Le cycle de la lune bleue

Chapitre 5 : Les sous-sols du Château

7503 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/12/2023 23:20

- Professeur Dumbledore ! répliqua l’homme. Cette fille a pénétré par effraction dans l’enceinte de notre Ecole, ce malgré les nombreuses protections hautement éminentes mises en œuvre, et pour le moment nous ignorons la manière dont elle y est parvenue ! Nous ne pouvons nous contenter de la laisser filer. Son identité nous est encore inconnue, nous ignorons ses intentions, l’étendue de ses pouvoirs ainsi que son appartenance magique...

- Il est vrai que nous ne pouvons la laisser partir, répondit le vieil homme. Du moins, pas avant qu’elle nous ait gratifié d’une explication quant à sa mystérieuse présence ici.

Le professeur Dumbledore, comme l’avait ainsi nommé l’homme au regard si sombre, observa la jeune femme derrière des lunettes en demi-lunes ; il semblait absorbé dans une profonde réflexion. Annily savait que son sort allait être décidé d’un instant à l’autre ; elle attendait, la respiration précipitée, mais elle avait cessé de se débattre. Elle sentait toujours la main de l’homme enlaçant son poignet, constatant avec soulagement qu’il avait desserré son étreinte, bien qu’il se refusât à rompre sa poigne. Il la surveillait du regard, et attendait comme elle le verdict du vieux professeur.

- Amenez-là dans votre bureau Severus. Je vous y rejoins, le temps de prévenir les autres professeurs. Severus, ajouta-t-il dans un sourire empreint de bienveillance, ne soyez pas trop brusque avec cette jeune personne ; ce n’est pas ainsi que vous parviendrez à obtenir quelque chose de sa part. Mais je pense qu’avec un peu plus de douceur et d’égards…

Sur ses mots, le professeur Dumbledore leur tourna le dos et s’éloigna tranquillement. Annily le regarda partir avec quelque inquiétude, se retrouvant de nouveau seule avec cet homme brutal qui venait de faire d’elle sa captive. En réalité, ils n’étaient pas vraiment seuls ; tout autour d’eux, les élèves dans leur totalité s’étaient regroupés à proximité et avaient observé la scène dans son intégralité, aussi immobiles que des statues dans un musée de cire, comme privés du geste et de la parole, en parfaits spectateurs d’une passivité déconcertante. Dans sa détresse, Annily avait totalement fait abstraction de ce qui l’entourait ! Elle prit enfin conscience des nombreux regards, certains craintifs, d’autres furieux, mais tous braqués sur leur professeur et cette mystérieuse inconnue. La jeune femme songea avec amertume qu’aucun d’entre eux n’était intervenu pour lui porter secours. Malgré tout, elle remarqua avec surprise une certaine compassion dans leur regard, et une aversion évidente envers l’homme. Celui-ci se tourna vers eux :

- Allez-vous en, tous ! aboya-t-il. Retournez dans vos salles communes ! Et en silence ! Vos Directeurs de Maison vous y rejoindront sous peu. Votre dernière heure de cours est reportée à une date ultérieure. Quant à vous, ajouta-t-il d’une voix doucereuse en se tournant vers la jeune femme, je vous prie de me suivre jusqu’à mon bureau. Amorcer une quelconque tentative afin de me fausser compagnie serait… fort malvenu de votre part…

Et dans un mouvement ample de la main, il lui indiqua la direction à prendre.

Annily n’avait plus vraiment le choix. A présent, l’école entière était au courant de sa présence, et personne ne semblait décidé à la laisser repartir ni à lui venir en aide. Elle ignorait encore pour quelle raison elle avait suscité un intérêt si vif enrôlant une telle défiance. D’un pas mal assuré, inquiète quant à ce qui allait advenir, elle passa devant lui, et tous deux quittèrent la cour, à la suite des élèves qui s’étaient empressés d’obéir à cet ordre impérieux et sans réplique. Ils passèrent une autre porte, longèrent quelques couloirs et traversèrent un hall immense, dont la hauteur démesurée était telle, que la jeune femme ne pouvait en apercevoir les limites célestes. Annily se souvenait avoir traversé cet endroit lorsqu’elle était arrivée, mais, hagarde et déconcertée par sa rencontre paranormale avec une toile vivante, elle n’avait pas éprouvé la tentation de le détailler davantage. Ce hall arqué d’une infinité de voûtes finement ouvragées, offrait l’accès à une multitude de portes en bois disséminées aux quatre coins du périmètre, chacune d’entre elles initiant une enfilade de salles et de couloirs qui s’enfonçaient dans les gorges du Château. En face de la Grande Entrée s’élevait un imposant escalier en pierre, majestueux par sa beauté architecturale ; il menait aux nombreux étages supérieurs, se scindant à chaque palier pour former une infinité de petits escaliers droits ou coudés, qui s’éparpillaient dans tous les sens. En plissant les yeux, Annily en aperçut quelques-uns pivoter dans les airs tels des girouettes, passant d’un palier à un autre dans un grincement sourd.

Certainement un mécanisme hautement perfectionné, tenta-t-elle de se persuader.

Mais la jeune femme avait le sentiment que ce Château allait lui dévoiler bien d’autres étrangetés, ne faisant qu’accroître son état de confusion. Elle poursuivit néanmoins son inspection rapide des lieux, pantoise. Les murs étaient longés de tableaux vivants de toutes les tailles et de tous les styles, ceux-là-mêmes qu’elle avait rencontrés lors de son arrivée fortuite – si tant est que l’on puisse « rencontrer » une toile. Illuminés sous la flamme de torches disposées contre la roche à intervalles réguliers, ils égayaient les lieux par leurs couleurs, leur beauté artistique et leur inexplicable mouvement. La jeune femme ne put cependant les observer davantage, car son « hôte », qui ouvrait à présent la marche sans pour autant se départir de sa vigilance, venait de la harponner du regard. Glacée par ces prunelles statiques dénuées de tout émoi, Annily renonça définitivement à toute tentative de s’y soustraire ; ce château semblait titanesque, ses multiples corridors labyrinthiques, et elle-même ne pouvait courir très vite ni bien longtemps – et pour aller où, finalement ? La jeune femme soupira de frustration et se résolut à suivre la voie qu’on lui imposait – pour le moment…

L’homme se déplaçait d’un pas rapide et leste, sa cape tourbillonnant dans son sillage. Il se saisit d’une des torches flamboyantes qui trônaient à sa portée et ils s’engouffrèrent à travers l’une des issues du rez-de-chaussée, à l’aspect plutôt lugubre et peu attrayant. Annily n’eut pas le loisir d’hésiter, son funeste guide l’ayant de nouveau saisie par le bras afin de l’inciter à poursuivre rapidement sans poser de questions. Ils suivirent durant de longues minutes un dédale interminable d’escaliers et de couloirs sombres, froids et austères, qui les menaient toujours un peu plus loin dans les profondeurs abyssales du château. Leurs pas résonnaient en écho sur le sol, accentuant la sensation d’oppression. L’air était glacial et chargé d’humidité, les murs gris dénués de châssis rougeoyaient sinistrement à intervalles réguliers à la lumière des torches, qui semblaient – fort heureusement – devoir durer éternellement. Annily avait la sensation d’évoluer dans une cave prolongée à l’infini.

L’homme s’arrêta finalement devant une vieille porte en bois, maintenue par des lanières de fer dont les extrémités étaient rongées par la rouille. Elle devait très certainement donner accès à son bureau, mais Annily ne put s’empêcher d’imaginer l’entrée d’une cellule carcérale. Déposant sa torche sur l’un des socles vides disposés de part et d’autre de l’entrée, l’homme leva sa baguette et la porte s’ouvrit d’elle-même, dans un grincement sinistre.

- Entrez ! ordonna-il d’une voix tout aussi glaciale.

Les mains devenues moites, Annily scruta l’intérieur, son regard se perdant dans l’obscurité peu rassurante de la pièce. Elle était sur le point de faire demi-tour et de repartir vers la lumière, mais elle refusa de céder à la panique et entra dans la pénombre.

- Lumos ! lança-t-il à sa suite.

Aussitôt, des torches s’enflammèrent dans un souffle, diffusant des ombres ondoyantes et gigantesques dans toute la pièce. Annily resta près de l’entrée et regarda autour d’elle : la salle était assez grande, fraiche et relativement humide. Dans le fond trônaient un fauteuil et un vieux bureau surchargé de livres, de plumes et de parchemins. Juste derrière, cachée dans l’ombre se tapissait une toute petite lucarne barricadée devenue inutile. Sur la gauche, dissimulant presque entièrement le mur, deux grandes étagères laissaient entrevoir des récipients de toutes tailles et de toutes sortes, allant de simples fioles remplies de potions et d’élixirs, aux bocaux diaphanes parfaitement alignés, qui renfermaient des herbes, des racines et des plantes, mais aussi toutes sortes de substances gluantes ou flottantes encore non identifiées. En les regardant plus attentivement, Annily crut y déceler des cafards empilés, des viscères fluctuants, quelques lamelles d’encéphale ainsi qu’une agglutination d’yeux ! Ecœurée, elle ne voulut pas les observer davantage et tourna promptement la tête de l’autre côté de la pièce. Son regard tomba sur une vieille cheminée sans feu, sans joie, et noircie par les cendres. Elle ne devait pas être utilisée très souvent… Décidément, ce bureau était terriblement glacial, terne, sinistre et sans la moindre touche de chaleur – exactement à l’image de son propriétaire !

L’homme referma la porte, s’avança jusqu’au centre de la pièce et se tourna vers Annily. La jeune femme était parcourue de frissons ; elle se serra près d’une torche et jeta de nouveau un regard vers la cheminée dans l’espoir - fou - d’y voir apparaître un bon feu brûlant… Naturellement elle se berçait d’illusions. L’homme se rapprocha lentement d’elle et lui intima de s’asseoir ; un second fauteuil venait d’apparaître ! Annily regarda avec effroi le siège qui, l’instant précédent, n’avait aucunement son existence en ces lieux, et fit un pas en arrière, comme si cette assise irréelle et contraire à toute logique allait l’engloutir. La jeune femme finit pourtant par s’exécuter ; elle était épuisée. L’homme la laissa un instant contempler son domaine. Il l’observait, méfiant mais intrigué ; elle ne ressemblait pas aux jeunes filles de son âge. Appartenait-elle réellement au Monde des Sorciers ? Elle n’en portait pas les habits traditionnels. Les siens étaient même assez étranges… Certes, l’homme ne possédait pas de réelles connaissances vis-à-vis des habitudes vestimentaires chez les Moldus, surtout chez les femmes, mais il était à peu près certain que ce qu’elle portait sortait de l’ordinaire : cette veste à la forme singulière et aux motifs étonnants ; ce petit haut parme à bretelles agrémenté de dentelles, si fin, si léger ; ce curieux petit pantalon beige, complexe par ses nombreuses finitions artistiques et qui ne descendait pas jusqu’aux chevilles… Et pourquoi n’était-elle pas chaussée ? Ses pieds nus, maculés de terre et de souillures, blessés par la longue marche que la jeune femme avait effectuée pour parvenir jusqu’ici, semblaient vaincus par le contact gelé du sol. L’homme agita de nouveau sa baguette, et l’instant d’après il déposa devant elle une paire de souliers fourrés.

- Mettez-ça, si vous ne voulez pas tomber malade, intima-t-il sèchement.

Annily avait si froid qu’elle n’osa protester, et glissa ses pieds meurtris à l’intérieur, ce qui ne tarda pas à adoucir quelque peu son inconfort. Sans la quitter des yeux, l’homme était retourné près de son bureau. Annily n’osait plus le regarder ; elle appréhendait de replonger dans ces yeux de charbon, dont la profondeur l’avait troublée sans qu’elle puisse en expliquer la raison, lorsqu’ils s’étaient trouvés si "proches"... La tête lui tourna à nouveau ; elle avait faim, elle avait froid.

Elle avait peur…

Peur de ne jamais se remémorer les souvenirs de son passé.

Peur de cet endroit insolite et totalement inconnu.

Peur de ces gens étranges, qui manipulaient les objets d’une manière inconcevable, et qui surtout détenaient son sort entre leurs mains !

Peur de sa nouvelle condition dans un monde invraisemblable, ce monde où rien de tout ce dont elle venait d’être témoin, ne pouvait être vrai !

Elle se prit le visage dans les mains, ferma les yeux et attendit.

Des pas résonnèrent bientôt dans le couloir. L’homme alla ouvrir la porte et laissa entrer quatre personnes ; le vieil homme était parmi eux. Annily releva la tête et resta bouche-bée. La première personne à s’avancer était une femme d’un certain âge, l’air strict, les lèvres pincées, les joues creuses striées de rides, les cheveux grisonnants relevés en un chignon tiré à quatre épingles ; sa silhouette droite et rigide était élégamment vêtue d’une longue robe vert émeraude au col boutonné jusqu’au cou ; son regard bleu azur était à demi masqué par l’envergure d’un chapeau pointu fort singulier, apposant une touche finale à l’extravagance de ses atours. Un homme bourru et hirsute s’imposa à son tour d’un pas claudiquant. Annily fut choquée par l’expression hideuse de son visage ; ce faciès disgracieux était dû à un œil de verre difforme et globuleux, un nez incomplet, de nombreuses cicatrices saillantes et à une jambe de bois, rendant sa démarche bancale et retentissante. Le dernier à se faufiler était un tout petit bonhomme barbichu pas plus haut qu’un enfant de dix ans, et dont le sourire affable lui donnait des airs de papi-gâteau.

- Bonjour Mademoiselle, dit le vieil homme d’un ton aimable. Je me présente : Albus Dumbledore, je suis le Directeur de cette Ecole. Voici le professeur McGonagall, notre Sous-directrice, qui assure également des cours de Métamorphose. Vient ensuite le professeur Maugrey, qui enseigne depuis cette année la matière de Défense contre les Forces du Mal ; nous changeons quasiment chaque année de professeur pour cette matière, cependant je ne m’en explique toujours pas la raison. Voici enfin le professeur Flitwick, qui délivre les cours de Sortilèges et d’Enchantements. Ah ! j’oubliais ! je vous présente également le professeur Severus Rogue, qui inculque l’art des Potions à nos jeunes élèves.

Le Directeur attendit une quelconque réaction de la part de la jeune femme, mais voyant qu’elle persistait dans son mutisme, il lui demanda de but en blanc :

- Savez-vous où vous vous trouvez ?

Annily les regarda tour à tour puis fit non de la tête.

- Vous devez certainement avoir saisi le fait qu’il s’agissait d’une école, au vu de nos nombreux élèves présents lors de votre arrivée. J’ai assurément pris note de votre stupéfaction et de votre égarement dès votre entrée en ces lieux – ne croyez pas que cela m’a échappé. Cependant, est-il réellement possible que vous ne disposiez d’aucune idée – même vague – quant au genre d’activités ou de pratiques exercées au sein de notre établissement ? Peut être aviez-vous seulement eu vent de l’existence de ces lieux, ce qui a pu susciter votre curiosité, conduisant ainsi vos pas jusqu’au Grand Portail… ? insista-t-il.

La jeune femme fronça les sourcils et réitéra son geste de dénégation ; comment aurait-elle pu détenir la moindre source de connaissance concernant cet endroit saugrenu ?

- Dans ce cas, je ne vais pas vous laisser davantage dans l’ignorance : vous êtes à Hogwarts, l’unique Ecole de Sorcellerie de Grande-Bretagne et la plus importante de toute l’Europe, répondit-il alors en toute simplicité. Maintenant que les présentations de mes collègues et de moi-même sont faites, nous aimerions que vous vous présentiez à votre tour…

Mais Annily était bien incapable de prononcer un mot. Le discours du vieil homme tandis qu’il annonçait les fonctions respectives de ses collègues, n’avait déjà eu aucun sens pour elle, mais le terme de « Sorcellerie » venait de dépasser son entendement, la cloîtrant dans un mutisme ahuri. Et cet endroit, tout aussi insolite, ce territoire d’invraisemblance et de non-sens, c’était donc… la Grande-Bretagne ?! Elle réalisa soudain que tous ici, y compris le personnage du tableau, s’étaient adressés à elle en anglais ; comment ne s’en était-elle pas aperçue plus tôt ?!? Elle pratiquait certes cette langue avec aisance, cependant sa langue maternelle était le français… Oui, elle était française ! Comment avait-elle pu atterrir sur cette île, si loin de chez elle ? La mine déconfite, elle les regardait tour à tour, détaillant avec la plus grande perplexité leurs accoutrements étranges et leur bout de bois en main, les considérant tels des fous tout droit échappés d’un asile ! Elle se sentait flotter dans une réalité parallèle, une existence surréaliste, et avait beaucoup de mal à rassembler ses esprits, sans compter sa mémoire qui s’éternisait dans l’oubli. La panique qui l’habitait depuis qu’elle avait ouvert les yeux, avait momentanément déserté ses pensées, tant la situation lui semblait loufoque ! Devant son expression interdite, le Directeur jugea bon de mettre certaines choses au clair :

- Vous vous demandez certainement pourquoi l’on vous retient ici… On vous incrimine d’avoir forcé l’entrée de cette Ecole, d’une manière pour le moment inexpliquée, et dans un but… disons… encore non élucidé. Nous ne pouvons permettre une quelconque proximité entre nos élèves et toute personne extérieure dont nous ignorons encore l’identité et les intentions. C’est pourquoi nous aimerions savoir qui vous êtes, comment vous êtes parvenue jusqu’ici, et pour quelles raisons…

Annily n’avait malheureusement aucune explication rationnelle susceptible de les contenter.  Elle ne comprenait pas ce qu’elle avait fait de mal, ni ce qu’on lui reprochait vraiment. Son seul tort se résumait à avoir ouvert la porte d’une propriété sans y avoir été invitée, après s’être réveillée dans un champ, la mémoire altérée. Quelle menace pouvait représenter une femme seule, désemparée et amnésique ? Annily était tout à fait prête à leur confier le peu qu’elle savait ; mais y avait-il une chance infime pour qu’ils croient à son histoire – une histoire bien tristement brève d’ailleurs… Ces gens la soupçonnaient visiblement de quelque mauvaise intention ; seulement elle ne pouvait leur fournir aucune preuve de sa bonne foi. Elle n’avait de souvenir que son prénom, son pays, et son âge, mais elle restait également certaine que dans le monde réel, son monde, les tableaux étaient bien incapables de bouger et encore moins de parler ! Les portes ne se refermaient pas toutes seules, les bâtons ne lançaient pas d’éclair, et le commun des mortels s’apprêtait sans extravagance vestimentaire. La jeune femme releva la tête et parcourut les cinq paires d’yeux qui la regardaient fixement, attendant sa réponse. Même si certains regards demeuraient bienveillants, d’autres se muraient dans la méfiance et l’hostilité. Seule et désemparée, Annily ne pouvait se résoudre à leur faire confiance, et s’obstina dans son silence. Le Directeur comprit qu’il était inutile de la brusquer en l’accablant davantage.

- J’aimerais savoir comment vous êtes parvenue à entrer dans le Château – car vous êtes passée par le Grand Portail de l’entrée, n’est ce pas ? lui demanda-t-il avec beaucoup de patience et de douceur.

Annily ouvrit enfin la bouche :

- Je… J’ai poussé l’un des battants, répondit-elle d’une voix incertaine. Il n’était pas fermé, alors j’ai pensé…

- Mensonges ! s’insurgea le professeur Rogue. Cette fille ne peut pas prétendre avoir ouvert le Grand Portail avec autant de facilité. Ce serait injurier votre Puissance !

- Calmez-vous Severus, intervint le Directeur d’un ton apaisant. Laissez-là nous raconter son histoire. Continuez, ajouta-t-il en se tournant de nouveau vers elle. Vous nous disiez qu’il n’était pas fermé… à clef, c’est bien cela ?

- Oui… Alors je suis entrée… Je m’étais égarée, j’avais besoin qu’on vienne m’aider. Alors j’ai pensé que je trouverais quelqu’un dans cette propriété. Je vous assure que je n’avais absolument pas l’intention de créer des problèmes !

Annily sembla retrouver un peu d’assurance. Tout en parlant, elle surveillait du coin de l’œil le professeur Rogue, qui se rapprochait en la scrutant fixement, le regard inexorablement sceptique.

- Vous mentez ! lâcha-t-il entre ses dents.

- Severus, je vous en prie, s’interposa de nouveau le professeur Dumbledore. Il serait plus judicieux de commencer par le commencement. Pouvez-vous au moins nous dire votre nom, Mademoiselle ?

- ... Oui, fit-elle résignée. Je m’appelle… Annily…

- Très bien Annily. Vous serait-il possible de parachever ce prénom charmant par un nom de famille ?

- Je… je n’arrive pas à m’en souvenir…, répondit-elle d’une voix agitée.

- Je suppose qu’un peu de temps vous permettra d’y voir plus clair... Pouvez-vous néanmoins nous en dire un peu plus sur vous ?

- … Eh bien… Tout ce que je peux vous révéler, c’est que je ne sais absolument pas ce que je fais ici, aux abords de votre Ecole ni même dans votre pays… je suis française.

- Française… répéta le directeur, pensif. En effet, vous semblez en posséder l’accent – quoique léger et fort agréable, j’en conviens. Hum hum… Annily, l’enceinte de Hogwarts est protégée par des sortilèges puissants et invulnérables ; il vous était parfaitement impossible de voir le Grand Portail, et encore moins d’être dans la capacité de l’ouvrir – à moins de posséder, comme nous, certains pouvoirs… Même si vous ne pouvez pour le moment discerner les raisons qui nous motivent à agir de la sorte avec vous, et au vu des circonstances mystérieuses et pour le moins inattendues de votre présence parmi nous, je me vois contraint de prolonger votre séjour fortuit en ces lieux, le temps pour moi de découvrir la manière dont vous êtes parvenue à non seulement apercevoir notre Ecole, mais à en franchir le seuil… Je tenterai de mon côté de vous apporter mon aide, autant que cela me sera possible de le faire.

Annily regarda les professeurs un court instant, interloquée par cette explication qui une fois encore n’avait pas de sens. Comment pouvait-elle ne pas voir un bâtiment de cette ampleur ? Elle était peut-être amnésique, mais pas aveugle. Quant au fait d’avoir été capable d’ouvrir le battant d’une grille non cadenassée, ce geste était, lui semblait-il, à la portée de tout le monde, non ? Ces actes restaient aux yeux de la jeune femme d’une banalité affligeante, mais pour une raison qui lui échappait totalement, ceux-ci venaient de prendre des proportions majeures. Etait-ce pour ces deux faits que les habitants de ce Château se mettaient sur le pied de guerre et prétendaient la retenir jusqu’à obtenir un éclaircissement plausible ? Annily ne savait que répondre, craignant de plus en plus de leur fournir une explication qui tomberait complètement à côté de la plaque. Elle sentait que personne n’ajouterait foi à ses brefs souvenirs ni à ses actes, sans en comprendre la raison. Pourtant, songeant qu’elle n’avait finalement rien à perdre, la jeune femme capitula :

- A vrai dire, j’ignore comment je me suis trouvée devant votre portail. Je me suis réveillée dans ce champ immense qui longe votre Ecole ; j’étais seule, et… je n’ai absolument aucun souvenir d’avant cet instant… Je… je ne parviens plus à me rappeler ma propre histoire… Je vous jure que je vous dis la vérité ! ajouta-t-elle précipitamment en voyant que Rogue s’apprêtait à intervenir. Je ne me rappelle absolument pas comment je suis arrivée ici ! J’ignore ce qui m’est arrivé, je ne comprends rien à toute cette histoire ! JE VOUS JURE QUE JE NE ME SOUVIENS DE RIEN !!

Dans son emportement, Annily s’était levée en serrant les poings, tandis que les professeurs Rogue et Maugrey s’étaient de concert armés de leur baguette afin d’anticiper une éventuelle attaque, mais la jeune femme n’y prêta aucune attention. Elle regardait ses interrogateurs avec une fureur soudaine ; ses mains s’étaient mises à trembler et elle sentit des larmes lui brûler les yeux, tandis qu’elle tentait de les retenir.

- Maintenant, si vous ne voulez pas m’aider, laissez-moi simplement partir, acheva-t-elle d’une voix lasse.

Puis elle se laissa tomber dans le fauteuil ; elle sentait au fond d’elle-même qu’ils ne la laisseraient pas quitter les lieux après de si piètres explications.

L’assemblée gardait le silence. Chacun des professeurs, plongé dans ses réflexions, observait la jeune femme d’un œil plus ou moins perplexe et incontestablement dubitatif. McGonagall fut la première à émettre une hypothèse :

- Serait-il possible que cette jeune fille ait été soumise au sortilège d’Oubliettes ? Bien que le sort d’Amnésie ne puisse oblitérer une vie entière – si l’on exclut le cas du professeur Lockhart –, une projection multiple de ce sort lancé sur sa victime par cascades simultanées ou ininterrompues en un laps de temps restreint, pourrait certainement générer une amnésie aussi importante, occasionnant des dégâts cérébraux à l’instar du cas de Gilderoy…

- Le Département de la Justice Magique n’a enregistré aucune activité anormale concernant les sortilèges prohibés ou l’usage abusif de la Magie, objecta abruptement le professeur Maugrey. Comme vous le savez, l’Oubliette fait partie des pratiques interdites et son usage légal, strictement restreint aux Aurors, reste rigoureusement contrôlé. Votre hypothèse, Minerva, implique une concentration extrême de pouvoir prohibé, qui ne serait pas passé inaperçu, et croyez-moi, le Bureau des Aurors en aurait été le premier averti.

- Cela va de soi Alastor, répondit tranquillement Dumbledore. Cependant, je tiens à ne négliger aucune piste, aussi improbable fût-elle. Filius, auriez-vous l’obligeance de révéler la présence d’un éventuel sort d’Amnésie dont cette jeune personne aurait pu être victime ?

Le plus petit des professeurs acquiesça et s’avança par petits pas au devant d’Annily, qui l’observa sans mot dire, ne saisissant rien à ce qui venait d’être suggéré. Usant de sa baguette avec le professionnaliste d’un chef d’orchestre, Flitwick fit apparaître un marchepied, s’y hissa avec légèreté puis positionna son instrument magique contre la tempe de la jeune femme, qui recula contre le dossier du fauteuil en détournant la tête, tentant instinctivement de se soustraire à ce contact. Maugrey se déplaça en claudiquant derrière elle et plaqua ses mains parcheminées le long des accoudoirs, surplombant Annily de toute sa hauteur afin de restreindre ses mouvements et la dissuader de se dérober à cet examen. Tétanisée, la jeune femme s’immobilisa, ferma les yeux et attendit, le cœur battant.

Rogue n’avait pas émis un seul mot ni amorcé le moindre geste durant cet échange. Déjà fortement surpris par l’inefficacité de ses propres sortilèges sur la jeune femme quelques instants auparavant, l’occasion de vérifier si cet état de fait était une généralité s’offrait à présent à lui. Les bras croisés, il attendait le verdict de son collègue, une concentration extrême figée sur son teint de cire. Flitwick prononça d’une voix aigue deux mots à consonance latine qu’Annily ne saisit pas. Elle ouvrit brusquement les yeux et ses iris reflétèrent l’éclat d’une lumière blanche le temps d’un battement de cil, ce qui la fit violemment sursauter. Elle voulut aussitôt se lever, mais deux mains balafrées se plaquèrent sur ses épaules, l’astreignant impitoyablement au siège. Imperturbable, Flitwick inclina légèrement la tête et réitéra son sortilège. Un air vaguement dubitatif sur le visage, il changea sa baguette de main, pointa l’embout encore luisant sur le front de la jeune femme, et amorça une troisième tentative, qui se révéla tout aussi infructueuse. Le petit professeur se tourna alors vers Dumbledore et haussa les épaules, visiblement dérouté par cet échec. Ses collègues se regardèrent, partagés entre stupéfaction et ahurissement. Force était de constater que le sortilège du professeur, lancé par trois fois, n’avait pas eu le moindre résultat sur la jeune femme. Rogue prit subtilement la parole :

- Monsieur le Directeur, avant que vous ne preniez votre décision quant au sort de cette fille, je dois vous faire part de certains faits pour le moins… troublants, qui viennent ajouter à l’incompréhension de ce que vous venez de constater à l’instant. Mon appréhension de l’intruse dans la cour au milieu des élèves, ne s’est effectivement pas déroulée sans quelque étonnement… A l’instar du sortilège de Filius, le Stupefix auquel j’ai eu recours est demeuré sans le moindre effet, pourtant cette fille n’a utilisé ni baguette ni sortilège de défense pour contrecarrer ce sort ! J’ai par la suite tenté de lire dans son esprit à deux reprises, mais contre toute attente il m’a été impossible d’y déceler la moindre substance psychique, comme si ses pensées, ses souvenirs, ses émotions étaient hermétiquement barricadés à l’intérieur de sa boite crânienne, rendant son esprit inexorablement insondable et par ce fait irrévocablement inaccessible !

- Vous voulez dire que cette jeune fille est parvenue à détourner votre sort de Légilimancie de la même manière qu’elle a paré celui de stupéfixion ? conclut le Directeur non sans quelque étonnement.

- Non Albus, c’était bien différent… rétorqua le Maître des Potions, pensif. Je ne puis certes m’expliquer la manière dont cette fille a réussi l’exploit de contrer l’effet d’un Stupefix lancé à bout portant et ayant pleinement atteint sa cible – comme si elle lui avait résisté intuitivement, neutralisant l’impact-même du sortilège sans le moindre effort… Il serait cependant erroné de calquer cette surprenante théorie avec le sort de Légilimancie… En réalité je ne peux pas affirmer que cette fille ait fait acte de combattre mes tentatives d’intrusion…

- Seriez-vous en train de dire, Severus, que non seulement votre Legilimens n’a pas fonctionné, mais que cette jeune personne ne vous a opposé aucune résistance mentale ? intervint McGonagall fort surprise.

- C’est précisément ce que je suppute, et sur ce point je suis formel, confirma Rogue sans l’once d’une hésitation. Lorsque j’ai cherché à m’introduire dans son esprit, elle n’a usé d’aucune défense ; je n’ai pas rencontré la moindre barrière mentale, je n’ai été ni expulsé ni détourné ni même bloqué, et pourtant je n’ai pas pu y entrer. Je me suis heurté au néant, comme si j’avais sous ma baguette une simple figurine de porcelaine ! Il m’était radicalement impossible d’accéder à son esprit, quoi que j’entreprenne, à l‘instar d’un banal Moldu qui agite un morceau de bois ! Je puis vous affirmer qu’il ne s’agissait nullement d’Occlumancie, car sinon j’aurais été capable d’effleurer la surface de ses remparts : une résistance même infime, une déviation d’images, un mur ou une enveloppe prohibant la lecture de ses pensées... C’était comme si je m’acharnais à vouloir déchiffrer les lignes d’un manuscrit intégralement vierge d’écriture. Albus, cette fille parvient à neutraliser les sorts avec une aisance démesurée, sans même en avoir conscience ! Elle semble détenir un pouvoir extraordinaire, une Magie qui dépasse tout ce que nous avons connu jusque-là !

- Peut-être pas Severus, répondit Dumbledore pensif. Il se peut qu’elle sache manipuler l’Occlumancie d’une manière différente… Quant au sortilège… ajouta-t-il en fronçant les sourcils…

Le Directeur regarda tour à tour Annily et le professeur Rogue. Celui-ci pointa subitement sa baguette sur la jeune femme, et avant que quiconque n’ait eu le temps de s’interposer, il lui lança un sort qui l’atteignit au front. Sous le coup de la surprise, Annily poussa un cri et par réflexe, se protégea le visage de son bras. Les autres professeurs se précipitèrent vers le point d’impact ; Dumbledore s’approcha de la jeune femme pétrifiée, lui prit doucement le bras et l’éloigna de son visage. Il observa son front, stupéfait ; il n’y avait absolument rien, pas la moindre trace ! Rogue abaissa sa baguette d’un air méprisant.

- Mais enfin, professeur Rogue, s’indigna McGonagall, que vous est-il passé par la tête pour attaquer ainsi cette jeune fille ? Que lui avez-vous donc lancé comme sortilège ?

- J’ai simplement tenté de lui incorporer un troisième œil, répondit Rogue d’une voix doucereuse. Mais, comme vous pouvez tous le constater, il ne s’est rien passé ! Pas la moindre ébauche pileuse ou de chair, pas le moindre soupçon d’iris !

Sur ses mots, Rogue prit sans douceur le visage d’Annily entre ses mains, lui releva une mèche de cheveux qui lui tombait sur le front et lui tourna la tête de manière que tout le monde puisse constater ses dires. Chacun resta stupéfait ! Jamais encore une telle chose ne s’était produite dans le Monde de la Magie ! Jamais personne n’avait pu se soustraire à un quelconque sortilège par la simple pensée, sans geste ni baguette, lancé sur une si courte distance et sans apprêt préalable ! Le petit professeur Flitwick, qui était descendu de son marchepied, sautilla sur place pour tenter d’apercevoir quelque chose à la hauteur du sortilège lancé. Maugrey restait en retrait, absorbé, une horrible grimace perpétuellement figée sur son visage ravagé ; seul son œil difforme s’agitait dans tous les sens en émettant un bruit robotisé désagréable. McGonagall, ne pouvant toujours y croire, s’approcha à son tour de la jeune femme effarée par cette attaque-surprise, et lui passa une main sur le front. Mais elle dut bien vite se rendre à l’évidence : ses doigts ne perçurent absolument rien, si ce n’était un front quelque peu fiévreux. Elle s’éloigna en secouant négativement la tête, sans pouvoir fournir d’explications quant à cet événement extraordinaire. Rogue lâcha le visage de la jeune femme et se plaça devant elle ; s'abaissant à sa hauteur, il mit ses mains de part et d'autre du fauteuil, approcha son visage tout près du sien, et lui demanda, menaçant, en détachant chaque mot :

- Qui êtes-vous Mademoiselle ? Quelles sont votre identité et vos réelles intentions ? Comment êtes-vous parvenue à esquiver ce sort ? Et plus important encore : comment avez-vous fait pour accéder au Grand Portail de Hogwarts, d’ordinaire infranchissable, et protégé par les sortilèges les plus puissants ?! Je veux des réponses, et tout de suite !

Annily était devenue très pâle ; elle avait ouvert la bouche mais aucun son n’en était sorti. Replongeant ses yeux dans le regard de charbon, elle se laissa engloutir dans les tréfonds de cette noirceur intense et captivante. A cette distance elle pouvait y discerner une lueur démente ! Malgré la pâle froideur de ce visage ingrat et les traits perpétuellement impassibles de cet homme, en cet instant elle pouvait percevoir une aversion évidente à son égard, une hargne qu’il ne tentait aucunement de dissimuler, un mépris profond et terrifiant. Il la méprisait pour tout ce qu’elle représentait, pour tous les ennuis qu’elle allait leur apporter, pour la charge qu’elle allait devenir en ces lieux. Elle le vit entrouvrir les lèvres et lui murmurer presque imperceptiblement des paroles glaciales, emplies de menaces :

- Vous persistez dans votre silence ? A votre aise. Je me charge donc de vous confondre devant témoin, à l’instant même.

Sur ces mots, Rogue se redressa et se saisit brusquement du bras gauche de la jeune femme, remontant la manche de sa veste qui recouvrait une peau blanche. Effrayée, ne comprenant rien à cet agissement brutal, Annily poussa un cri de surprise et tenta de se dégager, mais Rogue serra plus fermement son poignet et tira sur son bras afin de l’exposer à la vue de tous. Dumbledore, McGonagall et Maugrey, qui jusqu’à présent n'avaient pas bougé ni prononcé un seul mot, se penchèrent tous trois au dessus du membre prisonnier, mais ils furent rapidement détrompés : l’avant-bras gauche de la jeune femme ne portait pas la Marque des Ténèbres, cette sinistre trace, douloureuse et noire, que Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom imposait cruellement à ses Partisans, qui, au travers de ce rituel, étaient reconnus comme des Mangemorts.

- Vous voyez, Severus, cette jeune personne ne fait pas partie intégrante de ses rangs – du moins pas pour l'instant. Il n'y a pas lieu de s’alarmer, aussi je pense que nous pouvons faire connaissance avec davantage de douceur et sans engager de jugements hâtifs.

- L'absence visible de la Marque ne prouve rien ! insista Rogue en lâchant le bras d'Annily. Vous savez pertinemment qu’avant sa chute, le Seigneur des Ténèbres avait trouvé un moyen de marquer ses Partisans sans que l’Emblème du Mal paraisse. Les dernières personnes à avoir intégré ses rangs portent cette Marque particulière, dont l’invisibilité leur a permis d'échapper à Azkaban.

- Vous oubliez que Vous-Savez-Qui a disparu voilà plus de dix années…, fit remarquer le professeur de Métamorphose. A l’époque cette demoiselle était bien trop jeune pour avoir pu être enrôlée et marquée.

- Mais la baguette du Seigneur des Ténèbres est demeurée aux mains des Mangemorts, et certains d’entre eux connaissent la manière de procéder pour marquer les nouveaux Partisans tout en faisant disparaître la Marque ! Ces personnes "privilégiées" sont rares, j’en conviens, mais nous ne pouvons exclure le fait que cette fille puisse en faire partie, car elle a aujourd’hui l’âge d’être marquée !

- Comment savoir si cette jeune fille porte cette Marque invisible ? demanda alors Flitwick en ayant à hauteur des yeux le bras qu’Annily venait de recouvrir sous sa manche.

- Seul le Ministère est apte à la révéler, répondit Dumbledore. Il emploie pour cela des baguettes distinctives construites dans un bois très rare, le Silverbell encore appelé Arbre aux Cloches d’Argent. Ces baguettes, plus petites et beaucoup plus fragiles que les nôtres, contiennent des fils de soie d’une extrême vulnérabilité, ce qui en fait des reliques rares et infiniment précieuses. Il en existe moins d’une dizaine dans toute l’Europe, et chacune d’entre elles reste soigneusement confinée au sein du Ministère. Leur destruction rendrait impossible tout moyen d’identifier ces Mangemorts nouvellement marqués, c’est pourquoi le Ministère les conserve intégralement et se gardent le privilège exclusif de leur utilisation. Mais je ne compte pas faire appel à lui pour le moment.

- Vous avez tort ! maugréa Rogue en jetant sur Annily un regard empli de malveillance.

La jeune femme les observait, hébétée ; elle ignorait tout de cette "Marque" ainsi que de cette personne dont tous refusaient de prononcer le nom, mais elle était consciente qu’on la soupçonnait fortement d’appartenir à un groupement dangereux, susceptible de provoquer des troubles graves. Comment en étaient-ils arrivés à l’accuser d’une telle ignominie ? Pourquoi n’avait-elle pas su les convaincre de sa bonne foi ? Et quel était donc le danger, au dehors, pour que ces gens se munissent de telles précautions et l’accablent de la sorte ? Annily ne put supporter davantage ces soupçons injustifiés et ces accusations non fondées, mais graves. Elle sentit son sang bouillonner en elle, et s’exclama brusquement :

- Ecoutez, je n’appartiens à aucun groupement terroriste ou je ne sais quoi d’autre ; je n’ai absolument aucune mauvaise intention et je ne veux de mal à personne ! Je m’appelle Annily, j’ai vingt deux ans, je suis Française, et je peux vous certifier qu’en aucune manière je ne peux réaliser tout ce que je vous ai vu accomplir avec votre sorte de baguette ; je ne peux pas même le nommer ! Je ne me souviens plus de rien, j’ai complètement perdu la mémoire ; à part mon nom, mon âge et ma nationalité je ne sais plus qui je suis ni d’où je viens… Je ne sais plus ni où, ni quand, ni comment, ni pourquoi !! C’est une situation extrêmement déstabilisante et terrifiante que je suis en train de vivre. Et bien que je pressente déjà le fardeau malvenu que je représente à vos yeux, je peux vous assurer que ma nouvelle condition est beaucoup plus difficile à accepter et supporter pour moi, que pour vous tous réunis !

Elle avait débité tout cela très vite, le regard allant de Dumbledore à Rogue, sans reprendre son souffle, sans permettre la moindre interruption de la part de ce dernier. A présent une douleur lancinante lui vrillait le crâne. Elle ne voulait plus penser, elle ne désirait plus répondre à personne. Elle aspirait juste à s’allonger, fermer les yeux et plonger dans une narcose qui envahirait son subconscient au travers d’une torpeur sans rêve.

Dormir, pour oublier, pour tout effacer de son esprit, pour éteindre ces derniers instants d’invraisemblance et d’égarement…

Dormir, pour ensuite pouvoir se réveiller et sortir de ce cauchemar, réhabiliter sa vie et ses véritables souvenirs…

Dormir, pour fuir son impuissance et sa terreur.

Rogue fut estomaqué par le ton qu’Annily venait d’employer, et perdit toute contenance.

- Vous… Comment osez-vous… !

- Croyez-moi, s’il vous plait, coupa-t-elle d’une voix éteinte. Je vous ai dit la vérité.

Dumbledore amorça un geste apaisant vers son professeur de Potions. Rogue plissa les yeux mais ne rajouta plus un mot, le visage redevenu lisse et glacial.

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