Ses yeux verts

Chapitre 32 : Chapitre trente-deuxième - Perte de contrôle

2647 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 15:01

Voilà quelques jours qu'Ingrid s'est lancée dans un projet fou, celui de plus ou moins contrecarrer les plans de Dumbledore, non pas pour empêcher la mort inévitable de ce dernier par l'empoisonnement de sa main, mais pour sauver Rogue qui, elle le sait, est condamné à plus ou moins long terme si le seigneur des ténèbres apprend le véritable fonctionnement de la baguette qu'il convoite. En ce samedi 15 mars, la jeune femme occupe donc la salle sur demande pour lire quelques livres dérobés à la bibliothèque avec la complicité du professeur Rogue, ce qui avait relativement étonné Mme Pince, peu habituée à ce que des non-Serpentard profitent de l'amabilité du maître de potion.

 

Tandis qu'Ingrid dévore livres sur livres entre deux séances de devoirs, dans une autre partie du château ce sont des souvenirs qu'un vieillard lit à son bureau. Des souvenirs de ces derniers jours, pour éclairer quelques doutes qu'il a. Malgré la précaution mise en oeuvre par les deux amants, le directeur de l'école Poudlard n'est pas dupe et il connaît bien le professeur Rogue. Malgré le jeu de celui-ci pour donner le change, Dumbledore a bien remarqué un rapprochement avec Ingrid. Certes, il souhaite le bonheur de celui qui sert ses projets, il sait qu'il mérite de mener une existence plus heureuse qu'elle ne l'a été jusque là, mais tout de même pas avec une étudiante. Il a sa part de responsabilité, il se souvient avoir truqué la distribution des partenaires au bal de Noël. Ainsi Rogue pouvait-il avoir, un peu, l'impression d'avoir dansé avec Lily. Il ne pensait pas alors que ce geste aurait pu avoir de telles conséquences.

 

Quittant sa pensine, le professeur Dumbledore appelle un elfe de maison, demandant à voir Severus Rogue. L'elfe disparait alors, laissant le directeur perdu dans ses réflexions, ce qui fait plisser son front. Quelques minutes plus tard, l'escalier menant à son bureau s'active et le sinistre professeur tout de noir vêtu apparaît.

 

"- Vous vouliez me voir, Albus ?" interroge l'homme, toujours un peu inquiet ces derniers temps lorsque le directeur le fait quérir.

 

"- Assied-toi Severus." propose l'homme en posant un regard contrarié sur son homme de main qui s'exécute. "

 

Un silence s'installe pendant les quelques instants où les deux sorciers s'observent tandis que l'un choisis soigneusement ses mots et que l'autre se demande toujours les raisons de sa présence ici, qu'il comprend plus ou moins toutefois dans l'attitude du vieillard qui le dévisage. Alors, ce jour est-il arrivé ? Le maitre des potions sent déjà son cœur bouillonner, sachant ce qui l'attend. Il le lit dans le regard de Dumbledore qui, justement, prend la parole.

 

***

 

Quittant le bureau du directeur d'un pas rageur, le professeur Rogue rejoint ses appartements d'un air furieux et contrarié. Naturellement, le directeur de l'école a vu clair dans son jeu. Il savait que le risque était là. Il l'avait  redouté. Ingrid aussi. Ils avaient joué avec le feu et s'y étaient brûlés. Il avait failli être renvoyé. Enfin, il l'aurait été si Dumbledore n'avait pas tant besoin de lui pour ses projets. De fait, il était simplement sommé de mettre un terme à cette histoire. Il allait devoir faire venir Ingrid bientôt et lui annoncer cela. Il imaginait d'ici la réaction de la jeune femme. Il aurait besoin de force pour le supporter, pour accepter son état. Après cela elle serait libre. Libre de fréquenter des garçons de son âge. Ce serait mieux pour elle d'ailleurs, mais cette idée est insupportable pour l'homme. La voir au bras d'Adrien Willow... Il imagine la situation d'ici. Mais il doit le faire. Il sait qu'il ne fait que reculer pour mieux sauter. Douloureusement, il attrape sa plume et son encrier, griffonne quelques mots puis envoie cette note volante trouver Ingrid. En faisant cela il a l'impression de perdre une part de lui-même. L'autre, ce sera pour plus tard, lorsqu'Ingrid s'effondrera en larmes et qu'il ne pourra pas la consoler, qu'il n'aura pas le droit de lui infliger ça. Il aurait dû considérer les choses plus prudemment dès le début. Il n'aurait jamais dû succomber à cette folie, elle en aurait peut-être moins souffert. Mais il a tellement besoin d'elle, elle lui a plus apporté en un mois qu'il n'a jamais eu de toute sa vie, qu'il en a été égoïste. Terriblement égoïste. Il n'en avait pas le droit, c'est évident maintenant. L'évidence saute toujours aux yeux trop tard. Jetant un regard au portrait de Lily, qui l'avait poussé à cette folie elle aussi, l'homme se rembrunit et détourne les yeux, allant se servir un verre de whisky pour se donner du courage. Ou perdre la conscience avant qu'Ingrid n'arrive et ainsi pouvoir affronter cet instant plus facilement.

 

***

 

Quittant la salle sur demande pour aller manger, Ingrid se retrouve quelques instants plus tard pourchassée par une missive qui fonce dans sa direction. Intriguée, la demoiselle l'attrape, l'ouvre et rapidement, prend la direction des appartements de Rogue, quelque peu inquiétée par l'écriture hâtive et brouillonne de son cher et tendre. Son écriture d'ordinaire si soignée est à peine reconnaissable sur ce bout de parchemin que la jeune femme tient entre ses doigts. En quelques minutes, elle arrive donc devant l'entrée des appartements du professeur dont elle donne le mot de passe pour entrer.

 

Il est là, debout. L'air qu'il arbore est étrange. La jeune femme sent son cœur battre la chamade, son visage est si inexpressif... Elle sent quelque chose d'anormal dans l'atmosphère qui les enveloppe, dans le comportement de l'homme qui lui fait face. Elle a un pressentiment et l'impression de suffoquer dans une ambiance pesante. Le silence de l'homme ne l'aide en rien. Au fond d'elle-même, la sorcière craint déjà le pire, comme si une partie de son être savait déjà ce qui devait arriver dans les minutes à suivre. Sa gorge est soudainement sèche alors qu'elle dévisage l'air étrange de son professeur.

 

"- Dumbledore sait." déclare Rogue. Et le monde d'Ingrid s'effondre tout à coup sous ses pieds, son cœur bat la chamade, sa tête va exploser. Elle a compris.

 

"- Non... Non..." bégaie la sorcière.

 

Comment l'a-t-il su ? Comment a-t-il pu savoir ? La Serdaigle avait pourtant l'impression d'être d'une prudence extrême avec ses sentiments, ils n'avaient pas cessé de donner le change et n'importe qui pouvait voir, en public, une aversion profonde de la part du professeur Rogue pour l'Elu et la sœur de ce dernier. Plus généralement, pour tout le monde. Personne ne pouvait avoir remarqué leur histoire. Elle prenait soin de ne pas trop le regarder, pour que rien ne transparaisse dans son regard. Il lui donnait des heures de retenue comme à n'importe quel autre élève, il lui faisait des remontrances et des remarques sur son travail aussi acerbes que celles qu'il avait pour Hermione Granger. Mais Dumbledore est quelqu'un d'intelligent. Ce n'est pas un grand sorcier pour rien, évidemment. Ce qui ne saute pas aux yeux des autres est pour lui comme une évidence, à croire qu'il a le pouvoir de sentir les choses. Et les choses se sont retournées contre le couple de sorciers présentement.

 

"- Je suis désolé. Il sait, c'est tout. Moi-même je ne sais pas comment." déclare le professeur de défense contre le mal.

 

La demoiselle le dévisage, sachant qu'il ne va pas s'arrêter en si bon chemin. Elle sait qu'il va dire autre chose. Elle s'attend à ce qui va suivre et c'est insupportable. Cela le sera plus encore lorsque le professeur aura mis sa pensée en mots. La jeune femme déglutit déjà. Ses yeux deviennent humides. Ce n'est pas possible. Pas possible. Et pourtant la voix de son enseignant s'élève encore. Comme une condamnée à mort, Ingrid se prépare.

 

"- C'est fini Ingrid."

 

Ces simples mots sont comme un ouragan pour la jeune femme dont tout à coup, les joues sont maculées de larmes. C'est plus fort qu'elle, elle a si mal. C'est dur de quitter quelqu'un quand on l'aime encore, elle voit bien que c'est dur pour Severus, dur de la voir pleurer ainsi. Mais elle n'arrive pas à s'en empêcher. La serdaigle voudrait être raisonnable et ne pas imposer cela au sorcier déjà soumis à beaucoup de pression par Dumbledore et Voldemort, il n'a pas besoin d'une pleurnicheuse sur les bras. Mais elle ne parvient pas à tarir ses larmes. La sorcière sait qu'elle a besoin de lui. Il lui manque déjà et elle se sent perdue. Comment vont-ils faire ? Comment va-t-elle faire pour supporter les cours ? Et les cours particuliers ? Elle ne pourra jamais tenir le coup.

 

"- Je suis désolé Ingrid..." déclare simplement l'homme qui se fait violence pour ne pas la prendre entre ses bras et la consoler. "Je dois aussi mettre un terme à nos leçons. Dumbledore pense qu'il ne serait pas raisonnable que je continue à te donner des cours particuliers compte tenu des circonstances..." lance l'homme d'une voix qui se veut neutre. Il est fort pour jouer avec ses émotions, pour les masquer. Il agit devant la sorcière comme il le fait avec le Seigneur des ténèbres, devenant aussi impénétrable et incompréhensible qu'au cours des réunions noires où il ne laisse rien paraître de son jeu véritable.

 

Le temps s'écoule ainsi. L'homme figé n'ose plus regarder la demoiselle, de peur d'avoir un moment de faiblesse et cette dernière hoquette encore quelques sanglots. Elle se sent déraisonnable. Mais elle n'a pas envie de l'être. Elle sait ce qui menace l'homme. N'a-t-il pas droit à un peu de paix ? Ne peut-on pas juger qu'il a largement fait sa part du travail depuis un moment ? Ne peut-on pas dire qu'il a le droit, qu'ils ont le droit, à un peu de bonheur avant d'affronter des évènements trop sombres ? Des évènements qu'aucun homme ne devrait avoir à affronter tout seul et qu'aucune jeune femme ne devrait supporter si jeune. Non, apparemment pas. Il est vrai que les choses seraient différentes si elle n'était pas son élève. Mais après tout elle est majeure, elle est adulte et il ne s'est rien passé avec le professeur Rogue avant sa majorité. Elle a le droit de faire ses propres choix, d'être libre d'aimer, non ? Non, de toute évidence.

 

"- Combien de temps encore ?" demande finalement la jeune femme en posant un regard glacial sur l'homme qui lui fait face. "Combien de temps encore Severus accepteras-tu les ordres des uns et des autres sans broncher ? Sans rien dire ? Sans affirmer tes propres choix ?!" crie bientôt la jeune femme agacée, profondément blessée par les évènements.

 

"- Ingrid !" vocifère l'homme. "Je t'interdis !" gronde-t-il.

 

"- Tu ne m'interdis rien du tout ! Je dis la vérité ! Tu es un lâche ! C'est plus facile d'agir comme un mouton que de... de... ! C'est moins dur d'agir pour l'un, pour l'autre, sans se poser vraiment soi-même, sans faire ses propres choix ! Bravo professeur Rogue, vous n'avez pas VOTRE vie mais celle que l'on choisit pour vous." crache la demoiselle les yeux lançant des éclairs.

 

En un quart de seconde, la demoiselle est poussée contre le mur, le visage furibond de l'homme à quelques centimètres seulement. Elle ne l'a jamais vu à ce point en colère. Une colère noire. Contre elle ? Ou contre lui, parce qu'il sait que malgré son comportement déraisonnable la demoiselle n'a pas tort dans ses propos ?

 

"- Un mot de plus Ingrid, un seul..." déclare-t-il rageur. Mais il ne finit pas sa phrase, s'écartant de la jeune femme. Cette proximité est insupportable dans de telles circonstances. "Il est temps Miss Potter que vous preniez un peu de plomb dans la cervelle ! Vous pensez que j'ai le choix bien sûr. Vous pensez que tout est facile ? Vous pensez que c'est une volonté, de s'écraser ? De passer sa vie sous la coupe d'un autre quand on aurait voulu être quelqu'un de grand ? Vous ne savez rien de la vie Miss Potter si vous songez ainsi ! Sortez. Sortez tout de suite !" vocifère le sorcier.

 

Sans demander son reste, Ingrid pétrifiée jusque là semble reprendre vie tout à coup et s'enfuit, en larmes, pour retrouver sa salle commune où son arrivée sème le trouble parmi ses amies, qui ne comprennent pas ce qui prend à la jeune femme. Celle-ci, effondrée sur son lit, pleure encore le nez dans ses couvertures et aucune d'entre elles ne parvient à lui faire dire quoi que ce soit sur la raison de ses larmes ce soir. Pourtant au fond d'elle, Ingrid comprend le raisonnement de celui qu'elle aime. Après tout, il doit beaucoup au directeur de l'école.

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