Le cycle de la lune bleue

Chapitre 8 : Dissimulée aux yeux de tous

5320 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 22/01/2024 00:01

    Emergeant lentement de sa torpeur, Annily ouvrit les yeux, papillonnant des paupières sous la clarté du jour. Son regard encore embué de sommeil se posa sur un lustre scintillant sous un rayon de soleil, puis glissa le long d’un des murs de la pièce et s’arrêta, hagard, sur une étagère remplie de livres. Une bibliothèque… L’esprit encore noyé dans le brouillard, la jeune femme tentait de rassembler ses souvenirs mais ne parvenait pas encore à reconnaître l’endroit. Son regard chavira jusqu’à la grande baie vitrée et se perdit dans l’immensité céleste. Cette parcelle de ciel ressemblait en cet instant à l’esprit de la jeune femme : vide, uniforme, sans fond et dépourvu de visage. Sentant un malaise désagréablement familier s’emparer d’elle, Annily détourna les yeux du carré céruléen et reporta son attention dans la pièce. Elle percevait, flottant contre sa peau, une étoffe douce et légère qui couvrait son corps dans une confortable tiédeur. Ses doigts effleuraient l’assise de cuir, à la fois ferme et lisse, d’un grand canapé sur lequel elle était couchée. Elle ne savait pas comment elle s’était retrouvée allongée, là… La jeune femme tourna la tête sur le côté, dos à la fenêtre, et son regard se posa sur une lourde porte en chêne. Dans un flash, elle revit cette porte se refermer sur un homme aux traits disgracieux, au teint de cire, au regard froid, impénétrable…

    Annily se redressa sur son séant. Elle se souvenait à présent très nettement de cet après-midi tumultueux de la veille, de cette révélation incroyable sur l’existence de la Magie, de cette Ecole de Sorciers, avec son Directeur séculaire, totalement excentrique, quoique sympathique et chaleureux – comment s’appelait-il déjà ? Elle se rappelait son interrogatoire surréaliste, assise dans une pièce glaciale au milieu de professeurs farfelus capables d’improbables prodiges. Elle se remémorait surtout cet homme brutal qui l’avait effrayée, malmenée, puis soignée pour finalement l’entraver sans qu’elle ait pu lui opposer la moindre résistance ! Elle revoyait, penché sur elle, son visage longiligne au teint de cire, aux yeux sombres et aux lignes austères, encadré par de longs cheveux noirs comme l’ébène.

Noirs, comme l’iris intense de son regard.

Intense et sans éclat…

    Annily n’avait cependant pas eu le loisir de davantage détailler cet homme sinistre et provoquant, son esprit ayant déjà eu fort à faire avec son bon sens. Mais elle entendait encore résonner dans sa tête cette voix grave, veloutée, saisissante, quoique terriblement cinglante lorsqu’il s’adressait à elle. Le dernier souvenir qu’elle gardait de cette journée rocambolesque était la chaleur et la force des longues mains pâles de cet homme sur son visage, et ces cordes magiques qui l’avaient enchaînée au fauteuil dans lequel elle s’était endormie, harassée de fatigue. Le matin suivant elle s’éveillait libérée de ces liens, allongée sur un canapé, enveloppée dans la tiédeur d’une couverture, un coussin sous la tête, une cape noire familière négligemment posée à ses pieds. La jeune femme n’avait donc pas rêvé ; celui qui la retenait captive avait réellement pris soin d’elle, après l’avoir malmenée et humiliée avec une cruauté proprement injustifiée. Les souvenirs d’Annily s’arrêtaient hélas à ces dernières heures surréalistes, n’excédant pas la journée de la veille…

    Assise en tailleur sur son lit de fortune, Annily ferma les yeux et inspira profondément afin de calmer les battements de son cœur. Elle sentait une douce chaleur se diffuser contre la peau de son visage. Le silence de la pièce faisant écho au vide de sa mémoire, elle releva lentement les yeux et regarda de nouveau autour d’elle. Les multiples reliures de cuir étincelaient sous la clarté du jour, la bibliothèque tout entière était inondée de lumière. Instinctivement attirée par la source lumineuse, la jeune femme plongea son regard au-delà de la baie vitrée et aperçut un petit groupe d’oiseaux virevoltant joyeusement dans le carré de ciel azuré. La journée semblait visiblement bien avancée et promettait d’être agréablement ensoleillée. Combien de temps avait-elle donc dormi ? Que s’était-il passé entre le moment où elle avait succombé au sommeil, harassée de fatigue, d’effarements et de doutes, et celui où elle avait refait surface, hébétée et la mémoire tout autant désertée ? Qu’avait donc fait son hôte durant son inconscience ? L’avait-il lui-même portée jusqu’au canapé ? Annily se sentait désagréablement incommodée à l’idée qu’il ait eu la possibilité de tenter quoi que ce fût tandis qu’elle se trouvait inconsciente et si vulnérable…

    Refoulant cette idée dérangeante dans un coin de sa tête, la jeune femme préféra se concentrer sur sa situation délicate qui n’était pas des moindres. S’étant éveillée, seule, dans un champ désert après avoir perdu tous ses souvenirs au cours d’un voyage dans le temps et l’espace, elle avait trouvé refuge dans une Ecole de Sorcellerie dont les occupants, des Sorciers avérés pratiquant la Magie, la prenaient pour une redoutable terroriste et la retenaient à présent contre son gré entre les murs d’un immense Château écossais – qu’elle n’était pas censée être dans la capacité d’apercevoir...

Une histoire tout à fait banale en somme…

    La jeune femme secoua la tête, abasourdie par cette situation complètement surréaliste et son issue plus qu’incertaine. Quel espoir avait-elle de recouvrer un jour la mémoire dans un monde qui n’était pas le sien, sur un territoire isolé si loin de ses racines, à une époque révolue depuis plus d’une vingtaine d’années… ? Quelles attentes pouvait-elle espérer, tandis que son passé omis et son avenir hasardeux se trouvaient entre les mains d’un homme empli de malveillance et de défiance à son égard ? Bien que sa condition fût présentement extrêmement précaire, Annily restait focalisée sur la personne qui la retenait captive. Etait-il revenu la voir ? Se trouvait-il encore là, dissimulé dans un coin, l’observant tout à loisir dans l’ombre tel un serpent prêt à se jeter sur sa proie ? La jeune femme mit rapidement pieds à terre et jeta des regards anxieux dans chaque recoin de la pièce.

    Personne… constata-t-elle avec soulagement ; elle était seule.

    Se découvrant à contrecœur de la couverture, elle tenta de se lever mais fut prise de vertiges et son regard se brouilla. Encore vacillante, elle ferma les yeux, enserra ses tempes de ses mains pour calmer son malaise et retrouver son équilibre. C’est alors qu’elle ressentit une vive douleur au front, ce qui eut tôt fait de raviver le pénible souvenir de sa lutte avec Rogue dans le couloir ascensionnel de la tour. La jeune femme porta prudemment ses doigts jusqu’à la plaie afin de vérifier l’étendue des dégâts, non sans réprimer un petit gémissement de douleur. La zone cutanée restait très sensible et inflammée, mais la blessure semblait propre et saine ; son hôte avait donc pris la peine de limiter les dommages. Le professeur Rogue… cet homme étrange et brutal, attisant la provocation, imposant le trouble et le désarroi, cet être profondément hautain et dénué de toute compassion… Le regard qu’il avait posé sur elle avait été empli de malveillance et de froideur, alors que ses mains, quoique rudes, avaient dégagé une étrange chaleur contre la peau de son visage…

    Le cri d’un corbeau la ramena brusquement à la réalité. Mue par un pressentiment, Annily se tourna vers la porte en chêne. Elle s’attendait à voir surgir Rogue d’un instant à l’autre, s’avancer d’un pas rapide et venir se planter devant elle, la dévisager de pied en cap avec mépris, lui adresser des paroles froides et cruelles, la questionner avec acharnement, sans relâche, jusqu’à obtenir des aveux arrangés, quitte à la harceler et la malmener sans la moindre pitié ! La jeune femme attendit un moment, assise sur le bord du canapé, l’œil fixé sur la porte close, mais personne ne vint ; il n’y avait pas l’ombre d’un Sorcier dans le secteur sécurisé de sa chambre improvisée. Rogue devait très certainement dispenser ses cours de potions à ses élèves, dont Annily devinait aisément la répugnance et la terreur.

    La jeune femme se leva doucement et se dirigea vers la porte sur la pointe des pieds. Elle colla discrètement son oreille contre le battant, mais seul le souffle de sa respiration lui parvint comme une onde parasite. Un peu hésitante, elle tenta d’ouvrir la porte, avec peu d’espoir cependant. Sans grande surprise, celle-ci était verrouillée, et les portes des châteaux avaient la réputation d’être d’une solidité à toute épreuve. Annily se trouvait bel et bien enfermée, séquestrée par un inconnu qui n’avait pas même pris la peine de lui procurer de quoi se nourrir – elle n’avait pas avalé quoi que ce fût depuis la veille. Tournant le dos à la porte, elle s’appuya un instant contre le battant, désappointée et profondément soucieuse. L’affamer pour davantage l’affaiblir faisait-il partie de leurs projets ? Comptaient-ils la pousser à bout dans le but d’obtenir des aveux arrangés ?

    Délaissant finalement la seule issue possible, la jeune femme commença alors une observation détaillée de sa prison, n’ayant pas d’occupation plus utile pour l’instant. Elle longea à pas lent l’une des étagères de la bibliothèque, détaillant chaque livre avec surprise et quelque intérêt. Certains portaient des titres plus ou moins étranges, ou plutôt bien typiques de ce Monde, tels que : La Puissance des Elixirs de l’Ombre ; Les Potions universelles et leurs Pouvoirs sur le Vivant ; Comment parer les Effets secondaires des Impardonnables avec une Potion de dernier Niveau ; La Magie noire et les Elixirs interdits ; La Légilimancie : l’Accès à la Profondeur de l’Âme ; L’Occlumancie : apprendre à fermer son Esprit ; Maîtriser la Lecture des Pensées par un informulé ; Comment annihiler les Effets de l’Intrusion mentale – il y avait de nombreux ouvrages se référant aux potions ainsi qu’à l’Occlumancie et la lecture de l’esprit dont elle ignorait tout – et tant d’autres encore. Chaque grimoire était tourné vers la Magie ou la Sorcellerie – plusieurs semblaient se référer à la Magie noire – mais aucun ne semblait mentionner les humains n’ayant aucun pouvoir… Annily eut beau chercher, elle ne trouva aucune encyclopédie sur les connaissances humaines, aucun ouvrage retraçant les différentes révolutions historiques, les grandes conquêtes successives, ou les guerres mondiales… Pas un seul livre relatant les plus grandes inventions, découvertes ou exploits que l’Homme avait accomplis, rien non plus se référant à l’Histoire du Royaume-Uni ou de Grande-Bretagne. Rogue paraissait s’y désintéresser totalement ! Les œuvres de médecine humaine ne semblaient pas non plus faire office d’intérêt, de même que les livres de physique, de mathématiques, ou encore de droit… Et pas le moindre ouvrage littéraire !

    La jeune femme réalisa soudain à quel point elle semblait insignifiante, dérisoire et indigne d’intérêt aux yeux de ce Sorcier arrogant et imbu de lui-même. Elle se reposa pour la centième fois cette question qui la tourmentait depuis la veille, la laissant préoccupée et profondément perplexe : pourquoi cet homme désagréable, qui semblait ressentir une telle aversion pour elle, avait-il accepté de la prendre sous son aile – si l’on pouvait présenter la situation de la sorte… ? Amnésique et totalement égarée dans un monde inconnu empli données irrationnelles, elle se trouvait à présent enfermée dans une bibliothèque qui lui tenait lieu de chambre, avec comme lit un canapé en cuir, et comme unique compagnie des centaines de livres ne présentant pas la moindre signification rationnelle pour elle ! Annily était donc condamnée à vivre ici, prisonnière, sans eau ni nourriture ni même un petit coin pour se soulager, sans avoir la possibilité de sortir et respirer l’air du jour, sans que personne n’ait le droit de lui rendre visite ni même lui adresser la parole. Exclue de cette communauté magique comme de son propre passé, elle était considérée comme une étrangère, un parasite qui n’avait pas sa place dans ce Monde…

    D’un geste rageur de la main, Annily repoussa ces réflexions pénibles dans un coin de sa tête. Si sa capacité cérébrale était pour le moment inapte à reconstituer les éléments primordiaux de sa vie, elle allait remplir ce vide mémoriel par de nouveaux souvenirs… En attendant de rendre accessible les bribes de son passé momentanément noyé dans l’oubli, elle comptait bien tirer parti de cette journée nouvelle qui s’offrait à elle, bénéficiant de ces instants à venir bien réels dont elle pourrait se remémorer, et qui allaient faire partie intégrante de sa vie durant les semaines à venir. Elle allait ainsi pouvoir inscrire de nouveaux événements dans l’espace vacant de sa mémoire, des moments qui se promettaient d’être incroyables ! Occultant les souvenirs pénibles de la veille, Annily se concentra sur les révélations stupéfiantes qui venaient tout juste de la transporter dans cet univers.

Un univers magique

Ainsi donc la sorcellerie existait vraiment ! Ainsi donc, tout était possible… Mais comment tout cela pouvait-il être vrai ? La jeune femme ne parvenait pas encore à réaliser pleinement ce qu’elle avait vu et entendu, il lui était rationnellement très difficile d’admettre cette troublante réalité ! Et pourtant… Tout ce qui s’était produit sous ses yeux, ces faits surnaturels auxquels elle n’aurait jamais pensé pouvoir croire un jour… ce Monde, cette Ecole… tout cela semblait si réel… ! La Magie aurait donc une existence avérée et incontestable…

    Annily s’approcha de la fenêtre et jeta un regard songeur sur les immenses terres verdoyantes qui s’étendaient autour du Château. Les appartements de Rogue avaient été établis tout en haut de la tour Nord ; de cette hauteur, le panorama qui s’offrait tout entier à elle était magnifique. Tournant son regard vers la gauche, la jeune femme distinguait les rivages d’un lac, qui avançait ses ondes imperceptibles jusqu’aux pieds rocailleux de la forteresse. Ses eaux calmes et lisses s’étendaient bien au-delà de son champ de vision, contournant le Château le long de la falaise sur laquelle le bâtiment avait été édifié. Bordant les roseaux de cette étendue aqueuse, une large route sablée s’éloignait du Château à travers les prés, s’enfonçant aux frontières du domaine jusqu’à l’entrée d’une immense forêt qui s’étendait à perte de vue par-delà les collines. La jeune femme avait remarqué cette vaste étendue arborescente à son arrivée, sans en avoir relevé l’importance. De son observatoire, cette forêt semblait parcourir des milliers d’hectares. Pourtant inondée de lumière, elle demeurait résolument sombre, terriblement sinistre et assurément imprégnée de mystères.

Tout comme chaque mètre carré de cet endroit…

    Détachant son regard du paysage, Annily reporta son attention dans la pièce. Une nouvelle vague d’angoisse la submergea, lui rappelant brutalement la précarité de sa situation. Tiraillée entre ses tourments et l’ennui que lui imposait son isolement, elle se mit à arpenter sa cellule. Souhaitant à tout prix occuper son esprit, la jeune femme se dirigea vers le bureau de Rogue, dans l’espoir d’en apprendre un peu plus sur son propriétaire. Sculpté dans un très beau bois d’ébène, le meuble de travail était jonché de parchemins.

    Intriguée, Annily en parcourut quelques-uns ; ils étaient noircis de lignes traitant de l’élaboration des élixirs et autres potions magiques. Certains répertoriaient des listes d’ingrédients tous plus saugrenus les uns que les autres, d’autres exposaient l’intégralité d’une recette visant à la réalisation d’une potion aux effets des plus surprenants. Une pile de parchemins en cours de traitement concernait des dissertations ou des réponses à des questions d’examen. Chacun d’entre eux portait une écriture différente ; certaines étaient maladroites, illisibles, d’autres restaient soignées et agréables à lire. Il s’agissait visiblement des devoirs des élèves, dont le Maître des Potions se chargeait de rectifier le contenu avec une sévérité déviant parfois vers le sadisme. Les parchemins en cours de correction étaient érigés en deux piles ; chaque devoir portait le nom de l’élève ainsi que le nom du groupe auquel il appartenait : Serpentard ou Gryffondor. Annily eut tôt fait de remarquer une nette préférence du professeur pour l’un des deux groupes d’étudiants ayant rédigé ce devoir… Bien qu’elle ignorât la signification des lettres que le professeur apposait en haut de chaque parchemin, ceux des élèves de Gryffondor étaient remplis de paragraphes entièrement raturés et margés d’annotations sarcastiques voire franchement cruelle. Les jeunes Serpentard en revanche, semblaient avoir été surestimés, et ce malgré les fautes d’orthographe et de syntaxe que la jeune femme avait remarquées, ainsi que certaines de leurs copies en tout point identiques à celles des élèves défavorisés. La différence de notation était flagrante.

    Annily secoua la tête et reposa les parchemins, quelle remit soigneusement à leur place. Elle ne tenait pas à être accusée d’avoir fourré son nez dans les affaires de Rogue ! Il lui avait plus ou moins laissé entendre qu’elle pouvait emprunter tous les livres de sa bibliothèque, elle allait donc s’en satisfaire… pour l’instant.

 

    Confortablement lovée dans un coin du canapé, une couverture enveloppant ses épaules dans une douce tiédeur, Annily lisait avec intérêt les premières pages du livre qu’elle avait choisi dans les premiers rayonnages de la bibliothèque. L’ouvrage traitait de l’Histoire de Hogwarts. La taille de ce volume, dont la couverture en cuir était d’une remarquable finesse, promettait de l’occuper pour les semaines à venir. Bien que de nombreux termes ésotériques lui fussent totalement étrangers, de même que certains lieux cités ainsi que la plupart des personnages historiques évoqués, les origines de cet endroit inédit et inconnu des Moldus semblaient tout droit tirées des plus beaux contes moyenâgeux.

    Mais au bout de quelques pages d’une lecture pourtant passionnante, la jeune femme releva la tête, soucieuse, se demandant amèrement combien de temps encore elle allait demeurer seule, sans la moindre visite, privée de distraction et de nourriture. Pourquoi ces Sorciers s’étaient-ils donnés tant de mal pour l’interner, si leurs desseins étaient de la laisser mourir de faim ? Cet état d’inanition à venir ne pouvant excéder quelques jours, attendaient-ils patiemment qu’elle crie famine derrière la porte, suppliant qu’on lui apporte au moins un peu d’eau ? Etait-ce une mise en scène humiliante et perverse visant à lui extorquer des aveux factices dans le seul but de les satisfaire ? La jeune femme ne put s’empêcher d’imaginer les multiples possibilités auxquelles ces gens pouvaient avoir recours afin de combler leurs attentes… Songeant avec angoisse aux séances de tortures et autres violences physiques usitées dans les salles d’interrogatoires peu conventionnelles d’antan, elle se demanda sérieusement s’il était dans les intentions ultimes de ces Sorciers d’employer des méthodes plus « persuasives », afin de compléter les effets pernicieux des supplices psychologiques actuels…

    Annily se morigéna aussitôt et stoppa net ce flot de pensées, qui ne pouvait mener qu’à de funestes conjectures et des tortures de l’esprit jusqu’à la psychose. Bien que ses hôtes fussent des personnes étrangères dont le talent exceptionnel était empreint d’occultisme et de puissance, cela ne signifiait aucunement que leurs intentions étaient mauvaises… Ils se méfiaient d’elle, à l’instar d’elle-même envers eux et leur univers.

    Anxieuse et épuisée, la jeune femme frissonna. Son état fiévreux de la veille avait intensifié sa soif, à tel point qu’Annily sentait poindre en elle une insupportable obsession pour le liquide vital. Elle tenta d’oublier un instant son tourment, et s’obligea à replonger dans les écrits de son livre. Le fil de sa lecture, couplé à la douce tiédeur de la couverture et à son état de faiblesse, eurent finalement raison d’elle car la jeune femme finit par s’assoupir. Ce laps de temps d’inconscience permit à une petite créature vêtue d’une taie d’oreiller, de surgir dans un « pop » furtif et discret au milieu du salon. L’Elfe de Maison ne resta qu’un court instant dans la pièce, épiant de ses grandes oreilles les phrases entrecoupées que prononçait Annily dans son sommeil. Puis il roula de grands yeux globuleux aux quatre coins de la pièce et disparut dans un silence révérencieux.

     Le sommeil agité de la jeune femme fut de courte durée, et lorsqu’elle se réveilla, le front en sueur et la bouche pâteuse, sa soif était plus tyrannique que jamais. Désespérée, Annily laissa échapper quelques larmes rageuses et se prit la tête dans les mains. Son besoin de s’hydrater était tel, qu’il lui semblait percevoir des clapotis résonnant dans le lointain, tel l’écho d’un songe obsessionnel. La jeune femme se redressa subitement et tendit l’oreille ; ce son liquidien ne provenait nullement de son imagination ! Concentrée à l’extrême, Annily discernait nettement le clapotement régulier de gouttes d’eau tombant l’une après l’autre de manière rapprochée.

    Faisant fi de ses vertiges, la jeune femme se leva d’un bond et arpenta frénétiquement la pièce en affinant davantage ses facultés auditives. Tournant la tête de droite et de gauche, elle dirigea rapidement son regard avide vers l’étagère du fond, en face de la cheminée. Ses mains s’activèrent aussitôt entre les livres, scrutant chaque rayonnage, écartant les lourds ouvrages, grattant le fond du meuble dans l’espoir de découvrir un pan de mur, une porte, un mécanisme afin d’en activer l’ouverture. A son grand désarroi, ses doigts tâtonnaient le panneau intègre du mobilier, sans en avoir révélé la moindre trace de passage. Annily en était pourtant certaine : elle percevait distinctement une source d’eau couler, de l’autre côté de la cloison.

    Soudain mue par une intuition, elle attrapa à deux mains le rebord de l’étagère chargée de livres, et tira de toutes ses forces, au risque de la faire basculer avec tout son chargement. Elle sentit avec soulagement le pan du meuble s’ébranler, puis se mouvoir lourdement vers elle dans un grincement sourd, laissant filtrer sur le sol un mince rai de lumière. Le cœur battant, la jeune femme regarda un instant par-dessus son épaule afin de s’assurer de toute absence intrusive, et risqua un œil discret dans l’entrebâillement. Une pièce secrète ! Elle aurait pu s’en douter… Les vieux châteaux des siècles d’antan recelaient bien souvent des passages dérobés, des corridors clandestins, des petites chambres dissimulées derrière des murs, et bien d’autres mystères encore ! Elle se souvenait avoir lu déjà plusieurs histoires moyenâgeuses à ce sujet, au temps des chevaliers et des trésors enfouis. Il s’agissait là de souvenirs lointains, des bribes de réminiscences suspendues dans le néant de sa mémoire, et qui ne raccrochaient aucun événement de sa vie en particulier…

    Reportant son attention sur la porte masquée, Annily entreprit de l’ouvrir entièrement et, après une dernière œillade dans la pièce principale, se faufila avec précaution de l’autre côté. Ce qu’elle y découvrit la laissa ravie : dans l’iris avide de son regard se reflétait une jolie petite salle d’eau, dont les tons ivoire, turquoise et bleu roi brillaient d’un millier d’éclats de lumière. Le cachet d’originalité et de splendeur de cet endroit résidait dans l’agencement étagé d’une multitude de petites vasques en céramique, élégamment assemblées les unes aux autres dans une composition architecturale de fontaines multiples et variées, qui dédiaient une effigie empreinte d’originalité et de ravissement. Encastrés le long des murs sur différents niveaux, les bassins constituaient des pyramides de réceptacles incrustés d’une myriade de pierres scintillantes, offrant ainsi un ensemble de formes enchevêtrées et de couleurs tout à fait harmonieux. Les yeux brillants, Annily en resta quelques secondes pantoise. Le bruit de l’eau plongeant de vasque en vasque dans un clapotis cristallin lui emplissait les sens telle une musique enivrante.

    Sortant rapidement de son ravissement, la jeune femme s’avança vers la source la plus proche et passa une main sous l’une des multiples cascades ondoyantes. Sentant la fraîcheur et la douceur de l’eau glisser le long de sa peau, elle la porta sans plus attendre jusqu’à ses lèvres avides. Puis penchant sa tête en avant, elle se mit à genoux sur le carrelage et but ainsi jusqu’à en perdre le souffle. Comme il était bon de sentir cette eau vitale, si enivrante, envahir sa gorge comme une avalanche de neige. Elle avait l’impression qu’elle venait d’engloutir des litres !

    Savourant cette délicieuse sensation d’hydratation, assise à même le sol, le dos contre la céramique, Annily laissa ses doigts encore humides courir le long des rebords incrustés de pierres des bassins, tandis que son regard scrutait le moindre détail de cette ravissante architecture thermale. La jeune femme remarqua alors un petit muret agencé dans le fond de la salle. Intriguée, elle se releva et découvrit l’aménagement d’un petit cabinet de toilettes, parfaitement propre et fonctionnel. Les conditions de sa captivité s’amélioraient déjà un peu plus…

 

    Lorsque Rogue regagna ses appartements après une longue journée d’enseignement et d’investigations personnelles, la nuit était tombée depuis plusieurs heures sur le Château. Bien qu’il n’eût pas revu sa pensionnaire depuis la veille, il n’avait cessé de garder un œil sur elle, s’étant enquis de son état par l’intermédiaire d’un Elfe de Maison. La créature avait été mandatée par deux fois auprès de la jeune femme, en toute discrétion lors de ses phases de sommeil.

    Poussant la porte de la bibliothèque dans la quiétude du crépuscule, le Maître des Potions s’avança dans ses quartiers, le pas aussi silencieux qu’une ondulation reptilienne. Annily s’était assoupie sur le canapé qui lui servait de lit, un livre ouvert posé sur le ventre. Elle s’était recroquevillée sous la couverture et frissonnait dans son sommeil. Rogue posa une main sur son front en sueur et, lui trouvant encore un peu de fièvre, versa entre ses lèvres quelques gouttes de la potion qu’il avait utilisée la veille. Puis il souleva délicatement le livre et le posa à côté d’elle sur la table basse.

    - Hummm… Histoire de la Magie, lut-il à voix basse. Jusqu’à quel point notre Monde et cette Ecole semblent-ils vous intéresser… ?

    Il l’observa un court instant, méditant sur ces réflexions qui le préoccupaient. Une journée sans collation avait certainement dû affaiblir ses défenses et son insolente répartie de la veille ; le professeur espérait une prompte réhabilitation de sa docilité ainsi qu’une coopération plus spontanée pour les jours à venir – sans pour autant devoir encore recourir à une privation excessive de nourriture ; Dumbledore ne le permettrait certainement pas. Susciter une dessiccation du corps et des carences alimentaires chez les élèves sanctionnés et retenus pour un temps dans les cachots de Hogwarts, n’était certes pas une pratique répandue dans cette Ecole ; chaque étudiant était bien traité, les tortures morales et les punitions corporelles n’étaient plus d’usage. Bien que Rogue se fût particulièrement délecté des angoisses nourries de la privation et de l’impuissance de la jeune femme, Annily ne ferait pas exception à cette règle – à peu de choses près. Suite à sa première visite intrusive, l’Elfe de Maison avait principalement rapporté l’intense soif de la jeune femme. Un coup d’œil en direction de l’étagère du fond révéla au professeur que sa pensionnaire assoiffée avait découvert la petite salle dérobée – Dumbledore l’ayant fait aménager en toute splendeur durant sa première nuit – ; actionner les fontaines à distance afin de l’attirer dans la pièce avait été un jeu d’enfant pour lui.  Le lendemain serait davantage nourrissant, cependant les tribulations d’Annily ne faisaient que commencer !

    Un rictus aux lèvres, Rogue fit apparaître une seconde couverture qu’il posa négligemment sur la jeune femme endormie, puis il s’éloigna sans un regard et verrouilla la porte à double tour. Il verrait dès demain à lui fournir vêtements, draps, serviettes et autres objets nécessaires aux conditions de sa captivité.


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