Le Prince & L'Idiot

Chapitre 31 : S'il ne fallait choisir qu'une chose

4324 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 16:18

 

S'IL NE FALLAIT CHOISIR QU'UNE CHOSE

 

 

Le soleil matinal entre à flots par les hauts vitraux de la salle du trône, dessinant des arcs-en-ciel sur le parquet ciré.

Tous les visages sont graves, les yeux fixés sur le roi. Les mains jointes sous le menton, il réfléchit et ils attendent en retenant leur souffle.

- Dans combien de temps seront-ils là ? demande Arthur sans bouger.

- Ils atteindront la ville dans moins de deux jours, répond Sir Léon. "S'ils sont arrivés si près sans que nous n'ayons eu de rapport des avant-postes, c'est que nos hommes sont morts. Si Daegal ne nous avait pas prévenus…"

Arthur hoche la tête.

- Sous quelle bannière a-t-il dit qu'ils marchaient ?

- Odin, Sire. Nous savions qu'il amassait une armée, mais qu'elle soit de cette taille… cela a dû prendre des années de la rassembler…

- Combien d'hommes ? interrompt le roi.

- Vingt mille, peut-être plus, répond Perceval. "Le gosse a foncé nous avertir dès qu'il a compris ce qui se passait en les voyant franchir le Gué de la Pierre Tombée."

- Qu'est-ce qu'il faisait là-bas alors qu'il est supposé être banni au-delà des frontières de Cantia ? grommelle Gwaine.

Arthur lève la main et le silence revient aussitôt.

- Nous n'aurons pas le temps de sortir les affronter, dit-il lentement. "Sonnez le cor. Nous devons protéger la population en premier. Que les gens se réfugient à Camelot. Nous devons nous préparer à un siège."

Ils ont froid, soudain, alors qu'il fait pourtant déjà très chaud.

 

oOoOoOo

 

A travers le pays a résonné l'appel sourd et grondant du dragon de granit.

Les soldats s'activent dans le château, transportant des arbalètes, des épées, des cottes de mailles, rassemblant des flèches, des bottes, des pierres à aiguiser. Une longue chaine de serviteurs descend des sacs à provisions et des couvertures dans les caves creusées sous le château.

Les chevaliers bâtissent des barricades dans les rues de la ville basse et des réserves d'huile ont été préparées sur les deux cercles de remparts.

Les paysans vêtus de chanvre brun affluent de partout, chargés de ballots, poussant des charrettes de paille sur lesquelles ils transportent les vieux et les malades. Les femmes portent des bambins au nez qui coule dans leurs bras, les hommes charrient des corbeilles de fruits et de légumes hâtivement cueillis. Des fillettes aux cheveux bouclés ont rempli leurs tabliers de roues de fromage et de pain noir, des garçons aux joues maculées de traces de terre tirent au bout d'une corde une chèvre ou une vache, le bien le plus précieux de la famille.

La mort dans l'âme, les gardes sont obligés de leur dire de laisser les animaux dans la cour.

Une grand-mère édentée, à la peau toute ridée, son petit chignon gris serré sous un fichu défraichi mais très propre, refuse de déposer au sol une grosse oie blanche qui caquète avec colère.

- C'est m-ma seule comp-pagnie, explique-t-elle d'une voix éraillée. "Elle est c-comme m-aa fille…"

Perceval secoue la tête en se penchant pour se mettre à sa hauteur.

- On ne peut pas faire d'exception, la mère, dit-il doucement. "Je vous en prie. Laissez le volatile. C'est votre vie qui compte."

Les nobles sont logés à la même enseigne que les manants, malgré leurs protestations.

- Ne prenez que le strict nécessaire, rappelle Sir Léon en arpentant les couloirs. "Non, un seul coffret à bijoux."

- Mais les pillards, les voleurs…

- Fermez la porte de vos appartements à clé, conseille le chevalier en s'efforçant de ne pas lever les yeux au ciel.

Si l'armée ennemie parvient à entrer dans la citadelle, la dame aura vite oublié sa quincaillerie pour tenter de sauver sa peau.

Il croise Arthur et Gwaine qui sont en train de compter le nombre croissant de réfugiés.

- Neuf mille, Sire, et il continue d'en arriver.

- Pourvu que les caves soient assez grandes, marmonne le roi. "Qu'en est-il d'Odin ?"

- Nos éclaireurs ont rapporté que l'armée atteindrait la plaine dans quelques heures, répond le chevalier barbu. "Altesse, est-ce que nous n'aurions pas dû envoyer le signal ?"

Arthur s'arrête sous les arcades pour considérer la cour d'honneur bourdonnante d'activité, d'appels, de cris d'animaux.

- Ce sera un bain de sang si les armées de Mercia et d'Essetir s'en mêlent. Attendons. Quand il verra qu'il ne peut franchir les défenses de Camelot, comme beaucoup d'autres qui ont essayé avant lui, Odin sera peut-être disposé à négocier.

Gwaine repousse ses cheveux en arrière.

- Le château n'a pas été assiégé depuis presque vingt ans. Peut-être que nous ne tiendrons pas si longtemps…

Arthur lui lance un regard sombre et il se tait.

- Où en est l'infirmerie ? demande le roi en se remettant en marche.

- Gaius et … euh, je ne sais plus son nom, son remplaçant, quoi, sont en train d'installer des tables dans le grand caveau. J'ai fait descendre des coffres de fournitures médicales et Sir Elyan a dit que le conduit qu'ils ont installé pour l'eau fonctionnait. Nous ne devrions pas en manquer. Une fameuse invention, Sire.

- Elyan est un homme plein de ressources. La Reine et la Princesse sont-elles déjà en bas ?

- Non, Altesse. La dernière fois que je les ai vues, elles aidaient en cuisine.

Arthur lâche un grognement mi-amusé, mi-exaspéré.

- Assure-toi qu'elles rejoignent Morgane et Mordred au plus vite. Lord Agravaine ne devrait pas tarder à revenir des remparts extérieurs, envoie-le moi. Et fais passer le mot, qu'on se presse. Sonne le tocsin s'il le faut. Quand le soleil sera passé derrière le donjon, je ne veux voir que des uniformes dans la cour.

Gwaine salue rapidement, puis se hâte en direction des communs tandis qu'Arthur hèle l'Intendant qu'il voit s'engager dans les escaliers au bout du couloir.

Au troisième étage du corps de logis, vêtue d'une robe trop chaude pour la saison – le roi a dit qu'il ferait froid dans les caves - la Dolma empaquète quelques effets pour la jeune princesse. Albion fait irruption dans la pièce, les joues rouges d'avoir couru, ses cheveux blonds tressés en couronne saupoudrés de farine.

- Vite, Nounou, s'écrie-t-elle. "Mère a dit que je dois me changer et prendre mes affaires pour descendre à la cachette !"

La Dolma fait claquer sa langue avec désapprobation.

- Je sais. Je vous âttendais, môi, dit-elle.

L'enfant est déjà en train de se débarrasser de ses chaussures et tire sur sa robe pour la passer au-dessus de sa tête avant que les lacets n'en soient défaits.

- Câlmez-vous, câlmez-vous, petit gnome des bôis, proteste la femme en s'agenouillant pour l'aider. "Là, laissez-môi dégâger votre oreille de ce col."

- Vais-je devoir m'habiller comme un garçon ? demande la petite fille avec excitation. "Mère a dit que ça sera plus pratique."

- Plus prâtique et âbsolument pâs digne d'une princesse, grommelle la Dolma. "Oui, vous mettrez des braies, mais que celâ ne vous laisse pâs crôire que vous serez autorisée à vous sâlir comme un petit goret âvec ces gârnements du villâge."

L'enfant glousse de rire.

- Je f'rais jaamais çaa, maa Daame, riposte-t-elle d'une voix haut-perchée, en faisant des mines avec ses mains, clairement en train d'imiter sa nourrice.

La femme lui pince le nez avec affection.

- Fârfâdet.

Elle aide la petite fille à mettre une tunique de laine bleue moelleuse et lui passe par-dessus l'épaule une fourrure de renard blanc sur laquelle elle boucle une ceinture de cuir.

- Vôilà, vous êtes prête. Gârdez ce joli sourire sur vos lèvres, mon bouton de rose. Dans ces heures sombres qui nous âttendent, vous serez un rayon d'espôir.

Albion lève ses beaux yeux d'ambre vers la Dolma.

- Père et les chevaliers sont plus forts que les méchants qui viennent, n'est-ce pas, Nounou ?

- Oui, répond la femme fermement. "Maintenant, chôisissez un de vos jouets et descendons."

La petite fille n'hésite pas. Elle ramasse sur son lit l'ours en tissu qui ressemble à une loque, puis se hisse sur la pointe des pieds pour attraper les deux dragons de bois sur la cheminée.

- Celâ fait trôis, dit sévèrement la Dolma.

Albion lui adresse une moue suppliante.

- Mon dragon et ç'ui de mon-p'tit-frère-que-j'aurais-p't-être-un-jour. S'te plaît, Nounou, je peux pas les laisser là !

- Les autres enfants n'ont pâs eu drôit à un traitement de fâveur, répond simplement la femme.

Les yeux d'Albion se remplissent de larmes.

- Mais je dois déjà laisser Sir Pellinore… bredouille-t-elle. "S'il te plait… je les garderai dans mes poches… ils tiendront pas de place…"

La Dolma mordille ses lèvres.

- Non, finit-elle par dire. "Mais j'ai une idée. Vous sâvez cette pierre descellée sous l'ârmoire de lâ Reine, celle que vous âvez découverte âvec Dreâ, l'autre jour ? Mettons-les dans cette câchette. Personne ne les y trouverâ."

L'enfant sèche ses joues aussitôt.

- Oooh… comme un trésor !

Aussitôt dit, aussitôt fait, et Guenièvre admire la fermeté et l'ingéniosité de la nourrice.

La jeune femme a attaché ses longs cheveux frisés, enfilé des chausses et un surcot. Elle descend aux caveaux avec les deux autres après avoir tiré d'un coffre une épée dans une gaine de cuir au pommeau de laquelle est attaché un cordon qui retient une alliance en argent.

Arthur les croise et ne fait aucune remarque en reconnaissant l'épée que son épouse utilisait pour s'entrainer avec Lancelot.

Il fait lourd. Il fera sûrement orage cette nuit.

Le roi distribue encore quelques instructions, puis se met à la recherche de son serviteur pour que celui-ci vienne l'aider à revêtir son armure. Il le trouve en train de trainer de gros sacs dans les Escaliers du Griffon et secoue la tête en dévalant les marches pour le rejoindre.

- Merlin ! Où étais-tu passé ? Je t'ai fait mander quantité de fois !

Le soleil qui passe à travers les fenêtres se teinte d'ocre avec le soir qui vient et Arthur se demande combien de temps il leur reste avant que l'armée d'Odin ne saccage les bois qui entourent Camelot pour se frayer un passage.

- Je rassemblais des provisions, répond le jeune homme avec enthousiasme, essuyant la sueur qui lui coule sur le front. "Vingt-cinq morues salées, quinze chapons – et un sanglier fumé."

- Mais pourquoi diable ? s'écrie le roi qui hésite entre éclater de rire et se fâcher.

- On se prépare pour un siège, explique très sérieusement Merlin.

Arthur pince l'arrête de son nez.

- Oui, et non pas un banquet.

Son serviteur tire sur ses grandes oreilles avec fatalité.

- Vous savez comment vous êtes quand vous avez faim ? marmonne-t-il. "On pourrait rester coincés ici pour des semaines, des mois, peut-être même."

Il attrape un bocal qu'il avait posé sur l'appui d'une fenêtre et le montre au roi avec un grand sourire très satisfait.

- Regardez ce que j'ai trouvé pour votre petit déjeuner. Votre plat préféré, des œufs macérés dans du vinaigre !

Arthur se frotte la nuque avec embarras.

- Merlin, dit-il finalement en s'approchant et en ramassant un des sacs bien trop lourds pour son ami. "J'ai dit que chacun pouvait emmener ce qu'il avait de plus précieux dans les caves, en plus des denrées strictement nécessaires. Qu'est-ce que tu as de plus cher au monde ? C'est de cela dont tu devrais te préoccuper, plutôt que d'essayer de m'engraisser."

Merlin secoue la tête et ses yeux bleus sincères se lèvent vers le roi.

- Mais ce que j'ai de plus cher au monde, c'est vous, dit-il simplement.

Arthur se mord les lèvres et ne trouve rien à répondre.

Il tapote l'épaule de son serviteur, puis l'entraine après avoir fait signe à quelqu'un de descendre les sacs. Merlin tient toujours le bocal d'œufs en conserve.

- Viens m'aider à mettre mon armure.

Dans la chambre baignée par les dernières lueurs rougeoyantes de la journée, les deux hommes restent silencieux tandis que Merlin sangle les différentes parties de l'armure.

Au loin, les cloches sonnent lentement puis se taisent.

Arthur accepte son épée et prend la cassette de bois sur sa table de nuit avant d'échanger un regard avec son serviteur.

- C'est l'heure, dit-il.

En bas, dans les caves gigantesques creusées sous le château, les paysans et les nobles sont mélangés. Certains installent des grabats de fortune, des femmes donnent la becquée à leur marmaille distraite par la foule, des chevaliers terminent de s'équiper tout en disant adieu à leurs familles. Tout le monde parle en chuchotant, comme par crainte d'attirer plus vite l'ennemi. Gaius et son remplaçant ont déjà mis leurs sur-robes brunes de travail et mangent pour se préparer à la nuit qui sera longue.

Arthur contemple avec compassion son peuple entassé qui ne se plaint pas, les vieillards appuyés sur leurs cannes, une mère enceinte jusqu'aux yeux qui caresse les cheveux d'une petite fille de quatre ou cinq ans aux grands yeux noirs, un groupe d'adolescents à l'air farouche qui a sans doute l'intention de venir lui demander de participer à la bataille, ces hommes qu'il connait et estime qui embrassent leurs épouses et leurs enfants avant d'aller se battre sur les remparts.

Perceval serre sa femme dans ses bras puis vient rejoindre le roi. Gwaine termine le contenu de son outre puis la jette négligemment sur une table avant de marcher vers eux.

Sir Léon est déjà là, son long manteau écarlate sur les épaules.

Sir Elyan et les autres se groupent autour de lui à leur tour, forts, magnifiques, courageux.

Arthur salue d'un signe de tête les écuyers qui ne sont pas autorisés à se battre ce soir – parmi eux, Will avec ses yeux vifs toujours contrariés sous sa frange noire et Mordred, si jeune et si frêle pour être déjà vêtu d'une cotte de mailles.

Fermiers, valets, bottiers, filles de cuisine, nobles, scribes, taillandiers, femmes de chambre, marchands, forgerons, porteurs d'eau, fileuses, mendiants, tondeurs de drap, meuniers, alleresses, tisserands, bouviers, charbonniers, lavandières… tous ont les yeux fixés sur lui et tous les visages reflètent la confiance qu'ils placent en lui.

Arthur incline la tête en réponse.

Il est leur serviteur, leur protecteur, leur roi.

Il défendra Camelot au péril de sa vie.

Il lève la main et, dans un silence que ne trouble aucun sanglot, les guerriers quittent les caves pour se rendre sur les remparts et derrière les barricades de la ville basse, là où les attendent Numéro Quatre et les centaines de soldats déjà en poste.

- Père !

- Arthur !

Il se retourne en bas des marches et s'accroupit juste à temps pour recevoir dans ses bras la fillette qui se précipite vers lui.

- Sois sage, Albion, dit-il en l'embrassant sur le front et en la reposant sur le sol.

- Je le serai, Sire, répond fièrement l'enfant.

Guenièvre s'approche avec un sourire qui tente de cacher l'inquiétude dans ses yeux noisette.

- Prenez soin de vous, dit-elle doucement.

- Veille sur eux tous, répond le roi à mi-voix, avant de se pencher pour déposer un baiser sur les lèvres de la reine.

Il effleure une dernière fois les cheveux blonds de sa fille, puis s'engage dans les escaliers, suivi de son serviteur qui adresse un geste de la main à Guenièvre et Albion.

Gaius secoue sa tête chenue en s'asseyant lourdement entre Geoffroy de Montmouth et la Dolma.

Arthur lui a assuré qu'il renverrait Merlin vers les caves dès que commencerait la bataille, mais le vieux médecin a quand même peur que son petit-fils ne se convainque qu'il doit absolument aider et qu'il ne reste au milieu du danger.

La Dolma n'écoute pas ses marmonnements, occupée à observer une scène qui se déroule dans un coin sombre.

Morgane a assisté aux adieux du roi et de la reine et s'est d'abord raidie, un pli narquois tordant ses lèvres de carmin. Puis quelque chose est passé dans ses yeux, comme une faille, comme un corbeau effrayé, comme un regret. Elle a jeté un coup d'œil autour d'elle, rapidement, frémissante et anxieuse, puis a repéré Lord Agravaine dont elle s'est approchée presque timidement. L'homme était occupé à resserrer les brides de ses braconnières et lui a à peine accordé un battement de cils.

Elle lui a pris les lacets, les a noués elle-même, glissant dans sa robe de satin noir autour de lui, la lueur des torches huilant sa chevelure de jais. Il a fini par lui attraper le menton et l'a forcée à le fixer dans les yeux.

Et lorsqu'elle a soudain perdu contenance, sa fine silhouette se tordant pour le repousser, il l'a lâchée avec un reniflement sarcastique et s'est éloigné à grands pas.

Morgane est restée debout au même endroit, massant son menton délicat, et son regard de perle lançait des éclairs, même si une larme coulait, toute seule, le long de sa joue d'albâtre.

Mordred est venu la rejoindre après quelques instants et quand ses yeux d'un bleu surnaturel ont croisé ceux de la Dolma, la femme a détourné les siens, mal à l'aise.

Albion n'a pas tardé à venir la distraire et la nourrice a chassé l'étrange scène au fond de son esprit pour se concentrer sur l'enfant qui ne se doute pas un instant de ce qui se prépare et prend les dispositions du siège pour un grand jeu.

En haut, sous le ciel qui s'assombrit peu à peu, chargé de crépitements et chaleur, les hommes plissent les yeux pour distinguer ce qui s'avance vers eux au-delà du bois, sur les basses collines.

La plaine se remplit lentement de fourmis noires.

Et quand la nuit tombe enfin, des dizaines de centaines de torches s'allument soudain en face d'eux et un frémissement court sur les remparts à cette vue.

L'armée d'Odin est là.

Puissante, énorme, accompagnée de trébuchets, de balistes et de beffrois, de milliers de lances, d'épées et d'hommes dont seul le bruit des pas ébranle la terre.

Glacé par cette vue, Merlin cherche la main d'Arthur derrière le créneau, mais elle se dérobe. Le serviteur se mord les lèvres à ce geste, et le rouge lui monte aux joues d'avoir embarrassé le roi avec sa couardise. Mais Arthur ôte son gant et sa main rattrape celle de son ami.

Sa paume est aussi moite que celle de Merlin.

Il ne le regarde pas. Ses yeux sont fixés sur l'ennemi qui se dresse hors de portée de tir et sa bouche se plie au coin comme lorsqu'il est extrêmement sérieux, extrêmement sincère.

- C'est normal d'avoir peur, souffle-t-il. "Mais ne t'inquiète pas. Tout ira bien."

- Je sais, chuchote Merlin. "J'ai foi en vous."

Arthur lui presse une dernière fois la main, puis lui donne une tape sur l'épaule et le pousse en direction des escaliers qui descendent du chemin de ronde.

- Allez, retourne aux caves, maintenant.

- ça n'a pas commencé, proteste son serviteur.

Le roi est sur le point de riposter quand soudain un fracas terrible s'élève.

Ce sont les milliers de boucliers en face d'eux, contre lesquels les soldats d'Odin cognent leurs masses d'armes. Une clameur de métal qui grésille d'étincelles brûlantes dans la chaleur étouffante de cette nuit d'été.

Dans le noir, le bruit est lent, assourdissant, scandé en rythme avec les battements de leurs cœurs. A chaque salve, ils frappent le sol du pied et la terre tremble, l'air vibre.

Arthur sent ses hommes se troubler. Il remet son gant et enfile son casque.

- Va-t'en, Merlin, siffle-t-il.

Le jeune homme hésite. Ses yeux bleus parcourent la première ligne de remparts autour de la ville basse, les reflets d'acier dans l'obscurité, les visages tendus, les corps penchés sur les créneaux.

Les archers sont en joue, les chevaliers ont la main sur leurs épées.

Soudain la mélopée sourde s'arrête.

Le temps semble suspendu pendant un instant.

Puis un éclair déchire le ciel, illuminant quelques secondes les milliers d'hommes qui encerclent la ville, et le ciel se crève dans un rugissement de tonnerre, déversant des trombes d'eau qui s'abattent sur le château, alors que l'armée d'Odin se rue à l'assaut de Camelot.

 

 

A SUIVRE...

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