La Présidente

Chapitre 7 : Le plateau

635 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 18/12/2016 22:08

Les pions noirs avançaient inlassablement sur les cases du plateau. Disposés en régiments de trois par trois, organisés en suivant une logique complexe, imprévisible. Tour par tour, les premiers pions se rapprochaient d’un groupement de cavaliers de l’équipe blanche encerclant le roi de celle-ci. Pas moyen de contrer l’avancée de l’équipe adverse, basée non pas sur les faiblesses des ennemis, mais sur leur détermination à obéir aux ordres. Une stratégie étrange, qui portait ses fruits avant de changer totalement de structure pour ne jamais être vraiment identifiée.

Un tour. Deux tours. Les premiers pions profitent d’une diversion par appât à l’autre bout du plateau pour briser les défenses du souverain. Échec au roi. L’adversaire ne peut plus faire que regarder sa défaite. Trois tours. Échec et mat.

Le plateau et ses joueurs sont cachés derrière un échafaudage, à la lisière du district Onze. Les Pacificateurs en patrouille ne peuvent pas les voir. Et, même si c’était le cas, ils ne trouveraient que deux jeunes adultes en train de jouer aux échecs. Oui, après tout, ce n’est qu’un jeu.


Le lendemain, les deux mêmes individus seraient dans les champs avec les quatre-vingt dix-huit pourcents de la population, à travailler à la récolte de ce début d’été. Oui, tout serait normal. Puis le soir, ils se fondraient dans la foule pour regagner leurs maisonnettes sous l’oeil vigilant des Pacificateurs responsables de leur secteur d’activité.


Mais ça n’arriva pas.


Vers la fin de la matinée, une femme grimpa sur un arbre à la lisière d’une clairière, et refusa catégoriquement d’en descendre, malgré les injonctions des Pacificateurs. Elle se redressa vers la foule de gens devant elle, et sifflota quatre notes distinctes. Les Pacificateurs se regardèrent, comprirent en une fraction de seconde ce qui venait de se produire, et tuèrent d’une rafale de rayons solaires mortels la femme. Mais cette fraction de seconde suffit au peuple du Onze pour comprendre que le moment était venu.

Tout se produit en une poignée d'événements s’enchaînant très vite : un cocktail molotov artisanal jeté dans les hautes herbes; tous les travailleurs se jetant sur les soldats d’un seul mouvement; des camions arrivant en renfort, des balles sifflant aux oreilles des gens…

Les fauteurs de trouble tombaient sous les tirs de mitrailleuse, en effet. Mais d’autres venaient les remplacer, avançant inexorablement vers le groupe de tireurs qui s’était formé au centre de la clairière. Car ils étaient trop. Les gens du Onze avaient toujours été trop. Des millions et des millions de rebelles potentiels, maintenus dans la soumission par la simple peur d’activer le processus. Un processus travaillé pendant des années, bien rôdé pour faire mal.

Un processus qui avait vu le jour sur un plateau.


Dans la nuit qui tombait sur les ruines fumantes du district Onze, des milliers de bateaux, petits ou grands, fragiles ou solides, remplis à raz bord, se détachaient un à un de la côte.

Leurs occupants savaient que leur dernière chance d’échapper à la vengeance du Capitole était de quitter Panem. Mais où aller?

Dans les vieux livres d’histoire, il est rarement fait allusion à l’avant Panem. Mais quelques années auparavant, un homme avait retrouvé, sous des tonnes d’archives oubliées dans le palais de justice du Onze, un ouvrage relatant l’existence d’un autre continent émergé… Avant la destruction de l’atmosphère, la guerre atomique et les crises financières phénoménales, il y avait derrière la muraille de l’Atlantique une terre appelée Europe.

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