Le cycle de la lune bleue

Chapitre 9 : Enquête et suspicions

7616 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 25/01/2024 01:49

    Ouvrant les yeux après une seconde nuit tout aussi peu reposante que la précédente car peuplée de rêves perturbants, Annily ressentit aussitôt une faim tortueuse lui tirailler douloureusement l’estomac. Cette sensation pernicieuse et cuisante la ramena brutalement à la réalisé. Emergeant dans un étau d’angoisse qui la secoua jusqu’à la nausée, la jeune femme se redressa péniblement et, agrippant avec force le dossier du canapé, céda abruptement au désespoir qui la submergea instantanément. Accablée et plus désemparée que jamais, Annily se réfugia dans le mutisme de ses tourments durant de longues minutes, étouffant des sanglots spastiques dans son oreiller, ses doigts serrant fébrilement l’étoffe du coussin, le regard fixe, des pensées nébuleuses s’entrechoquant dans le néant de son esprit.

    Lorsqu’elle reprit finalement corps avec la réalité, sa respiration s’était apaisée et ses larmes s’étaient taries. La douce clarté matinale qui lentement fleurissait dans la pièce avait fini par apaiser la douleur de son âme. Dans une tentative de raccrocher sa lucidité au monde des vivants, les yeux de la jeune femme sillonnèrent machinalement la pièce, son esprit recouvrant peu à peu une conscience douce-amère de l’existence qui l’entourait. Annily étant de nature particulièrement observatrice, son regard fut rapidement attiré par un détail ; une seconde couverture pesait sur ses jambes, la pièce de tissu ayant en grande partie glissé jusqu’au sol. La jeune femme ramassa la couverture et la ramena jusqu’à elle. Fronçant les sourcils, la présence de l’étoffe initialement manquante la veille ne pouvait signifier qu’une chose : Rogue était revenu durant son sommeil, il s’était enquis de la fraicheur de la nuit et s’était soucié du confort nocturne de la jeune femme.

    Secouant la tête afin de chasser des pensées dérangeantes chaque fois que son hôte passait la voir à son insu, Annily inspira profondément, essuya d’un revers de main les larmes qui sillonnaient ses joues, et plongea son regard à travers la baie vitrée. La nature avait toujours eu un grand pouvoir lénifiant sur elle ; elle n’avait cependant pas la capacité de nourrir ni de régénérer les forces physiques. Avec ces quelques heures d’un sommeil insuffisamment réparateur, la jeune femme était épuisée et très affaiblie par son hyperthermie fluctuante et le manque de nourriture ; elle se sentait glacée de l’intérieur et parvenait difficilement à se réchauffer, emmitouflée dans la couverture mouillée de sa sueur. Outre le froid qui avait investi son corps et son âme dans un indéfectible manteau poudré de frimas, l’agitation et la fièvre avaient provoqué des sudations glaciales sur toute la surface de sa peau. Se sentant moite et terriblement crasseuse dans ses vêtements qui la couvraient depuis plusieurs jours, Annily rêvait de pouvoir enfiler des habits propres et frais, après avoir pris un bon bain chaud agrémenté d’un festin digne de ce nom.

    Le souvenir de la nourriture raviva ses crampes d’estomac, et la jeune femme serra les dents de frustration. C’est à cet instant précis que la porte s’ouvrit sur le Maître des Potion, qui entra en s’avançant d’un pas tranquille, seul. Imperturbable, Rogue fixa la jeune femme, qui le regardait sans prononcer un mot, interdite.

    - Mademoiselle, salua-t-il de sa voix lente et doucereuse. Cette nuit semble vous avoir été… profitable… Avez-vous retrouvé un semblant de forme ?

    - O… Oui, je pense…, répondit-elle hésitante, ne pouvant déterminer s’il s’agissait d’ironie ou d’une réelle préoccupation d’usage.

    Rougissant quelque peu d’avoir été surprise au saut du lit, Annily se racla la gorge et passa maladroitement ses mains dans les cheveux afin de se donner une contenance. Parfaitement impassible, Rogue détailla un instant sa chevelure emmêlée dont quelques mèches brunes collaient à son front, ses épaules frissonnantes malgré la couverture, ses lèvres pâles et gercées, ses cernes mauves qui se dessinaient sous ses yeux fuyants.

    - Bien, fit-il dans un rictus des plus satisfaits. J’ose espérer que ces deux nuits passées ici vous auront permis de réfléchir… Je songe en somme entrevoir une coopération plus spontanée de votre part.

    - Mais je vous ai déjà dit tout ce que je savais… Je vous jure que je vous ai dit la vérité !

    - Cependant votre parole à elle-seule est bien loin de suffire, Mademoiselle ! riposta-t-il, menaçant. Sachez que de nombreux éléments ne jouent pas en votre faveur…

    - Quoi ? Mais quels…

    - Il est inutile d’entamer cette discussion maintenant ! coupa Rogue sèchement. Vous en aurez tout le loisir dans quelques heures.

    Annily ne répliqua pas ; elle sentait ses forces l’abandonner un peu plus à chacune de ses luttes stériles avec ce professeur tyrannique, sans compter le mal de tête de la veille qui pointait à nouveau.

    - Bien, reprit-il dans un murmure. Je suppose que cette brève abstinence alimentaire a quelque peu dû attiser votre appétit… La privation nutritionnelle est, en outre, un très bon stimulant de l’esprit ; elle génère l’activation de la méditation intelligente et engage rapidement une introspection raisonnée. Il serait fort souhaitable qu’elle ait stimulé à bon escient votre capacité de réflexion, engageant ainsi votre compréhension vis-à-vis de nos attentes…

    Estomaquée par les menaces grossièrement voilées sous les allusions cyniques du professeur, Annily en resta coite, constatant avec effarement qu’elle ne s’était pas leurrée quant aux intentions de son hôte. Comptait-il pousser le vice jusqu’à mettre sa vie en péril afin d’obtenir ce qu’il voulait ? La jeune femme sentit ses craintes se raviver comme une trainée de poudre, tandis que Rogue poursuivait, imperturbable :

    - Un petit-déjeuner va vous être apporté d’ici quelques instants, après quoi vous essayerez l’une des tenues que je vous ai apportées. Vous avez rendez-vous avec le Directeur aujourd’hui.

    Tout en lui exposant le programme de la journée, Rogue avait soigneusement déposé sur le dossier du canapé une robe noire de sorcier, un chemisier et une jupe de mi-saison, des sous-vêtements communs ainsi qu’une longue tunique grise.

    - Que désirez-vous pour votre collation matinale ? reprit-il un brin sarcastique. Un café noir, peut-être…

    - Non, merci, répondit Annily, sur ses gardes. Si cela demeure dans les habitudes de vos cuisines, je préfèrerais plutôt un chocolat chaud…

    Rogue ne répondit pas ; agitant sa baguette dans un geste prompt, il fit apparaître une tasse de chocolat fumant dérivant au-dessus d’un plateau, qui se posa en douceur sur la table basse devant la jeune femme. La boisson chaude était accompagnée de scones, d’un petit pot de confiture et d’un verre de jus de fruits.

    - C’est un jus à base de citrouille, précisa-t-il dans un rictus. Vous pouvez le boire en toute confiance, je n’ai nullement l’intention de vous empoisonner.

    Les dents serrées, Annily garda le silence. Rogue lui signifiait clairement qu’il pouvait envisager le contraire si l’envie lui en prenait, à l’instar de la privation des besoins élémentaires, générant habilement la peur, annihilant toute confiance. L’humiliation et les craintes de la jeune femme augmentaient d’heure en heure en la présence de cet homme odieux et terrifiant. Il était parfaitement conscient de l’emprise morale et physique qu’il avait sur elle et, non content d’en savourer pleinement les conséquences, jouissait ouvertement de la situation désespérée de la jeune femme. Mais elle avait si faim qu’elle ne pouvait davantage soutenir sa frêle dignité face à lui, et se jeta à corps perdu sur son petit-déjeuner.

    Après avoir englouti le premier scone tel quel, elle dévora les deux suivants encore tièdes qu’elle avait hâtivement tartinés de confiture, puis savoura un peu plus lentement le succulent chocolat chaud. Elle le sentait descendre telle une cascade de caresses brûlantes le long de sa gorge sèche jusqu’à son estomac déjà bien rempli, réchauffant progressivement son corps. Pour finir, elle avala d’un trait le fameux jus de citrouille, dont elle découvrait pour la première fois le goût délicieux.

    Alors qu’elle terminait ce repas qui lui redonnait quelques forces et rehaussait ses espérances, elle releva les yeux et surprit Rogue qui la dévisageait, un brin amusé, son fidèle rictus méprisant figé sur ses lèvres. Décidée à faire de même, Annily le détailla à son tour. L’antipathie et la dureté de ses traits étaient demeurées inchangées ; le visage masculin qui lui faisait face était perpétuellement figé dans une froideur et un mépris des plus désagréables. Son nez crochu, sa peau si pâle et l’horrible rictus qu’il affichait parfois, accentuaient la laideur de sa figure et contribuaient à rendre l’expression de son visage plus détestable encore. Et de toute évidence, les caractéristiques morales de ce professeur si antipathique semblaient mériter des critiques quelque peu similaires… Rogue était décidément un être méprisant et abject !

    A cet instant, la jeune femme ressentit une telle aversion envers lui qu’elle détourna les yeux, écœurée, les pensées en fureur. Que n’aurait-elle donné pour accueillir en son regard l’ébauche d’un sourire bienveillant à son égard, ne serait-ce qu’une fois… Les seuls traits de beauté dissimulés parmi tant d’aspects déplaisants chez cet homme, se résumaient en la profondeur de ses yeux sombres, la douceur étonnante de ses mains qui diffusaient tant de chaleur, et le ton grave et velouté de sa voix, la plupart du temps perçue dans un lent murmure. Rogue parvenait cependant et sans aucun mal à rendre ses quelques charmes aussi pernicieux que son apparence : cette voix si troublante était toujours particulièrement austère lorsqu’il s’adressait à elle, ses mains s’étaient révélées d’une brutalité sans nom, et le regard d’encre demeurait bien souvent empli de malveillance, de mépris et de haine. Tout comme en cet instant… Sentant ce regard brûlant la scruter au plus profond de son âme, Annily s’écria presque malgré elle :

    - Mais arrêtez de me regarder comme ça ! C’est pénible à la fin !

    Surpris, Rogue fronça dangereusement les sourcils. Se rapprochant d’elle tel un félin prêt à s’élancer sur sa proie, il lui ôta des mains le plateau qu’il fit disparaître d’un simple geste. Puis il se pencha vers elle, les lèvres serrées en un trait fin et pâle, et lui dit d’un ton calme, à peine audible, en détachant chaque mot :

    - Ne me parlez plus jamais sur ce ton, Mademoiselle ! Votre présence ici n’est nullement désirée, et bien que le Directeur ait eu la bonté de vous recueillir, vos actions clandestines et vos manigances menacent la sécurité de cette Ecole. Vous n’êtes ni plus ni moins qu’une petite intrigante qui a judicieusement su se faire passer pour ce qu’elle n’est pas ! Il est inutile de me jeter de tels regards ; vos airs vicieusement assassins ou faussement offusqués ne parviendront pas à atteindre leurs objectifs respectifs dans l’intimidation ou l’attendrissement ! Jusqu’à preuve du contraire, vous êtes ici sous mon toit et mon entière responsabilité, en attendant votre jugement. Je ne pense pas que vous soyez en mesure de me donner des ordres, ni même exiger quoi que ce soit auprès de quiconque !

    Vexée de se voir ainsi constamment rabaissée et traitée telle une vulgaire collégienne au comportement récalcitrant, Annily détourna le regard afin de maîtriser l’afflux dangereusement imminent de larmes rageuses et traitresses, mais elle ne put empêcher sa lèvre inférieure de trembler de colère. Malgré sa contrariété bouillonnante, elle jugea plus prudent de se contenir, et s’abstint de tout commentaire. Elle devait bien l’admettre, cet homme parvenait encore à l’intimider suffisamment pour conserver sur elle une emprise dévastatrice. Il était aisément capable de la réduire au silence d’un seul regard, un simple murmure, sans avoir besoin de hausser la voix, à tel point qu’elle en perdait toute contenance.

    Je ne dois pas me laisser impressionner de cette manière, tenta-t-elle de se convaincre avec force. Il ne représente absolument rien pour moi, et lorsque je serai éloignée de toute cette folie il n’aura finalement pas acquis la moindre importance dans ma vie ! Il n’est juste qu’un simple professeur et je ne suis pas son élève, je n’ai aucune obligation envers lui, pas même le respect ! Il ne peut avoir aucune influence sur mes décisions, quoi qu’il en dise ! Il n’est pas en mesure d’exercer le moindre pouvoir sur moi, qu’il soit juridique ou même… magique… Sa puissance et sa prétendue prééminence ne peuvent pas me contraindre à quoi que ce soit ; je reste libre ! il ne m’est aucunement supérieur et je ne suis ni menteuse, ni idiote, ni insignifiante…

    Malgré ses tentatives internes pour s’exhorter au calme et retrouver un semblant d’assurance, Annily fulminait, cependant elle se garda bien de laisser éclater son désarroi et sa fureur. Rogue de son côté, semblait se délecter de la tempête intérieure qui se déroulait sous ses yeux. C’est d’une voix doucereuse qu’il rompit finalement le silence :

    - Suivez-moi, intima-t-il. Je ne souhaite pas davantage user de mon temps auprès de vous à jouer les nourrices. L’essayage de vos nouvelles toilettes attendra votre retour. Le Directeur souhaite avoir un entretien avec vous. Il me semble que vous avez encore bien des choses à nous révéler, Mademoiselle.

    Exaspérée par ces sous-entendus répétés, la jeune femme serra les poings et se leva sans lui accorder un mot, résolue dans son mutisme nourri de frustration et de brimades. Elle se devait de réserver son éloquence pour le professeur Dumbledore, qui paraissant avoir une mainmise éminente, sagace et intègre sur son institution et le Monde Sorcier alentour. Le petit-déjeuner qu’elle venait d’engloutir lui avait permis de recouvrer des forces. Déterminée à réhabiliter son innocence et son intégrité, à défaut de pouvoir le prouver, Annily s’arma de courage tinté de flegme, se préparant mentalement à affronter ses juges qui allaient sous peu décider de son sort. Cet entretien allait être décisif ; elle devrait se montrer convaincante ! Rogue lui emboîta le pas, sa longue cape noire tourbillonnant dans son sillage.

 

    Accompagné de sa collègue excellant en métamorphose, le professeur Dumbledore attendait dans les couloirs du Château l’arrivée imminente de Rogue, parti chercher sa jeune captive depuis une bonne vingtaine de minutes. Le visage habituellement calme et enjoué du Directeur paraissait sombrement préoccupé depuis une longue mise au point avec ses professeurs la veille au soir – discussion qui s’était éternisée jusque tard dans la nuit. Le Maître des Potions apparut enfin au détour du couloir, le pas pressé, suivi de sa prisonnière dont l’appréhension était visible.

    - Bonjour Annily, commença Dumbledore dans un sourire affable. Comment allez-vous ce matin ? Severus m’ayant informé de votre état quelque peu souffrant, je me souciais de vous trouver encore fiévreuse aujourd’hui.

    - Je me sens un peu mieux, merci… répondit-elle sur le ton de la réserve. Le petit-déjeuner m’a fait du bien.

    - De même que les remèdes de Madame Pomfresh – notre infirmière à Hogwarts – qui ont visiblement été d’une efficacité fort convenable, conclut-il, satisfait. Je craignais que nos potions, quand bien même préparées sans acte de Magie, n’aient aucun effet sur votre état de santé. Me voici rassuré. A présent que vous voilà rétablie, je souhaiterais avoir un nouvel entretien avec vous Annily… Mais allons d’abord dans mon bureau ; les professeurs Rogue et McGonagall seront également présents.

    Annily s’interrogeait sur ce que le Directeur pouvait bien avoir découvert de si important, élément auquel Rogue avait fait allusion lorsqu’il était venu la chercher… Elle se demandait avec angoisse s’il croyait encore à son histoire, et s’il était toujours enclin à lui venir en aide afin de lui permettre de quitter ce monde, la mémoire recouvrée ou non. Appréhendant la suite des événements, elle les suivit à travers une série de couloirs étonnamment déserts du Château, surprise de ne pas y croiser âme qui vive, ce qui était fort surprenant pour un lieu d’enseignement. Au vu de l’heure matinale, les élèves étaient certainement en train de se préparer ou de prendre leur petit-déjeuner. Les professeurs avaient assurément veillé à ce que les allées et venues de la jeune femme se fissent dans la plus grande discrétion. Ils parvinrent ainsi jusqu’à une imposante gargouille en pierre d’une extrême laideur, qui détonait étonnamment avec la beauté architecturale des lieux. Elle gardait apparemment l’entrée du bureau du Directeur, mais Annily ne distinguait aucune porte ni autre accès à proximité.

    - Meringue pistache, prononça alors Dumbledore.

    Aussitôt, le mur de derrière s’entrouvrit lentement dans un raclement assourdissant de roches frottant les unes contre les autres, tandis que la statue se mettait en mouvement, tournant sur elle-même dans une lente rotation, laissant progressivement apparaître un escalier en colimaçon qui s’élevait tel un escalator de pierre dans une progression elliptique. Sans attendre que l’escalier ait terminé son ascension, Dumbledore s’y engagea tranquillement, suivi par le professeur McGonagall qui prit place derrière le Directeur sur une marche en mouvement, l’allure toujours aussi droite et sévère. Ce système élévateur étant activé magiquement grâce à un mot de passe, Annily ne pouvait s’y engager sans risquer d’interrompre l’élévation des professeurs ; elle fut contrainte de patienter en compagnie de Rogue jusqu’à l’arrêt total du mécanisme.

    D’un mouvement sec de la main, le Maître des Potions fit signe à la jeune femme de rejoindre ses collègues qui venaient d’atteindre le pallier supérieur, puis s’engagea à sa suite. L’escalier les conduisit ainsi jusqu’à une grande porte sculptée dans du chêne et maintenue par des lattes en fer forgé. D’un geste ample de la main, Dumbledore désactiva les sortilèges de protection et autres verrouillages de la porte. Celle-ci s’ouvrit instantanément sur une grande pièce circulaire, dans laquelle il pénétra le premier, suivi par le professeur McGonagall.

    - Venez donc me rejoindre Annily, la convia-t-il avec douceur.

    Faisant fi de son hésitation, Rogue poussa Annily à l’intérieur, et referma la porte derrière lui. Il agrippa ensuite la jeune femme au poignet et l’amena sans ménagement jusqu’à un fauteuil devant le bureau du Directeur.

    - Asseyez-vous, intima-t-il.

    Annily s’exécuta, n’osant publiquement s’insurger sur la manière dont son hôte la traitait depuis deux jours. McGonagall s’approcha à son tour du bureau, derrière lequel Dumbledore venait de prendre place. Mal à l’aise dans ce silence suspicieux, Annily attendait que les décisions tombent, iniques ou bienveillantes. Elle n’osait pas même lever les yeux pour regarder autour d’elle et détailler le décor particulier de cette pièce.

    Assis dans son propre fauteuil derrière ses lunettes en demi-lunes, Dumbledore observa un court instant la jeune femme qui fuyait son regard, avant de prendre la parole d’un air grave :

    - Annily, votre présence au sein de notre communauté magique représente actuellement un des plus grands mystères de l’Histoire du Monde Sorciers. Chacune de nos investigations s’étant révélées sombrement infructueuses, nous n’avons pu entrevoir la moindre ébauche explicative quant à votre protection inexpliquée contre la Magie. A ce jour et selon mes connaissances – qui foisonnent sans nul doute à très grande ampleur –, vous demeurez un cas unique au monde, une jeune personne à la provenance inconnue et à la mémoire défaillante, tombée du ciel aux portes de notre Monde, prisonnière d’une âme confuse et abandonnée, enfermée dans un corps dénué de Magie à l’instar des Moldus, mais possédant néanmoins la faculté inégalée d’en annihiler les effets sans y opposer la moindre résistance ni même avoir recours à une quelconque volonté propre.

    - N’ayons pas peur des mots Albus, intervint Rogue d’une voix suave. Cette fille au « talent » inédit n’en demeure pas moins une petite intrigante clandestine doublée d’une menteuse manipulatrice.

    - Severus, soyez indulgent, le houspilla doucement Dumbledore. Souvenez-vous qu’un suspect, quel qu’il soit, reste innocent tant que nous n’avons pas prouvé sa culpabilité.

    - A votre aise, répondit le Maître des Potions. Mais cette fille risque de nous attirer de graves ennuis si nous persistons à privilégier l’indulgence à la vigilance ! Elle ne peut prétendre avoir droit à de tels traitements de faveur, ni même mériter votre perpétuelle confiance débonnaire et tellement candide ; sa soi-disant amnésie et ses airs faussement ingénus ne le justifient certainement pas ! Albus, cette fille a déjà tenté de me fausser compagnie ; je reste persuadé qu’elle réitérera de multiples tentatives de fuite dès qu’une occasion se présentera ! Nous ne possédons que bien trop peu d’informations la concernant, nous ignorons tout des raisons de sa venue, à commencer par la manière dont elle a franchi le Grand Portail de Hogwarts. Il n’est même pas certain qu’elle nous ait dit la vérité quant à son nom et ses origines. Pourquoi lui prêter d’emblée de pures et honnêtes intentions ? pourquoi ne pas lui incriminer une certaine appartenance obscure découlant des soupçons nourris par les nombreux mystères qui l’entourent ? Il se révèle clairement nécessaire de redoubler de vigilance et de rigueur l’égard de cette fille. Nous ne pouvons courir le risque de la laisser s’échapper !

    Annily ouvrit la bouche pour intervenir, mais un simple regard de Rogue l’en empêcha. Ainsi donc ils ne la croyaient pas ! Le cœur battant, la jeune femme se tourna vers le Directeur, qui adressa un imperceptible hochement de tête à son professeur de Potion. Cela signifiait-il que la seule personne qui avait cru à son histoire et à qui elle s’accrochait désespérément, avait fini par basculer dans le doute ?

    - Annily, reprit Dumbledore gravement, les professeurs dans le secret et moi-même avons consacré la journée de la veille ainsi qu’une partie de la nuit, à effectuer des recherches avec le peu d’éléments que vous nous aviez fournis…

    Dumbledore fut interrompu par l’apparition d’une étrange petite créature verdâtre aux yeux globuleux, aux oreilles de chauve-souris et à l’aspect bien misérable. Saluant l’assemblée dans un rapprochement comique de son nez vers le sol, elle s’avança furtivement jusqu’aux pieds du Directeur, allongea son cou squelettique et lui glissa quelques mots à l’oreille.

    - Bien, merci Feebly, répondit Dumbledore, tu peux le faire entrer.

    Le petit être aux oreilles pointues se retira dans une myriade de révérences, et disparut, sous les yeux hébétés de la jeune femme, qui se demanda quelles autres créatures le Monde des Sorciers pouvait bien receler... L’on frappa à la porte dans les secondes qui suivirent. McGonagall alla ouvrir et laissa entrer un homme – très certainement un Sorcier, au vu de sa tenue vestimentaire – à la carrure imposante et au regard carnassier. Les nombreux plis de sa robe semblaient avoir emprisonné des années de terre et de poussière, particules érodées extraites du sol durant des luttes acharnées. Sa main tenait bien serrée une baguette prête à répondre au premier affront. Sans même saluer l’assemblée, l’homme parcourut des yeux le bureau directorial et son regard d’acier s’arrêta inévitablement sur Annily.

    - C’est elle ? interrogea-t-il aussitôt d’une voix caverneuse.

    - Oui Guilighan, lui répondit tranquillement Dumbledore, c’est bien la jeune femme que nous avons recueillie voilà deux jours. Annily, je vous présente l’Auror Guilighan Hawk, envoyé par le Ministère de la Magie.

    - « Ministère de la Magie » ? répéta-t-elle déconcertée. « Auror » ?

    - Dans notre Monde, expliqua succinctement le professeur McGonagall, les Aurors sont des Sorciers membres d’une élite chargée de garantir la sécurité de la communauté magique et de lutter contre l’ascension des Forces Occultes – cela concerne principalement les Sorciers pratiquant la Magie Noire. Ils sont officiellement mandatés par un Ministère représentant l’autorité gouvernementale du Monde Magique.

     Coupant court aux explications du professeur de Métamorphose et sans attendre la réaction d’Annily, l’Auror s’avança dans la pièce comme en terrain conquis et, contournant le bureau du Directeur, se posta face à la jeune femme, la toisant avec froideur.

    - Elle dit ne se souvenir de rien ? s’enquit abruptement l’homme faisant figure d’autorité.

    - C’est effectivement ce qui nous a été donné de constater.

    - Dans votre missive Albus, vous déclarez avoir constaté chez elle une résistance surprenante à toute forme de Magie. Comment pouvez-vous affirmer un tel état de fait ?

    - Tout d’abord, énonça calmement Dumbledore, cette jeune personne aux origines moldues s’est éveillée il y a deux jours de cela aux frontières de Hogwarts, seule, délestée de son identité et de sa mémoire. Après avoir traversé la moitié du domaine, elle est entrée sans préambule dans l’une des cours intérieures du Château, errant au milieu de nos élèves qui prenaient un bol d’air frais entre deux enseignements. Elle avait donc franchi les grilles du Grand Portail ainsi que les Grandes Portes de cette Ecole dans la moindre difficulté. Soyons clairs, Guilighan : je n’inclus aucunement le fait qu’elle ait pu tenter de combattre, annihiler ou même contourner nos défenses magiques… Cette jeune fille dépourvue de la moindre étincelle de Magie est purement et simplement passée à travers nos sortilèges sans ressentir le moindre de leurs effets.

    - Ce que vous dites Albus est impossible ! s’insurgea l’Auror avec force.

    - Et pourtant, la preuve vivante, inédite et indiscutable se trouve sous vos yeux. Nous avons bien évidemment tenté quelques petites expériences magiques sur sa personne, cependant aucun sort n’est venu contredire ce bouleversant état de fait.

    - Quels sortilèges avez-vous utilisé sur elle ?

    - Le professeur Rogue lui a tout d’abord lancé un Stupefix, et aussi surprenant que cela fût aux yeux de tous, le sort est demeuré sans le moindre effet. Etant un excellent Occlumens, Severus a alors tenté de lire dans son esprit, cependant cette intrusion mentale s’est révélée vaine. Le professeur Flitwick s’est ensuite essayé par trois fois au sort de révélation.

    - Le Revelio ? quel maléfice tentiez-vous de dévoiler ?

    - Le sortilège d’Amnésie, répondit Dumbledore. L’Oubliette aurait pu expliquer en partie la perte de mémoire – pas l’absence de toute une vie cependant. Mais je suppose que si ce sortilège avait été pratiqué sur Annily, il n’aurait pas eu davantage de conséquences que des gouttes de pluie dans un lac, à l’instar du Revelio qui ne nous a strictement rien apporté. Pour parachever cette démonstration ayant abouti à une série d’échecs aussi préoccupants qu’inédits, et dans une ultime tentative, le professeur Rogue a usé d’un sort quelconque visant à lui inclure un œil surnuméraire. Comme vous pouvez le constater, les yeux d’Annily sont toujours au nombre de deux.

    Guilighan Hawk lança sur la jeune femme un regard transperçant. Annily s’attendait à ce qu’il dégaine sa baguette et la frappe d’un sort afin de vérifier ces dires par lui-même, mais les secondes qui suivirent s’éternisèrent lourdement dans le silence.

    - J’aimerais voir son bras gauche, intima brusquement l’Auror d’un ton autoritaire.

    Surprise par cette demande subite qui, à ses yeux, n’avait pas plus de sens que la première fois où on lui avait dénudé le membre, Annily tenta de s’y soustraire tandis que l’homme s’approchait d’elle, mais Rogue fut plus rapide et lui empoigna sans douceur l’avant-bras gauche, lui remontant la manche de force.

    - Vous… me faites mal ! gémit-elle en opposant une résistance vaine.

    - Je n’ai que faire de vos jérémiades ! siffla-t-il. Et cessez donc de vous débattre ! vous savez pertinemment que cette attitude est inutile avec moi !

    Sur ses mots, Rogue tendit le bras nu de la jeune femme sous le nez de l’Auror, qui put l’examiner tout à son aise. Celui-ci dégaina sans tarder une seconde baguette fixée à sa ceinture. Plus courte que celles des professeurs, celle-ci était incurvée et diaphane, et la jeune femme pouvait apercevoir dans ses entrailles une myriade de fils de soie, qui s’entrelaçaient tels une toile d’araignée complexe emprisonnée dans un cylindre courbe. L’une des deux extrémités de la baguette était affutée en biseau, comme la hampe d’une plume. Un des fils s’échappait de l’ombilic inférieur, retenant sur son bord une gouttelette translucide. Sans plus d’explication, Hawk approcha cette extrémité fascinante mais non moins inquiétante de la peau d’Annily, qui se raidit.

    - Qu’est-ce que vous allez faire ? demanda-t-elle, alarmée.

    Le professeur de Potions esquissa un rictus à peine voilé, mais Dumbledore intervint :

    - Soyez sans crainte Annily, ceci n’est aucunement douloureux. C’est à peine si vous percevrez une sensation de fraicheur sur votre peau. Bien que vous soyez étrangère à ce procédé, je peux vous certifier qu’il n’y a pas le moindre danger.

    Nullement rassurée, Annily accepta cependant de coopérer et détendit son bras, tout en fixant l’embout de l’artefact magique avec quelque inquiétude. Sans plus attendre, Hawk apposa la baguette sur le bras exposé de la jeune femme. Dès que le fil de soie toucha sa peau, la gouttelette translucide glissa le long de son membre, entrainant dans son sillage luisant une myriade de gouttelettes successives qui ruisselaient les unes à la suite des autres, de plus en plus nombreuses et rapides, se regroupant en une série de colliers de perles aqueuses, formant ainsi de multiples cordons cristallins qui entourèrent rapidement l’avant-bras de la jeune femme dans une fluidité continue. Annily sentit promptement des petits picotements gelés parcourir la surface cutanée de son avant-bras, sans en affecter la circulation sanguine. Captivée par la ronde des rubans aqueux, elle jeta un coup d’œil à la baguette incurvée ; celle-ci était devenue totalement transparente ; les filaments intérieurs avaient disparu.

    - « Revelio Tenebris », s’exclama alors l’Auror.

    Puis il suréleva l’extrémité en biseau de quelques centimètres et réalisa de petits cercles d’un mouvement quasiment imperceptible du poignet, sans rompre l’enchainement des fils de soie fondus dans les fluides mouvants. Progressivement, les filaments translucides prirent une teinte diaphane, s’opacifiant au fur et à mesure de leur progression, jusqu’à adopter une couleur de lait. Annily sentit alors le flux des gouttelettes s’inverser ; la baguette absorbait la procession aqueuse, s’opacifiant à son tour, tel l’albumen d’un œuf en train de cuire. Lorsque la dernière goutte, rattachée au dernier fil de soie, eut disparu à travers l’orifice inférieur, la baguette incurvée était devenue d’une blancheur immaculée.

    - Qu’est-ce que ça signifie ? ne put s’empêcher de demander Annily, subjuguée malgré elle par cette expérience à laquelle elle venait d’assister en première ligne.

    - Cela signifie que vous ne portez aucune trace invisible sur votre bras, répondit McGonagall dans un soupir de soulagement. Dans le cas contraire, les filaments aqueux ainsi que tout le contenu de la baguette, auraient absorbé l’encre voilée de la Marque des Ténèbres, arborant presque instantanément une teinte noirâtre, et sa signification aurait été sans appel.

    - Comment pouvez-vous affirmer que ce sortilège a fonctionné ? contra Rogue avec justesse. N’avions-nous pas au contraire constaté l’irrévocable immunité magique de cette fille ?

    - Votre remarque est légitime, Severus, répondit le Directeur en lissant sa longue barbe grise. Il se pourrait que je détienne quant à cela une théorie explicative : selon toute vraisemblance, Annily aurait acquis une résistance passive uniquement envers la Sorcellerie, sans altération de ses liens effectifs envers les Magies distinctives du pouvoir des Sorciers. Les baguettes d’Argent, taillées à même les profondes racines du mythique Silverbell, le Grand Arbre aux Cloches d’Argent, sont imprégnées d’un très grand pouvoir issu des Magies Anciennes, dont nous ignorons les provenances thaumaturgiques originelles mais qui demeurent à l’origine de toutes les Magies actuelles dans le monde.

    - Je pensais que les objets façonnés par les Magies Anciennes avaient tous été détruits où vidés de leur énergie magique…, s’enquit McGonagall. J’ignorais d’ailleurs que les baguettes d’Argent que le Ministère conserve avec soin et dans la plus grande discrétion, faisaient partie de ces artéfacts antiques…

    - Les baguettes du Silverbell sont effectivement imprégnées du pouvoir des Magies Anciennes, répondit le Directeur, elles ont par ailleurs inspiré la création de nos propres baguettes afin de canaliser, réguler ou amplifier la Magie des Sorciers. Bien que la majorité des objets renfermant ce pouvoir antique ait disparu, il en existe encore qui demeurent de par le monde, enfermés et sous contrôle pour certains à l’instar de cette baguette, définitivement perdus dans l’oubli pour les autres… La baguette d’Argent n’étant nullement investie de notre essence magique, le Revelio Tenebris ne pouvait aboutir à un échec, et le résultat est incontestable : cette jeune fille ne porte pas la Marque des Ténèbres. Je ne crois pas à la possibilité que Voldemort ait pu avoir une quelconque emprise sur elle. Je ne pense pas non plus qu’il soit responsable de son immunité contre la Magie. Il n’en a pas le pouvoir ; aucun sorcier ne l’a…

    Hawk ne dit mot mais réprima une horrible grimace en entendant prononcer le nom du Seigneur des Ténèbres, ce puissant Sorcier qui s’était approprié le Pouvoir et le Monde.

    - Par sa violence, sa cruauté impitoyable et son excellente maîtrise de la Magie Noire, expliqua succinctement le vieux Sorcier à la jeune femme, Voldemort a brutalement imposé sa domination cultivée dans l’anéantissement et la terreur – une crainte poussée à l’extrême au sein du Monde Magique. Il a été responsable d’un nombre incalculable de disparitions, de tortures, de massacres et de meurtres, et a rapidement instauré un règne despotique empreint de tyrannie et de folie pure durant de nombreuses années, cherchant à remodeler le Monde des Sorciers selon ses idéaux. Mais le sort s’est finalement retourné contre son arrogante soif de pouvoir, et sans que nous sachions comment, il s’est retrouvé anéanti par un enfant d’à peine un an alors qu’il tentait de l’assassiner, il y a de cela treize années. A présent, Voldemort a disparu, et la majorité d’entre nous le croit mort… Je pense au contraire qu’il se terre quelque part, moribond indéfectible, cherchant par tous les moyens à réunir les pouvoirs qu’il a perdus et récupérer la place du trône.

    Sidérée, Annily sembla enfin réaliser les chefs d’accusation dont elle faisait l’objet depuis son arrivée au Château.

    - Vous pensiez réellement que je pouvais avoir un lien, de près ou de loin, avec un tel individu qui, de plus, n’est plus de ce monde ??

    - Même si Voldemort a cessé ses affreux méfaits, certains de ses plus fidèles Mangemorts, identifiables par la Marque des Ténèbres – une empreinte maléfique tatouée à l’encre noire sur leur avant-bras gauche, celle-là même que nous avons cherché à révéler sur votre membre – poursuivent la quête dévastatrice de leur maître. Leurs rangs s’étant considérablement affaiblis après la disparition du Lord Noir, ils cherchent à recruter constamment de nouveaux Partisans afin de perpétuer les ignominies au nom de leur cause. Nous avions le devoir de nous assurer que vous ne faisiez pas partie de l’un d’entre eux.

    Choquée par le fait qu’on ait pu lui assimiler de telles appartenances, la jeune femme en resta bouche-bée. Après de telles révélations, elle avait la désagréable sensation que la situation lui échappait totalement et qu’elle assistait ni plus ni moins à son procès, impuissante.

    - Monsieur le Directeur, intervint Rogue, même si cette fille n’a – semble-t-il – aucun lien avec le Seigneur des Ténèbres, il reste cependant un mystère à élucider la concernant…

    - Vous avez raison Severus, répondit-il tranquillement. Annily, poursuivit-il en se tournant vers la jeune femme, pouvez-vous nous rappeler tout ce dont vous vous souvenez jusqu’à votre arrivée ici ?

    - Heu… oui, bien sûr, obtempéra-t-elle en jetant un regard méfiant à l’Auror. Je me prénomme Annily – je n’ai aucun souvenir de mon nom de famille –, je suis née en France, j’y ai toujours vécu il me semble… Je suis donc française mais je parle l’anglais couramment – je ne me rappelle pas l’avoir un jour appris… Quant à mon époque, j’ai la certitude qu’il y a trois jours, j’étais encore en 2006 !

    - Vous avez également ajouté avoir vingt-deux ans, précisa le Directeur. Vous avez donc fêté votre vingt deuxième année en 2006…

    - Oui, j’en suis certaine !

    - Ainsi, reprit-il, à notre époque, c'est-à-dire en 1994, vous deviez avoir… dix ans, si mes calculs sont exacts…

    - Oui, c’est bien cela, affirma-t-elle après un bref calcul mental.

    - Annily, continua-t-il gravement, plusieurs professeurs et moi-même avons consacré la journée de la veille à pousser nos investigations jusque dans votre pays d’origine. Si réellement vous avez voyagé dans le temps, cela signifie que votre double de douze ans plus jeune se trouve actuellement en France à vivre votre première décennie. Nous nous sommes ainsi attelés à rechercher sur tout le territoire français l’existence d’une jeune fille de dix ans portant votre nom – un prénom assez rare pour une ressortissante française. Nous avons fait appel au Ministère français de la Magie afin d’optimiser nos recherches ; nous avons consulté les registres de naissance moldus et sorciers sur l’ensemble du territoire ; nous avons parcouru la France entière et sillonné les endroits les plus reculés afin de maximiser notre enquête administrative. Malgré tous les moyens mis en œuvre, nos investigations se sont révélées vaines : pas une seule fillette de dix ans ne correspond à votre description, ni même ne porte votre prénom. Pas une seule. Il n’existe pas la moindre trace de votre existence, ni ici, ni ailleurs. Soyez pourtant assurée que nous n’avons négligé aucune piste ; chacun des maigres renseignements que vous nous aviez fournis a été minutieusement étudié puis regroupé dans nos plans de recherche. Il est également possible que votre subconscient ait développé des souvenirs de nature erronée, comme une falsification non intentionnelle de votre esprit… Annily, poursuivit Dumbledore face au silence interdit de la jeune femme, je suis navré, mais vous comprenez que je ne peux malheureusement pas entièrement porter foi à votre histoire…

    Annily était effondrée. Incapable de prononcer le moindre mot, elle regardait tour à tour les personnes présentes, qui la fixaient avec une intensité brûlante. La jeune femme se sentit soudain aussi désemparée que lors de son réveil devant les grilles de Hogwarts. La sentence était tombée, elle venait de perdre son procès. Elle n’avait plus la moindre chance de leur fournir une preuve de sa bonne foi ; sa mémoire n’était qu’un trou noir, et cette situation oppressante enterrait toujours plus profondément ses souvenirs dans les méandres de son esprit aussi inaccessible que sa liberté. Ses dernières espérances venaient de voler en éclat et gisaient à ses pieds, comme un tas de cendre. Ils ne l’aideraient pas, ils ne la laisseraient jamais quitter cette époque et ce monde étrange qui n’était pas le sien.

    - Nous allons devoir prendre certaines dispositions nécessaires, reprit Dumbledore d’une voix plus douce. C’est pourquoi l’Auror Guilighan Hawk est venu aujourd’hui…

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