Le cycle de la lune bleue

Chapitre 6 : Une décision troublante

4497 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/12/2023 00:05

Il était temps pour le professeur Dumbledore de prendre une décision. Découragée dans ses vaines tentatives de convaincre, submergée par le trouble et la fatigue, Annily s’était recroquevillée dans son fauteuil, le regard imbriqué dans la gorge de l’âtre délaissé. Le directeur l’observa un instant, pensif, puis il prit la parole :

- Bien que je sois pleinement conscient du tourbillon émotionnel qui semble vous étreindre, j’aimerais vous poser quelques questions supplémentaires… Les dernières pour la fin de cette tumultueuse journée, je vous en fais la promesse, ajouta-il dans un sourire, voyant que la jeune femme soupirait avec une pointe de nervosité.

- Très bien, comme vous voulez, répondit-elle avec lassitude.

- Annily, avez-vous compris dans quel genre d’établissement vous vous trouvez ?

- J’ai compris… mais je préfère ne pas en tenir compte, faire comme si je n’avais pas saisi... Je préfère même oublier tout ce que j’ai vu et entendu aujourd’hui, retourner dans ce champ, m’allonger dans la poussière et me rendormir. Je sortirais peut-être de ce rêve hallucinant, je me réveillerais alors chez moi, dans mon lit, réalisant avec soulagement que tout ceci n’était qu’un incroyable délire créé de toute pièce par mon imagination, et lorsqu’enfin j’aurais réintégré ma réalité certes très quelconque mais non moins rassurante, je pourrais repenser à ce rêve avec davantage de réflexion et de plaisir, car j’ai toujours su apprécier chacun de mes songes, même les plus loufoques ; j’ai toujours eu beaucoup d’imagination et j’ai particulièrement aimé l’alimenter, tout en sachant parfaitement faire la part des choses entre rêve et réalité !

Les traits d’Annily s’étaient crispés dans sa tentative désespérée de se convaincre elle-même. Dumbledore l’observait avec attention, mi-intrigué mi-amusé.

- Est-ce que la Magie vous effraie ? lui demanda-t-il soudain.

Annily secoua lentement la tête.

- Je considère la Magie et tout ce qui touche à l’occultisme de la même manière : les esprits, les fantômes, les anges, les démons, les vampires, les sirènes et toutes autres créatures fantastiques appartiennent au domaine du spiritisme ; quant aux pouvoirs extraordinaires, la sorcellerie, le fait de voler, de lire dans les pensées, de transformer, de faire disparaître ou apparaître les choses…, ces phénomènes paranormaux restent inhérents à l’ésotérisme. Toutes ces manifestations représentent simplement des contes issus de la Mythologie, de belles histoires sorties du Monde Imaginaire ! La Magie ne peut pas m’inquiéter pour la bonne et simple raison que ça n’existe pas !

- Dans ce cas, comment expliquez-vous tout ce que vous venez de voir ici ?

Annily ne répondit pas tout de suite. Malgré ses souvenirs effacés, elle sentait au fond d’elle-même qu’elle faisait partie de ceux qui avaient toujours lutté contre l’irrationnel, l’invraisemblable et l’impossible ! Elle se sentait appartenir à un monde où chaque chose, chaque événement avait une explication logique et sensée. Et pourtant… elle ne pouvait continuer de nier ce qu’elle avait vu de ses propres yeux ! Elle regarda alternativement chaque professeur et, abandonnant momentanément tout esprit cartésien, finit par demander d’une voix hésitante, osant à peine prononcer ces mots de peur de leur donner du réalisme :

- Vous êtes tous des… Sorciers ? Vous possédez des pouvoirs ? des pouvoirs… magiques ?

- Disons que chacun d’entre nous ici présent – à savoir le corps enseignant et l’ensemble de nos élèves – est parfaitement capable de pratiquer la Magie dans notre Monde, répondit simplement le Directeur.

- Votre Monde… Mais de quel Monde s’agit-il ? Êtes-vous en train d’insinuer que je ne suis plus… sur la planète Terre ?! envisagea-t-elle effarée.

- Il me semble que le Directeur vous avait déjà éclairée sur ce point Mademoiselle, intervint Rogue d’un ton sec.

- L’esprit de notre jeune invitée parait avoir outrepassé ses capacités cognitives ce soir ; laissons-lui un peu de temps Severus, répondit Dumbledore avec une infinie bienveillance. Je puis tranquillement vous rassurer, Annily. Vous êtes toujours sur notre bonne vieille Terre, et ce territoire est l’Ecosse, à quelque centaine de kilomètres de Glasgow.

- L’Ecosse… répéta-t-elle troublée. Oui, c’est vrai, la Grande Bretagne… Mais… quel jour sommes-nous exactement ? en quelle année ?

- Nous sommes en 1994, le dix sept Septemb…

Mais le Directeur n’eut pas le temps d’achever. En entendant l’année, Annily s’était levée d’un bond, livide. Elle ne parvenait pas à y croire ! Cela dépassait tout ce quelle avait pu imaginer ! En 1994… Une année qu’elle avait déjà vécue alors qu’elle avait dix ans, il y avait une douzaine d’années de cela ! En posant cette question, la jeune femme aurait pu accepter l’idée d’avoir égaré quelques instants de sa vie – quelques jours, plusieurs semaines voire des mois entiers totalement effacés de sa mémoire, à l’instar d’un éveil après un coma suite à un violent traumatisme ou un accident de la route. Elle n’avait en revanche aucunement envisagé la possibilité d’avoir émergé dans le passé ! Ce fut un tel choc, qu’elle entrouvrit plusieurs fois la bouche, sans qu’un seul son ne parvînt à franchir le seuil de ses lèvres. Son cœur pulsant douloureusement dans sa cage thoracique, les mains glacées et tremblantes, Annily jeta des regards éperdus autour d’elle, comme pour chercher un démenti, une preuve infirmant cette aberration, comme pour se persuader d’avoir tout bonnement mal entendu !

- Ce… ce n’est pas vrai… ce n’est pas possible… balbutia-t-elle.

- Pourquoi vous abuserais-je ? s’enquit Dumbledore, fort surpris par la réaction de la jeune femme.

- Vous ne comprenez pas… Je… je n’appartiens pas… à votre époque… Je… je viens d’un autre temps… quelques années plus tard, dans le futur… lâcha-t-elle d’une voix blanche.

- Non, c’est impossible ! s’insurgea Rogue.

- Ça parait incroyable…, j’ose à peine porter foi à ce que je suis en train de vous dire, et pourtant c’est vrai ! insista-t-elle, pitoyable. Je suis née en 1984, et j’ai vingt deux ans ! Je me souviens, encore hier… je veux dire… avant que je ne me réveille… on était en 2006 ! Je ne me rappelle presque rien, mais je suis absolument certaine qu’hier, je vivais dans le courant de l’année 2006 ! On ne peut pas se trouver en 1994 puisqu’on est en 2006 !!

Sa voix se perdit dans un cri bouleversé ; elle demeura pétrifiée, une expression d’angoisse et de confusion figée sur son visage. Elle venait d’entendre beaucoup trop d’invraisemblances et de non-sens, pour pouvoir réaliser pleinement cette vérité bouleversante ! Mais pouvait-elle vraiment le croire… ?

Les professeurs eux-mêmes ne revenaient pas de leur surprise. Jamais la Magie n’avait permis à un être vivant et réel de traverser ainsi les frontières du temps ! Les Sorciers avaient seulement la possibilité de se plonger dans des souvenirs, qu’ils soient récents ou séculaires, sans toutefois pouvoir intervenir ni les modifier, sans être capables de se faire entendre ni de révéler leur présence. Ils pouvaient également, suite à de rares permissions, user du pouvoir des Retourneurs de Temps, qui leur permettaient de revenir jusqu’à vingt quatre heures en arrière - et pas une seconde de plus.

Annily rompit ce silence pesant, lourd d’incrédulité et de doutes, et demanda d’une voix sans timbre :

- Est-ce que vous me croyez ? J’ai conscience que tout cela parait être une histoire de fou, mais j’ai besoin de savoir si vous me faites confiance ! Que moi-même je puisse ajouter foi ou douter de l’existence de la Magie n’a finalement aucune importance, mais si vous n’accordez aucun crédit à ce que je vous ai révélé, je ne vois pas comment vous pourriez m’aider à… à rentrer chez moi…

Après quelques secondes d’incertitude et de regards échangés, le Directeur fut le premier à reprendre la parole :

- Très bien Annily. Votre histoire paraît en effet fort surprenante et inédite, cependant je ne vois pas de raison qui me conduirait à douter de votre sincérité. Néanmoins, je me trouve contraint de prendre certaines dispositions, elles aussi inédites à Hogwarts et qui, je le devine, ne seront pas de celles que vous apprécierez particulièrement. Aussi je compte sur votre compréhension et votre indulgence.

La jeune femme fronça les sourcils et fixa attentivement Dumbledore, appréhendant ce qui allait inévitablement suivre.

- Pour la sécurité de cette Ecole, reprit-il, nous devons vérifier certains faits que vous nous avez rapportés ; non pas pour en déterminer la véracité, mais pour en évaluer la potentialité. Par conséquent, il n’est plus question de vous permettre un moyen de vous en retourner, du moins pour le moment… C’est pourquoi nous allons vous garder avec nous, à Hogwarts, durant cette année scolaire, le temps pour nous de…

- Comment ça vous allez me garder avec vous ? coupa-t-elle, interdite. Ici ? Mais… je croyais qu’il était juste question d’un hébergement temporaire… Je pensais que vous me proposiez une solution provisoire – bien qu’elle vous en coûtât –, que votre accueil était une offre magnanime ayant pour objectif désintéressé de me venir en aide, afin de me permettre de comprendre ce qui m’était arrivé pour ensuite me guider sur le chemin de mon passé… et de mon futur ! Êtes-vous en train de m’expliquer que non seulement vous abandonnez finalement l’initiative de m’aider à rentrer chez moi, dans mon pays… dans mon futur – car il est certain que je n’y parviendrai pas toute seule –, mais que de surcroit vous ne me laisserez pas repartir du tout ?!?

- Nos intentions diffèrent quelque peu de votre analyse, objecta Dumbledore très calmement. Annily, je vous fais la promesse que je mettrai tout en œuvre pour vous apporter mon aide dans cette quête identitaire, mémorielle et temporelle. Mais chaque chose se fera en son temps. Il s’avère préalablement nécessaire de découvrir ce que vous représentez ici, au sein du Monde Sorcier et à cette époque précisément, car votre venue dans notre Ecole reste sans précédent ! Votre présence mystérieuse aux portes de Hogwarts ne peut être anodine, et nous devons en discerner la raison. Vous-même Annily, vous êtes unique, car à ma connaissance, qui est loin d’être restreinte, il n’existe aucun être humain – qu’il soit Sorcier ou Moldu - sur qui la Magie n’a aucun pouvoir !

Annily réfléchit à ses propos, puis finit par dire en haussant les épaules :

- De toute évidence, vous ne me laissez guère le choix… Je dois donc accepter de collaborer avec vous, si je peux espérer pouvoir compter plus tard sur votre appui pour quitter cette époque et toute cette folie…

- Je ne l’aurais pas résumé ainsi, mais c’est à peu près cela, répondit le Directeur en souriant. Je suis certain que ce monde que vous allez découvrir vous apportera davantage de distractions et d’émerveillement, que vous semblez le redouter. De notre côté, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour rendre appréciable votre séjour parmi nous. Et je puis vous assurer que vous n’aurez pas assez de vos journées pour découvrir tout ce que Hogwarts recèle...

- Je vous remercie pour votre prévenance. Malgré tout, je préfèrerais que toute cette histoire se termine au plus vite. Votre Château a l’air particulièrement fastueux, d’une beauté inégalée et d’une richesse architecturale sans pareil. Cet édifice incroyablement grandiose semble être empreint de siècles de culture et d’histoire, et en d’autres circonstances j’aurais certainement été capable d’apprécier de découvrir cet endroit avec un authentique émerveillement, mais je ne saurais profiter d’un tel lieu, aussi magnifique soit-il, quand je me trouve moi-même dans une situation si pénible. La seule chose que je souhaite et espère, c’est pouvoir m’en retourner chez moi bientôt, et que tout puisse rentrer dans l’ordre.

- Est-il possible que la Magie et ses annexes enchanteresses n’éveillent en vous aucun soupçon de curiosité ? demanda Dumbledore légèrement étonné.

- Si, bien sûr que si… ! Tout ceci représente un univers fascinant et extrêmement séduisant, je ne peux le nier… La Magie a toujours eu sur moi un attrait extraordinaire ; dès mon plus jeune âge j’ai été irrésistiblement attirée par les mondes fantastiques, rêvant de voler dans les airs ou de nager telle une sirène, de créer les choses, induire les événements ou influencer les pensées par la seule volonté de l’esprit. Je suppose que beaucoup d’enfants ont un jour imaginé posséder des pouvoirs magiques et les mettre en pratique d’un simple geste de la main, comme moi lorsque j’avais huit ans, mais… c’est comme si vous me demandiez d’ajouter foi au mythe du Monstre du Loch Ness, ou à l’existence du Père Noël… Tout ceci n’est que légende, des fantasmes d’enfants, alimentés par l’esprit débordant d’imagination et de fantaisie des adultes…

- Et pourtant… contra doucement le vieux Sorcier sur le ton de l’évidence.

- … Ce que j’ai vu aujourd’hui paraissait… tellement réel… concéda Annily à contrecœur. C’est comme si je basculais soudainement dans un univers féérique, totalement rocambolesque…

La jeune femme se prit la tête dans les mains, soudain très lasse.

- Je n’arrive plus à réfléchir, reprit-elle d’une voix éteinte. Il y a trop de choses qui se bousculent dans ma tête… Je vais avoir besoin d’un petit peu de temps pour pouvoir… admettre tout ça, et m’habituer à cette situation…

- Je comprends, dit le Directeur avec son éternelle bienveillance. Si je me trouvais dans votre situation, j’imagine que je me sentirais moi-même fort ébranlé. Mais je suis certain que vous finirez par vous y accoutumer. Nos élèves de première année – qui ont un peu plus d’une dizaine d’années – développent généralement leur Magie initiale durant l’enfance, mais il arrive parfois que de jeunes Sorciers n’apprennent l’existence de leurs pouvoirs que très tardivement, quelques jours avant leur rentrée à Hogwarts pour certains. Chacun d’entre eux semble cependant accueillir leur origine magique avec beaucoup de facilité et d’intérêt.

- C’est peut-être vrai, admit-elle, mais moi, je ne suis pas comme eux, je ne suis pas comme vous, je n’ai pas de pouvoirs, je n’ai pas de Magie en moi ! Je suis différente…

- Oui Annily, vous êtes différente, mais vous ne ressemblez pas non plus aux personnes de votre Monde. Il semblerait effectivement que vous ne maîtrisiez aucun pouvoir, et d’après ma capacité à distinguer l’essence magique chez les jeunes Sorciers, vous ne paraissez pas en être investie… Mais vous détenez cette capacité exceptionnelle de contourner les effets de la Magie, comme si vous étiez protégée par une sorte de bouclier, vous conférant ainsi une immunité totale. Ce rempart représente une immense puissance défensive, qui fait de vous quelqu’un d’unique au monde !

Le Directeur de Hogwarts, ce grand et puissant Sorcier à l’allure si farfelue, discourait avec tant de douceur et de bienveillance, qu’Annily se sentit quelque peu réconfortée. Elle lui sourit timidement ; le vieux Mage lui posa une main ridée sur l’épaule dans un geste rassurant et paternel, et lui rendit son sourire. Il savait pertinemment que la mettre en confiance était le meilleur moyen pour lui faire accepter ses conditions et ce nouveau mode de vie, et l’amener à se confier davantage.

Dumbledore la sentit soudain frissonner ; l’examinant de plus près, il la trouva pâle et exténuée. Au bord de la crise de nerfs, Annily avait posé une main sur son visage et exerçait avec force un point de compression contre sa tempe ; elle sentait sa tête comme prise dans un étau et son corps était fébrile, douloureux. Bouleversée par les premières heures de sa nouvelle existence, la jeune femme se sentait dériver dangereusement vers les abîmes de la névrose, et faisait son possible pour ancrer ses pensées dans la terre de la rationalité, s’exhortant à la lucidité et au calme. Mais son esprit malmené et sa fragilité de l’instant avaient éveillé en elle une terreur indomptable, épuisant ses dernières forces, annihilant par là-même la volonté de résister au désespoir qui s’insinuait en elle. Le vieux Sorcier retira sa main de son épaule et se tourna vers ses collègues qui ne disaient mot, attendant son verdict.

- Je crois qu’il est temps pour Annily de prendre un peu de repos, annonça-t-il. Nous établirons l’étendue de son immunité, ainsi que l’intérêt du Monde magique à son égard un peu plus tard. Voyons, où allons-nous donc vous installer… Hum… Il y a bien quelques lits vacants parmi nos nombreuses chambres étudiantes, cependant… je ne pense pas que le dortoir des jeunes filles soit approprié dans votre condition. En somme je préfèrerais ne pas vous mêler aux élèves pour l’instant. Ces jeunes gens en ont déjà vu plus qu’il n’était nécessaire, et votre entrée pour le moins surprenante dans notre Ecole va suffisamment alimenter leurs sujets de conversation et les bruits de couloir pendant un certain temps. Il sera bon de leur expliquer tout cela en temps voulu…

- Je ne comprends pas vraiment ce que cela change, étant donné que la plupart de vos élèves m’ont vue…

- Hogwarts accueille et instruit plusieurs centaines d’élèves, expliqua Dumbledore. En ma qualité de Directeur, je suis hautement responsable de leur sécurité, leur enseignement, leur développement et leur bien-être. Votre capacité à entrevoir le Château et en avoir acquis le libre accès, reste malheureusement assimilable à une intrusion grandement influente, pour ne pas dire à haut risque potentiel. C’est pourquoi je tiens à restreindre au maximum tout contact avec les élèves, ce jusqu’à nouvel ordre : vous serez volontairement tenue à l’écart de la vie scolaire tant que nous n’aurons pas éclairci ces points cruciaux.

- Quoi ?! mais… je… balbutia la jeune femme, sidérée.

- Annily, je ne me permettrais aucunement de douter de vos propos, soyez-en bien certaine ; cependant je ne puis me fier aveuglément au dénouement d’une telle situation, engendrée ou non de votre fait. Ignorant tout de votre bagage, nous nous devons de progresser avec circonspection et discernement. Je pense qu’il en va de même pour vous à notre encontre. La confiance est un sentiment, une valeur qui s’acquière progressivement et que nous devons rarement considérer comme innée, surtout par les temps qui courent. Mais nous aurons tout le loisir de faire plus ample connaissance, car nous serons amenés à nous revoir souvent. Et lorsque nous serons parvenus à vous raccorder un début d’histoire et la certitude de votre inoffensive figuration dans le Monde Magique, vous serez libre d’aller ou bon vous semblera, jusqu’à ce que vous soyez prête à prendre congé pour retrouver les vôtres.

- Mais où donc comptez-vous la loger Albus ? intervint le professeur McGonagall. Les dortoirs des élèves étant exclus, Hogwarts ne possède pas de chambres supplémentaires, et les appartements des professeurs sont au complet.

- Si je puis me permettre d’intervenir, s’immisça le professeur Flitwick, je vois mal notre jeune invitée livrée à elle-même dans une salle de classe désaffectée métamorphosée en logis…

- Justement, répondit Dumbledore, je pensais que l’un de vous accepterait de la prendre en charge, chez lui.

Face à cette proposition inattendue, chacun garda le silence, se contentant de jeter des regards en biais à son voisin. Quel enseignant accepterait, en plus de son engagement pédagogique, une telle responsabilité sur une durée prolongée ? Le professeur McGonagall séjournait au Château avec son mari durant l’année scolaire, ceci depuis trente huit ans ; leurs enfants avaient depuis longtemps quitté le cocon familial, mais il n’était pas rare de voir l’un ou l’autre revenir le temps d’un weekend. En outre le professeur de Métamorphose n’était pas encline à sacrifier son intimité ni l’une des chambres de sa progéniture. Le professeur Flitwick vivait également avec sa famille, aussi petite que lui certes, mais suffisamment nombreuse pour occuper tout l’espace ; ses chambrettes ne pouvaient accueillir une personne de plus. Il en allait de même avec la plupart des enseignants ici. Quant au professeur Maugrey, il n’occupait qu’un logement de fonction provisoire adapté et conçu pour une seule personne – les professeurs de Défense contre les Forces du Mal étant généralement de passage et conservant rarement ce poste plus d’une année. Devant l’enthousiasme général, Annily espérait intérieurement qu’il leur serait finalement impossible de la garder ici. Elle entrevoyait tout juste la possibilité de quitter librement ces murs, lorsque, contre toute attente, une voix doucereuse brisa les réflexions muettes et les attitudes fuyantes :

- Moi. J’accepte d’installer cette fille dans mes appartements, veillant sans discontinuer à sa sécurité ainsi qu’à sa surveillance constante…

Le professeur Rogue s’était avancé tranquillement, les bras croisés, un air profondément satisfait et narquois calqué sur son teint de cire. Surplombant Annily de toute sa hauteur, il la fixait avec une telle intensité qu’elle se sentit écrasée par ce regard transpirant de répugnance et de mépris.

La jeune femme en resta bouche bée ! Il était évident que cet homme l’abhorrait ouvertement. Pourquoi donc se décidait-il soudainement à accepter une telle requête ? Pourquoi consentait-il à s’encombrer d’une fille qu’il semblait vilipender au plus haut point ? Le professeur Rogue lui avait causé une grande frayeur lorsqu’il avait tenté de l’appréhender quelques heures plus tôt, et depuis elle le craignait farouchement car, quoique immunisée contre ses pouvoirs, il demeurait un homme, grand, puissant, redoutable et totalement bizarre !

- NON !! s’insurgea-t-elle presque malgré elle.

- Mais vous laisse-t-on le choix ? lui rétorqua-t-il tranquillement.

- Je ne pense pas que cela soit une si mauvaise idée, ajouta Dumbledore. Avec le professeur Rogue, vous êtes certaine d’être en parfaite sécurité.

- Vous plaisantez ? s’emporta-t-elle, ébahie. Contre tout malfaiteur qui serait susceptible de rôder dehors, je n’en doute pas – puisque je ne pourrai pas sortir ! Mais vis-à-vis de lui-même, permettez-moi de rester sceptique ! Avez-vous oublié la façon dont il m’a traitée avant que vous n’interveniez ?

- Le professeur Rogue a simplement agi dans l’intérêt de cette Ecole. Il a pensé que vous représentiez une menace pour les élèves… Mr Rusard, notre concierge, vous a vue arpenter les couloirs du Château – à cette heure tous nos élèves étaient sensés se trouver dans la cour. Ignorant qui vous étiez, il en a immédiatement fait part au professeur Rogue, qui a perçu votre présence comme une menace intrusive, car vous aviez réussi à pénétrer dans l’enceinte de Hogwarts avec une facilité déconcertante, alors qu’il était impossible d’y entrer sans y avoir préalablement été invité.

- Mais c’est ce que j’ai essayé de vous dire ! Le portail n’était pas fermé à clef, il n’y avait aucune chaîne, aucun mécanisme de…

- Et c’est précisément ce que vous n’avez pas l’air de vouloir comprendre, coupa sèchement Rogue. Cette Ecole est magiquement impénétrable ! Le Grand Portail et toutes les autres issues sont protégés par de puissants sortilèges, qu’il vous était normalement impossible de briser par le simple mouvement de votre poignet !

- Je ne veux pas remettre en cause la puissance de votre Magie, reprit-elle prudemment, mais comment expliquez-vous le fait que je sois parvenue à entrer sans aucun problème ?

Les yeux de Rogue étincelèrent et il les réduisit en deux fentes menaçantes, avant de répondre :

- C’est évident… !

- Non Severus, pas de conclusion hâtive, intervint Dumbledore. Je pense plutôt que nos mécanismes de protection n’ont pas plus d’effet sur elle que nos sortilèges lancés à son encontre. En réalité, je pense que tout acte de Magie se révélera inutile s’il doit s’appliquer de près ou de loin envers Annily.

- C’est ce que nous verrons, lâcha-t-il entre ses dents, furieux, mais seule la jeune femme l’entendit.

- C’est ainsi décidé, conclut Dumbledore. Annily, vous habiterez chez le professeur Rogue jusqu’à ce que nous ayons éclairci certains points et trouvé un moyen pour vous permettre de rentrer chez vous. Ne vous inquiétez pas trop pour vos souvenirs, ajouta-t-il comme pour achever de la rassurer. Je suis certain que cette perte de mémoire a été occasionnée par le choc de votre voyage temporel. Bientôt, votre passé vous reviendra.

 

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