La Présidente

Chapitre 17 : Les souvenirs

625 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/01/2017 22:36

La femme vêtue d’un long filet de soie arborant le sceau de Panem. Le jeune garçon volontaire à des Jeux cruels. Son grand frère tendant désespérément les mains vers lui, pensant pouvoir le ramener. La jeune femme évanouie que des infirmiers improvisés transportent rapidement à travers un hôpital dévasté. Les millions de gens réduits au silence et à l’asservissement pendant des décennies.

Plus loin, maintenant. La révolte. Les morts se comptant en centaines de milliers. La panique. La terreur. Les souvenirs. Le venin. Les interrogatoires, les coups.

Encore plus loin. Les Jeux, l’arène, l’horloge. Tic, tac. La corne d’Abondance. Le gaz, la vague, les singes. Maggs, Finnick. La Moisson inutile. Les mois de répit.

Plus loin, toujours plus loin, bon dieu! La victoire insultante face au Capitole, les chiens, Cato. Le festin. La grotte. Le camouflage. Toutes ces morts inutiles. Les carrières. Le canon. Le socle. Portia, Cinna. L’interview. Le défilé, les flammes. L’équipe de préparation, le train. La peur, la tristesse, les adieux à la famille.

Encore plus loin, toujours plus loin. La Moisson. Le choc. La préparation. La scolarité. L’enfance, Papa, Maman. Aiden, Rover. Les pains brûlés  à donner au cochon.


La pluie battante. Et sous la pluie, elle.

Katniss.

C’est pour Katniss que je fais spontanément le signe de mon district d’origine quand je vois le garçon maigrelet sortir de la foule, dépasser la famille du tiré au sort, et tituber jusqu’à l’estrade. Parce que je sais que se porter volontaire demande du courage, beaucoup de cran. Katniss l’a fait pour sa soeur. Ce garçon m’inspire un respect que j’avais toujours cru propre à Katniss. Quel âge doit-il avoir? Douze ans? Treize ans?

C’est pour lui que j’ai fais ce que j’ai fais.

Il me rappelle Katniss.


Un jeune homme, visiblement bouleversé, se met à tanguer près de moi, le regard dans le vide. Mon geste le fait se retourner vers moi, un air à la fois choqué, furieux et intrigué. Puis une lumière s’allume dans son regard. Il connaît ce signe. Je lui adresse un sourire que je veux encourageant mais que je sais édenté; après l’échec de la révolte, les maladies en circulation ne m’avaient pas épargnés, et à quarante-deux ans, j’en faisais au moins quatre-vingt.


Je connais ce garçon. C’est le grand frère du jeune volontaire. Je ne sais pas ce que l’on ressent quand un proche nous quitte pour partir dans l’arène. j’ai toujours été ce proche.

Maintenant, je ressens ce qu’il ressent. Sa douleur, je la sens me tordre les boyaux, me boucher les oreilles. Je pense aux milliers de familles qui ont vécu ça avant moi.

Leur souffrance m’atteint comme un coup de poing dans ma frêle poitrine.


De loin, je vois deux Pacificateurs discuter fébrilement. Je ne vivrai pas plus longtemps.

Alors, au nom de tous ces innocents à la vie brisée par des barbares superficiels, je murmure quelque chose au jeune homme.

Je ne suis pas sûr qu’il m’entende. Mais j’y mets mes dernières forces, et ma volonté me coûte d’être mis en joue par un des Pacificateurs. Je les vois du coin de l’oeil, ces salauds, qui s’apprêtent à me tuer de la manière la plus lâche possible. Mais mort ou non, mes mots resteront.


Cædite eos. Novit enim Dominus qui sunt eius.

Tue-les tous. Dieu reconnaîtra les siens.


La balle part.

Katniss, j’arrive.

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