Le cycle de la lune bleue

Chapitre 12 : La fuite

5017 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 27/01/2024 23:22

    - Mademoiselle désire-t-elle quelque chose ? demanda Feebly de sa petite voix fluette.

    - Non, merci… répondit Annily d’une voix lasse et distante. … Ou plutôt, si ! se ravisa-t-elle soudain. Je sais qu’il est encore un peu tôt mais je commence à avoir faim. Cela fait plus d’une semaine que vous m’apportez des soupes ou autres plats liquides accompagnés de préparations curatives à base de substances herbacées souvent amères à chacun de mes repas. J’aimerais pouvoir manger quelque chose de plus consistant…

    - Ces remèdes ont été soigneusement confectionnés par le professeur Rogue, afin de soigner le mal qui ronge Mademoiselle depuis huit jours. Mademoiselle se sent-elle mieux aujourd’hui ?

    - Oui, ça va beaucoup mieux depuis ce matin, j’ai passé une nuit complète relativement calme et tranquille, et je me sens reposée. Je ne ressens plus cette intense fatigue, je n’ai plus la tête aussi lourde au réveil ni les oreilles qui bourdonnent, ma gorge n’est plus asséchée par une intarissable soif, et j’avoue avoir réellement faim. Je vous assure que je n’ai plus besoin de cette panoplie de médicaments !

    Les deux Elfes s’observèrent quelques instants en silence, l’air navré. Annily comprit que les petites créatures ne prendraient pas l’initiative hautement risquée de s’opposer aux ordres établis par des Sorciers ; si elle avait une quelconque réclamation à faire, elle allait devoir s’expliquer auprès de ses gardiens décisionnaires, le premier porte-parole étant sans conteste son hôte aux vêtements sombres, et l’idée de devoir lui demander quoi que ce fût était bien loin de la séduire…

    - Qu’est-ce que Mademoiselle désire manger pour son déjeuner ? interrogea Curtsey, l’interrompant dans ses réflexions.

    - Je songeais éventuellement à un mets de chez moi, un plat français… osa la jeune femme pleine d’espérance.

    - Si Feebly peut se permettre, intervint l’autre Elfe dans une révérence comique, Feebly peut proposer à Mademoiselle, un gratin de potimarron aux châtaignes généreusement saupoudré de parmesan, ce doux mélange automnal présenté sur une nappe de riz blanc parfumé au thym, le tout accompagné d’un verre de bièraubeurre ou de jus de citrouille.

    - Cela me paraît être une bonne idée, répondit Annily avec entrain bien qu’elle ignorât tout de cette étrange bière grasse. Je ne me rappelle pas avoir mangé un tel gratin, mais il me semble que le riz, la courge et la châtaigne représentent un bon mariage gustatif. Heu Feebly, Curtsey, ajouta-t-elle précipitamment, rattrapant de la voix les Elfes qui s’éloignaient déjà, j’aimerais vous demander encore une chose…

    - Tout ce que Mademoiselle voudra !

    - Pourrais-je vous confier les vêtements que je portais quand je suis arrivée, afin que vous les fassiez nettoyer ? On m’en a certes déjà apporté d’autres, mais j’aimerais pouvoir de nouveau me vêtir des miens, qui pour le moment sont sales et froissés.

    - Ce sera fait comme Mademoiselle le désire. Feebly s’empresse d’aller jusqu’aux cuisines pour veiller à la préparation du gratin, pendant que Curtsey portera le linge moldu de Mademoiselle à la buanderie.

    Sur ces mots, les deux Elfes s’éclipsèrent simultanément dans une révérence à ras du sol, et Annily se retrouva seule, soulagée d’avoir pu éloigner pendant un temps ses étranges gardiens disgracieux. Sautant sur ses pieds, elle entreprit une inspection méticuleuse des lieux, palpant les murs, déplaçant les meubles, scrutant le sol dans ses moindres recoins, à la recherche de… elle ne savait pas vraiment quoi exactement… une seconde porte dissimulée derrière une tapisserie, un passage souterrain enfoui sous une trappe, une corde ou tout autre amarrage similaire, pourquoi pas une paire d’ailes enchanteresses… n’importe quoi qui lui permettrait de fuir la Tour Nord.

    Elle devait agir vite ; elle n’avait que peu de temps avant que les deux Elfes ne reviennent auprès d’elle une fois leur tâche effectuée. La jeune femme ne supportait plus d’être confinée dans cette pièce haut perchée qui la coupait du reste du monde. La retenant contre son gré entre ces quatre murs, ses hôtes qui l’avaient recueillie avec une réserve des plus circonspectes à son égard, ne lui avaient-ils pas néanmoins parlé de « séjour », d’« hospitalité », de « protection » ? N’avaient-ils pas affirmé qu’elle était leur invitée, qu’elle ne devait en aucun cas se considérer comme prisonnière ? Ils avaient tout bonnement su profiter de sa détresse et de sa naïveté. Ils étaient parvenus à faire main basse sur elle, tout en la mettant habilement en confiance, sans trop l’effrayer ni éveiller ses soupçons, abolissant ses dernières réticences, évitant soigneusement la moindre résistance, le moindre scandale. Elle se sentait trahie, prise au piège, rabaissée au rang avilissant d’une bête expérimentale et dangereuse qu’il ne fallait en aucun cas laisser échapper.

    Lorsque, errant seule dans la campagne, elle avait aperçu pour la première fois les tours du Château, elle avait ressenti un profond soulagement, elle y avait vu son unique lueur d’espoir au milieu du chaos de ténèbres qui régnait en maître sans visage dans son esprit… Mais comme sa mémoire, cette lueur avait été engloutie, balayée par un vent d’incertitudes et de tourments. Egarée dans un monde qui n’était pas le sien, à une époque depuis douze ans révolue sans possibilité de retour, elle avait cessé d’espérer pouvoir obtenir l’aide sincère de ces Sorciers fourbes et impitoyables. Depuis qu’elle avait recouvré ses premières forces, malgré les doutes qui l’assaillaient de toute part, Annily ne pensait plus qu’à une seule chose : fuir cet endroit, le plus loin possible !

     Les hautes étagères de la bibliothèque ne révélèrent aucune issue autre que les pages jaunies d’une lecture ésotérique ; Annily avait pourtant pris soin de retirer tous les livres étage par étage, afin d’en fouiller chaque fond. Cette tâche lui avait pris une bonne vingtaine de minutes, et l’empressement servile des deux Elfes risquait de les faire réapparaître d’un instant à l’autre. Il lui fallait faire vite ! Laissant à terre les derniers ouvrages qu’elle avait délogés à la hâte, la jeune femme se pencha dans l’âtre de la cheminée, scrutant la colonne de pavés noirs haute d’au moins huit mètres et qui, de ce fait, ne présentait aucune issue possible. Elle s’attela ensuite à la fouille expresse des tiroirs du bureau, balayant leur contenu sans aucune délicatesse à la recherche d’une clé ou d’un quelconque outil similaire capable de venir à bout du verrou de sa prison. N’ayant rien trouvé de satisfaisant, elle se précipita avec rage sur le canapé et envoya valser les coussins aux quatre coins de la pièce.

    Echevelée, les mains agrippées au cuir de l’accoudoir, Annily interrompit brusquement ses recherches et releva la tête, tendant un instant l’oreille, tous ses sens aux aguets ; mais pour le moment, aucun bruit ne semblait indiquer le retour imminent de ses deux gardiens. D’un bond elle se remit sur ses pieds et courut, haletante, jusqu’à la petite salle d’eau, qu’elle eut tôt fait d’explorer de fond en comble sans découvrir le moindre accès salvateur. Dépitée, la jeune femme retourna dans la bibliothèque et s’acharna sur la poignée de la baie vitrée, qui ne céda pas d’un pouce. Consciente que, même si elle parvenait à briser le verre, elle ne pourrait pas fuir de ce côté, à moins de se transformer en chauve-souris, elle renonça bien vite à l’envie d’envoyer ses poings marteler la surface diaphane.

    Tournant le dos au monde extérieur désespérément inaccessible, elle s’adossa lourdement contre le vitrage et, se laissant glisser vers le sol, elle jeta un regard fataliste sur la porte en chêne. Un très mince filet de lumière filtrait en dessous. Déconcertée, Annily fronça les sourcils ; l’éclairage dans le couloir central ne pouvait qu’impliquer la présence inquisitrice d’une tierce personne, juste derrière la porte. La jeune femme s’en approcha précautionneusement et colla son oreille contre le bois ; mais le lourd battant en chêne permettait difficilement la perception des sons et des mouvements extérieurs. Changeant de tactique, elle plaqua son œil contre le trou de la serrure et scruta les entrailles de fer. A sa grande surprise, l’orifice métallique était aussi noir que l’antre d’un puits. La clé qui scellait chaque jour sa captivité, se trouvait en cet instant sur la porte, de l’autre côté !

    Annily ne pouvait croire à cette invraisemblable aubaine ! Rogue n’était pourtant pas homme à se laisser berner par un tel manque de rigueur. Ayant eu la présence d’esprit d’équiper la porte de la bibliothèque d’un système de verrouillage moldu dont la clé était l’unique exemplaire, il avait toujours pris soin de la conserver sur lui, restant ainsi seul maître des visites – hormis les Elfes. Et pourtant, la clé se trouvait en cet instant abandonnée dans la serrure, de l’autre côté de la porte. Etait-il possible que le grand Maître des Potions eût succombé à pareille négligence ? Avait-il, dans son incommensurable imprudence, omis d’enclencher le verrou ? Cela valait la peine de vérifier !

    Annily se rua sur le loquet et actionna la clenche. Le cœur battant, elle la sentit céder instantanément et le lourd battant, qui depuis quinze jours la privait du monde extérieur, s’ouvrit sur le couloir de l’entrée dans un silence suspect. Déserté de ses habituels occupants ou visiteurs occasionnels, le corridor sombrait peu à peu dans la pénombre ; seule persistait encore la lumière vacillante d’une torche abandonnée sur son socle, et qui se consumait lentement. Où était passé Rogue ? Annily n’était pas naïve au point de croire en une telle inconséquence de sa part. Qui donc avait laissé des traces aussi flagrantes de son passage dans cette zone du Château pourtant placée sous haute surveillance ?

    Annily ne réfléchit pas davantage ; elle savait qu’elle n’aurait pas de seconde chance. Sans prendre le temps de rechercher une paire de chaussures, elle franchit le seuil de sa prison, traversa le couloir à pas feutrés, happa la torche qui se consumait dans une lente agonie, et se précipita sur la porte d’entrée qui donnait sur le palier haut de la tour. Les escaliers de la tour lui apparurent, rongés par les ténèbres. Sans un regard en arrière, la jeune femme dévala comme une folle les marches de pierres qui l’entrainaient dans une descente elliptique étourdissante et interminable. Les jambes flageolantes, Annily courait à en perdre haleine, les pieds nus, le corps emmitouflé dans une longue robe de sorcier que les Elfes de Maison lui avait apportée, et qui battait ses chevilles au rythme de ses foulées précipitées. Par chance, la porte d’entrée au bas de la tour n’était parée d’aucune serrure, et si Rogue avait l’habitude de jeter un sort afin d’empêcher toute effraction des lieux, Annily n’eut évidemment aucun mal à la franchir.

    C’est ainsi qu’elle quitta la tour Nord, ralentissant quelque peu sa course silencieuse, attentive au moindre mouvement, au plus petit bruit. Elle longea au hasard un dédale de couloirs sombres et humides, les sens aux aguets, rasant les murs, guettant les ombres, réagissant au moindre courant d’air égaré dans la flammèche de sa torche, se faufilant à chaque tournant derrière les armures et les statues de pierres qui longeaient les corridors, et se retournant sans cesse. Elle ignorait totalement où elle se dirigeait ; elle courait droit devant elle, sondant les portes au hasard, priant pour ne pas tomber sur une salle de classe bondée ou pire, dans le bureau d’un professeur, cherchant désespérément l’immense hall d’entrée qu’elle avait par deux fois traversé à son arrivée au Château.

    Par chance, sa fuite hasardeuse ne lui fit pas rencontrer âme qui vive – pas même un fantôme. Les petites salles et les couloirs qu’elle franchissait à la hâte étaient déserts, le déjeuner de midi ayant certainement dû rassembler la majorité des Sorciers – enseignants et étudiants confondus – dans le réfectoire principal. Seuls les personnages des peintures vivantes, qui sillonnaient avec animation les pans muraux des vastes corridors, observaient d’un œil suspicieux la course furtive de la jeune femme, taisant leurs conversations sur son passage. Mais Annily n’y prit pas garde et se hâta en direction d’une porte noyée dans l’ombre d’un renfoncement rocheux.

    C’est alors qu’elle surprit un vieux chat décrépit aux longs poils gris, ternis et clairsemés par endroits – ce même matou qui se tenait avec des airs princiers dans les bras d’un vieillard décharné, le concierge de l’école, lorsqu’elle avait été appréhendée dans la cour. Le félin était seul et dardait sur Annily deux grands yeux jaunes. La jeune femme en fut parcourue de frissons ; leur lueur ambrée lui semblait emplie de malveillante et particulièrement hostile à son égard. Annily demeura quelques instants interdite, incapable de faire un seul mouvement, craignant que le moindre geste de sa part ne provoque l’assaut félin, toutes griffes dehors. Dans une fixité quasi irréelle, électrisant instantanément l’atmosphère, la jeune femme et l’animal se jaugèrent du regard durant de longues minutes qui parurent être une éternité. Mais le chat ne bougeait pas, étendu tel un empereur sur le côté droit de la porte. Face à cette immobilité, Annily sentit peu à peu revenir son calme ; elle n’avait jamais eu beaucoup d’affinité avec les félidés, néanmoins celui-ci ne semblait pas décidé à mener l’offensive. La jeune femme hésitait… Bien que parfaitement figé dans un élégant croisement des antérieurs, le chat se trouvait sur son chemin… Deux choix s’offraient à elle : faire demi-tour, au risque de se faire surprendre par un élève ou pire, par un professeur – l’heure de la reprise des cours approchait – ou bien avoisiner l’obstacle afin de forcer le passage. Le choix fut vite établi ; sans plus réfléchir, la jeune femme se tourna vers l’animal et se mit à lui parler d’une voix très douce, presque suppliante :

    - Chhhhht petit chat… tout va bien… Ne fais pas de bruit, je t’en supplie… Ne va pas avertir ton maître ! Je ne te veux pas de mal… Je ne suis pas une élève, je n’appartiens pas à ce Monde… Tu dois me laisser partir.

    S’accroupissant à sa hauteur, elle tendit doucement la main vers lui et lui effleura le bout des poils, sans que l’animal fît mine de s’y soustraire. Puis elle se releva lentement, détourna son regard des prunelles d’ambre braisillantes et immuables, et, passant à côté du chat, elle s’avança vers la porte, qu’elle poussa en retenant son souffle. Un rayon de lumière jaillit aussitôt et embrasa le corridor.

La liberté, enfin !

La porte donnait accès à un chemin externe en partie camouflé, qui contournait la façade Nord du Château et étendait sa langue de ronces et de glèbes jusqu’aux premiers arbres d’une immense forêt. Sans plus un regard en arrière, le cœur battant à tout rompre, Annily laissa choir sa torche qui venait de ravaler ses dernières braises, franchit le seuil de ce Monde hallucinant d’extravagance et de fourberie, et s’enfuit dans l’inconnu à travers le petit chemin broussailleux. Assis devant l’entrée en maître des lieux courtois, l’animal aux yeux incandescents la regarda s’éloigner en silence, ses deux lanternes félines rivées sur la porte qui se refermait lentement, noyant peu à peu le corridor dans l’obscurité…

 

    - Nous devons impérativement la retrouver ! aboya Rogue dans une colère à peine contenue.

    Le Maître des Potions, Dumbledore et McGonagall dans le sillon de sa cape, dévalait à grandes enjambées les escaliers de la tour Nord, que les professeurs venaient de fouiller de fond en comble.

    - Feebly est terriblement désolé et confus, Monsieur le Directeur ! ne cessait de s’excuser l’Elfe en se trainant aux pieds des Sorciers dans de grandes lamentations. Feebly s’était seulement permis une absence de quelques minutes. Feebly n’a pas réfléchi, il a agi sans la moindre jugeote, il n’est pas digne de la confiance que les Sorciers lui ont accordée !

    - Curtsey ne se pardonnera jamais son inconséquence ! renchérit misérablement la seconde petite créature mortifiée. Elle n’a pas pensé que l’un des deux Elfes devait rester dans l’appartement pendant que l’autre s’empressait de préparer le déjeuner de Mademoiselle Ann…

    - Cela suffit ! s’impatienta Rogue. Vous ne deviez pas la quitter des yeux un seul instant !  Votre rôle était de veiller à son confort tout en guettant ses moindres faits et gestes, de jour comme de nuit. Votre négligence risque de nous couter cher à tous ! Sa fuite peut engendrer des événements dont vous ne pouvez pas même soupçonner la gravité ; elle va engager la genèse de conséquences désastreuses incluant notre Ecole et pouvant porter atteinte à l’entièreté du Monde Sorcier !

    - Severus, n’exagérons rien, tempéra Dumbledore. Je ne la pense pas aussi dangereuse, contrairement à ce que vous semblez chercher à démontrer avec tant d'opiniâtreté.

    - Libre à vous de laisser votre inépuisable bonté engraisser votre aveuglement, rétorqua Rogue les lèvres serrées. La culpabilité de cette fille ne fait pourtant plus aucun doute ; sa fugue est la preuve de ce que j’avance, et constitue ses aveux ! Mais je ne faisais nullement allusion à sa fourberie ou ses desseins inavoués. Albus, nous venons de relâcher dans la nature la première personne au monde immunisée contre la Magie. Si les sbires du Seigneur des Ténèbres venaient à apprendre l’existence d’un tel potentiel et s’ils parvenaient à mettre la main sur elle, ils pourraient en faire une arme redoutable !

    - Par Merlin ! mais ce serait épouvantable ! réalisa McGonagall avec effarement. Qui sait si elle n’a pas déjà essayé d’entrer en contact avec eux…

    - Cela m’étonnerait fort, répondit le Directeur d’un ton sérieux. Si les Mangemorts avaient eu vent de sa présence parmi nous – dans l’hypothèse peu probable où ils auraient acquis la certitude de son existence –, Severus en aurait été avisé. Quoi qu’il en soit, à l’extérieur de Hogwarts, Annily est en danger, nous devons impérativement la retrouver avant la nuit.

    - Monsieur le Directeur ! Monsieur le Directeur ! cria d’aussi loin qu’il le put un petit homme efflanqué, au crâne dégarni et à la mine terne – Argus Rusard, le vieux concierge de l’Ecole.

    Il se précipitait vers les professeurs en claudiquant gauchement, le souffle court, suivi de près par un petit animal au regard de braise – Miss Teigne, sa vieille et fidèle chatte, tout aussi décharnée que son maître, toujours à l’affût du moindre écart de conduite de la part des élèves.

    - Qu’y a-t-il Argus ? s’enquit aussitôt Dumbledore. Allons, reprenez votre souffle, ajouta-t-il patiemment en lui tapotant l’épaule.

    - Miss Teigne… articula difficilement le bonhomme défraîchi. Je… je l’ai trouvée sous le porche de l’aile Nord, immobile devant l’une des portes arrière du Château… Celle-ci était entrouverte !

    - Comment est-ce possible ? s’étonna McGonagall. Cette entrée est scellée depuis l’intrusion des Détraqueurs l’année précédente… Seuls les Directeurs de Maisons y avaient accès. N’était-elle donc pas protégée par un sortilège ?

    - Précisément ! intervint Rogue, l’œil brillant. C’est donc par cette porte que cette fille s’est enfuie du Château ! Elle donne sur un sentier qui mène tout droit dans la Forêt Interdite !

    - Par Merlin ! s’exclama pour la seconde fois le professeur de Métamorphose, horrifiée. Le jour commence à décliner ; si nous ne la retrouvons pas avant la nuit, les Créatures du Crépuscule qui hantent cette forêt ne manqueront pas de flairer sa piste ! Elle ne s’en sortira jamais seule et sans pouvoirs !

    - Il n’y a pas un instant à perdre ! intervint aussitôt Dumbledore. Je m’en vais de ce pas quérir l’aide de Hagrid et du professeur Maugrey, afin d’optimiser les recherches ! Minerva, ajouta-t-il en se tournant vers sa collègue, je souhaiterais que vous restiez à Hogwarts afin de fouiller le Château… Veuillez également mandater Filius pour une exploration scrupuleuse du parc, des serres et du terrain de Quidditch. Monsieur Rusard partira en reconnaissance de son côté. Peut-être y trouverez-vous, avant notre retour, notre jeune amie perdue…

    McGonagall approuva d’un bref signe de tête et partit immédiatement pour une exploration méticuleuse des moindres recoins du Château. De son côté, l’équipe magique de Dumbledore, à laquelle venait de se joindre le professeur Maugrey avisé des derniers événements, se mit en route sans plus attendre en direction de la Forêt Interdite. Décontenancé, resté planté au beau milieu du couloir, Argus Rusard regarda les professeurs s’éloigner.

    - Ma chatte… geignit-t-il, désappointé. Elle… elle n’est même pas venue m’avertir ! Elle a laissé une élève sortir du Château ! C’est… c’est la première fois… !

 

    Les derniers rayons du soleil en déclin flanquaient d’un liseré d’or les pas des professeurs soucieux, et leurs ombres, ondulant au gré de leur progression silencieuse sur le sablon du sentier, s’allongeaient devant eux tel un ruisseau d’encre.

    - Ne l’effrayez surtout pas, recommanda Dumbledore lorsqu’ils furent parvenus jusqu’à l’orée sombre et dense de la Forêt Interdite. Il est inutile de proférer des menaces ou de chercher à l’intimider, cela ne pourrait que l’inciter à nous fuir davantage. Nous ne pouvons prendre le risque de l’effrayer plus encore, la poussant ainsi à se dissimuler à notre approche. Quant à envisager de la mettre en garde vis à vis des terribles dangers – certes bien réels – qu’elle encourt, ce serait une perte de temps, car elle ne vous croira pas ni même ne vous écoutera. Il serait plus judicieux de tenter une approche salvatrice et rassurante, lui offrant sans conditions une protection indéfectible et notre soutien unanime. Cependant je doute fort que cela ne soit pas suffisant…

    - Il est certain que cette fille cherchera à mettre le plus de distance possible entre nous, enchérit sarcastiquement Rogue en sondant la Forêt. Si par une incroyable aubaine nous parvenions à retrouver ne serait-ce qu’une infime trace de son passage, vous pouvez être assurés qu’elle restera terrée telle une proie prise en chasse et qu’elle ne nous accordera pas la moindre chance de remettre la main sur elle.

    - Je crains malheureusement d’avoir perdu le peu de confiance que j’étais parvenu à établir avec elle, murmura le Directeur comme pour lui-même.

    - Ne sachant pas où elle va, intervint Maugrey de sa grosse voix d’ours mal léché, elle doit progresser au hasard en marchant droit devant elle, sans plus réfléchir à ce qui peut l’attendre dans les profondeurs de cette Forêt.

    - C’est fort possible, répondit Dumbledore, cependant nous ne devons négliger aucune piste, et fouiller les moindres recoins des sous-bois avoisinant le Château. Aussi, je suggère dès à présent de nous séparer, afin d’optimiser nos recherches. Ah, voici Hagrid, ajouta-t-il en se tournant vers le Garde-chasse, un homme colossal qui accourait de son pas lourd, suivi par un grand chien gris à la peau trainante.

    - Monsieur le Directeur, professeurs, salua l’homme gigantesque derrière une abondante barbe noire et broussailleuse. De quoi est-il question ?

    - Vous n’êtes pas sans savoir, commença Rogue d’une voix mièvre, qu’une jeune fille est entrée à Hogwarts d’une manière inexpliquée et parfaitement illicite, il y a de cela une quinzaine de jours.

    - Oui, répondit Hagrid, on m’a parlé de cette petite… Rusard est venu m’en toucher un mot le soir même.

    - Cette « petite », que le Directeur a eu la bonté de recueillir et de placer sous la protection de cette Ecole, s’est échappée cet après-midi sans la moindre once de reconnaissance.  Elle est parvenue à fausser compagnie aux deux Elfes de maisons qui en avaient la garde, et elle s’est embusquée dans la Forêt Interdite, en espérant, je suppose, y trouver un accès salutaire, et, qui sait, quelques complices alentours…

    - La pauvre, s’attendrit Hagrid, faisant fi du ton sarcastique du Maître des Potions. Perdue seule dans la Forêt. C’est qu’elle n’est pas très sûre à la nuit tombée ; c’est à cette heure-ci que les Oroösks sortent chasser les…

    - Nous nous passerons de votre cours – probablement passionnant - sur les Créatures Magiques, coupa sèchement Rogue. Il n’est plus temps d’inventorier les emplois du temps de chacune de vos bestioles !

    - Nous pouvons solliciter l’aide des Centaures, proposa alors le Garde-chasse, nullement vexé. Ils connaissent la Forêt jusqu’à la moindre racine émergente.

    - C’est une excellente idée Hagrid, approuva Dumbledore. Je vous laisse de ce pas vous en charger. Bien que peu disposés à apporter leur aide aux Sorciers, je les sais plutôt en bon terme avec vous ; ils sauront prêter une oreille attentive à votre requête, et accepteront peut-être…

    - Bon, nous avons assez perdu de temps, intervint Maugrey dans un bougonnement. Je suis d’avis que nous commencions notre exploration de ces bois avant que la nuit n’engloutisse les ombres de nos carcasses.

    - Vous avez raison, approuva Dumbledore. Aussi, je vous souhaite bon courage à tous, vous recommande une vigilance des plus soutenue et vous exhorte à la plus grande prudence.

    - Ne vous inquiétez pas, reprit Hagrid, Crockdur et moi aurons tôt fait de vous la ramener saine et sauve dans sa chambre ! Pas vrai mon chien ? ajouta-t-il en se tournant vers le molosse, qui manifesta son contentement dans un aboiement tonitruant.

    Après un dernier regard d’assentiment, chacun s’engagea sur un sentier différent qui sinuait parmi les troncs, baguette magique en main, leur silhouette encapuchonnée sombrant silencieusement dans la pénombre des arborescences sinueuses et denses de la Forêt Interdite.

 

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