régalés grâce à des numéros de toute beauté, et la pièce de théâtre organisée au château n'aurait su être plus réussie. Quant à ce tournoi, gageons qu'il va nous apporter une grande joie.

Tout en prononçant ces paroles, il jeta un regard entendu à Freya, qui s'empourpra. Cybard ne lui tenait pas rigueur de l'égoïsme dont elle avait fait preuve à ce sujet, mais il aimait la taquiner. Il était si rare qu'il ait une bonne raison de se moquer gentiment de sa sœur qu'il refusait de s'en priver.

Une trompe sonna, afin de réclamer le silence auprès des spectateurs. Le calme se fit, si bien que l'on entendit bientôt plus que le vent souffler. Tout le monde semblait être en train de retenir sa respiration.

Un deuxième coup se répercuta en écho dans l'arène, pour annoncer l'arrivée des épéistes. À l'extrémité de l'arène, quatre domestiques se précipitèrent pour ouvrir une lourde porte, par laquelle s'engouffrèrent les hommes en armure. Les cuirasses étincelaient d'un éclat aveuglant sous les rayons pourtant pâles du soleil.

Ils étaient plus d'une quarantaine, en tout. Ils formèrent une ligne parfaite, orientée face à la tribune royale, et s'inclinèrent avec respect devant la noblesse qui y était rassemblée, avant de souhaiter en chœur un heureux anniversaire à Cybard. Le prince les remercia en se mettant debout et en leur bredouillant quelques mots d'encouragement.

Il n'était pas non plus un excellent orateur. Dès qu'il lui fallait s'exprimer devant un public, il peinait à articuler et éprouvait des difficultés à achever ses phrases. Malgré cela, les chevaliers parurent ravis.

Au milieu de ses rivaux, Judicaël fixait Freya, qui lui adressa une œillade complice. Il n'était pas nerveux. Au contraire, il donnait l'air d'être parfaitement détendu, ce qui était le cas. Puisqu'il savait sa défaite, voire son humiliation inévitable, il n'avait aucune raison de s'imposer une quelconque pression.

Le Véronien songea à se proposer pour être le champion de la princesse, mais il jugea, au terme d'une brève réflexion, qu'il valait mieux s'abstenir. De nombreux chevaliers d'Arkanie devaient convoiter ce titre et Judicaël ne voulait pas les priver de cet honneur alors qu'ils en étaient plus dignes que lui.

Un page s'approcha d'eux, un document à la main. Il s'agissait de la liste de tous les participants présents dans l'arène, qu'il entreprit de nommer un à un. Dans les tribunes, l'impatience gagnait Freya. Cybard, lui, se contentait d'observer ce qui se passait en contrebas d'un œil distrait et indifférent.

Dans l'arène, le jeune homme était sur le point d'achever sa lecture monocorde quand quelque chose d'inattendu se produisit. Il fut interrompu par l'ouverture des portes, qui s'écartèrent en grinçant. Les domestiques, chargés de cette besogne, affichèrent des yeux ronds, puisqu'aucun d'eux n'avait touché les battants.

Le public parut tout aussi étonné et quelques personnes se levèrent dans l'espoir de mieux comprendre ce qui se passait. Freya les imita, mais elle ne distingua rien d'autre que l'encadrement désert. Elle jeta un regard interrogatif à ses parents, pensant qu'il s'agissait d'une surprise supplémentaire pour Cybard, mais leur expression troublée lui indiqua qu'ils n'étaient pas plus préparés que n'importe qui à cette situation.

Les épéistes s'étaient retournés, intrigués. Un murmure s'éleva parmi eux, et au sein de la foule. Freya entendit Lydéric de Calverne déclarer à son épouse que c'était sûrement l'œuvre du vent, car une brise forte soufflait sur l'Arkanie depuis l'aube, et plusieurs furent de son avis.

Les servants, afin de mettre un terme à toutes les questions du public, s'empressèrent de saisir les portes pour les refermer. Ils étaient sur le point de le faire quand une silhouette apparut, achevant de stupéfier tout le monde.


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