Le Prince & L'Idiot

Chapitre 33 : L'Epée dans la pierre

5017 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 06:33

 

L'ÉPÉE DANS LA PIERRE

 

 

Il règne dans la grande salle souterraine une odeur de lierre, de terre fraîche humide et de genévriers. Les massifs piliers sont noircis de traces de fumée, les gravures ouvragées recouvertes d'une fine couche de poussière brillante. De petites fleurs blanches et des fougères ont poussé dans les interstices sur le mur recouvert d'une fresque de pierre.

Au milieu, sous la douche de soleil qui tombe d'une trouée dans la voûte, se dresse un rocher.

Plantée dedans, comme un défi, comme une image surgie d'une légende, il y a une épée au pommeau doré, avec des inscriptions étranges sur la lame.

- Ce sont des runes anciennes, dit Gaius en rangeant sa loupe. Il se redresse en faisant grincer ses articulations. "Prenez-moi, jetez-moi. Pas de doute, Sire, c'est l'épée perdue."

Arthur écarquille les yeux, stupéfait.

- Dire qu'elle était là tout ce temps… cette caverne doit dater de l'époque où Camelot n'était qu'une forteresse en bois, ils devaient s'y réfugier en cas d'attaque.

Il se racle la gorge, se frotte la nuque.

- Bon. Ce sera une salle supplémentaire, les gens seront moins entassés, c'est déjà ça.

- Allez-vous vraiment les laisser entrer, Sire ? proteste Geoffroy de Montmouth dont la mâchoire s'est enfin remise à fonctionner après être restée bloquée sur un –o- pendant un bon quart d'heure. "C'est un site d'une très haute importance historique ! Ces… ces incultes vont essayer de tirer l'épée du rocher !"

Le roi a un petit sourire mi-las, mi-amusé.

- Eh bien, si quelqu'un y parvient, c'est que ce n'est pas le bon souverain qui règne sur Camelot, voilà tout.

- Ils vont l'abimer ! piaule le vieil homme chauve.

Arthur lève une main pour exiger le silence.

- Cette salle salubre suffisamment grande pour accueillir mille personnes est une providence que nous n'aurions pu espérer, dit-il d'une voix sans réplique. "Elle nous permettra de mettre les blessés à l'abri si Odin franchit les remparts extérieurs et que ses catapultes commencent à pilonner le château. Peu m'importe ce qu'elle est, si les caveaux du trésor royal étaient assez commodes pour ça j'y logerai du monde, en ces circonstances."

Il s'éloigne et distribue des ordres, et le pauvre historien éperdu se voit vite submergé par une foule curieuse, désespérée d'oublier la menace qui pèse sur Camelot.

Les enfants veulent toucher la lame émoussée, les ados essaient d'empoigner le pommeau richement travaillé, paysans et citadines se pressent autour du rocher, émerveillés.

Évidemment, l'épée ne bouge pas d'un pouce, même lorsqu'on s'y met à plusieurs pour la tirer du rocher.

Les chevaliers ne s'en approchent pas, de même que les soldats. Les hommes se sont recouchés et s'efforcent de se reposer. Les femmes installent de nouveaux grabats dans la grande salle confortablement sèche et aérée, puis s'assoient et pèlent des kilos de légumes. Quatre marmites énormes ont été pendues dans l'âtre pour préparer un ragout qui nourrira des dizaines de bouches à midi. Merlin et d'autres serviteurs apportent du bois, charrient des seaux d'eau, comptent des miches de pains et des roues de fromage, remplissent des pichets de vin, collectent les provisions pour les mettre en commun.

Au pied de la fresque de pierre, la Dolma s'est assise sur un tabouret et raconte une histoire à Albion, entourée d'une bonne cinquantaine de gamins, à genoux ou allongés sur le ventre, fils de nobles ou filles de manants confondus, tous passionnés par le récit épique que l'ancienne actrice met en scène avec moult bruitages et roulements des yeux.

- Il y â de celâ bien longtemps, âvant que n'existent les cinq rôyaumes, cette terre était râvâgée pâr lâ guerre et lâ ruine. Mais un homme était déterminé à mettre fin à tout celâ.

- Je sais, c'est Bruta, le premier roi de Camelot ! pépie Albion qui a déjà entendu cette histoire – sa préférée – des centaines de fois. "Et son épée s'appelait Excla… Esca… Escalibur."

La Dolma lui caresse la tête puis reprend son récit.

- Excâlibur. Il râssemblâ les anciens de châque tribu et divisâ le pays en plusieurs pârties. Châcun devrait respecter les frontières des autres et régner sur son domaine comme il le jugerait convenâble…

Les enfants écoutent attentivement, le menton dans les mains, la bouche entrouverte. Morgane aussi, depuis le mur contre lequel elle s'appuie, les bras croisés, ses longs cheveux de jais cascadant sur ses épaules. Un sourire ironique orne ses lèvres pâles et son regard de perle ne quitte pas la nourrice.

Mordred est assis en tailleur sur une couverture pliée et aiguise une épée avec soin, très droit dans la cotte de mailles un peu trop grande pour lui, ses boucles noires en désordre sur son front où brille un peu de sueur.

Il ne prête aucune attention au conte, ses étranges yeux bleus fixes comme s'il était en transe.

En face de lui, Agravaine est en train d'étudier un plan du château, penché sur une table.

- Lorsque Brutâ était sur le pôint de mourir, il demandâ à être emmené à un endrôit secret. Là, âvec les forces qui lui restaient, il enfonçâ son épée dans une pierre. Si un jour le pays était à nouveau divisé, celâ deviendrait une épreuve pour chôisir un nouveau souverain. Seul un véritâble rôi de Câmelot pourrait tirer Excâlibur du rocher.

Tous les yeux se tournent vers la lame scintillante à la lumière du soleil, sur son piédestal naturel au milieu de la salle immense. Les garçons soupirent, pensant à la gloire que leur apporterait cet exploit, les filles imaginent Bruta sous les traits d'un chevalier blond portant une cape rouge…

- Alors mon papa pourrait la sortir, lui ? dit Albion d'un air pensif, fronçant son arcade sourcilière exactement comme le fait Arthur au même moment, dans une autre caverne, tandis qu'il écoute le rapport des sentinelles.

- Ben oui, lance le fils de Sir Elyan. "Mais il n'a pas besoin de prouver qu'il est le roi, tout le monde le sait !"

La Dolma penche la tête de côté, un éclat mystérieux dans ses iris vert tilleul.

- Vôici lâ fin de l'histôire. Âvant de pârtir pour Âvâlon, Brutâ prononçâ ces mots : un jour, lorsque Camelot en aura le plus besoin, l'épée sera tirée du rocher par un homme qu'on appellera le "Roi Qui Fut Et Qui Sera". Il unira le pays de nouveau et régnera sur le plus grand royaume que le monde ait connu. Lâ légende râconte que ce héros viendrâ guidé pâr lâ main d'un enfant et qu'il n'y en aurâ pâs de pâreil à lui.

Dans les yeux des gamins pétillent des étoiles. Tous se voient déjà rencontrer le guerrier un soir en rentrant des champs ou en revenant du marché, ou mettant pied à terre dans la cour d'honneur avec un cliquetis de son armure.

Ils le prendraient par la main et l'emmèneraient au fond des caves, jusqu'à la caverne immense dont le plafond scintille comme la surface d'un lac pendant la nuit. Et là, devant eux, il tirerait l'épée de la pierre…

Albion contemple son père qui traverse lourdement la salle et s'assoit sur une paillasse au milieu de ses hommes, comme un simple soldat. Il a l'air fatigué, ses traits tirés dissimulent mal son inquiétude, il est sale et ses épaules se sont un peu voûtées.

La lèvre inférieure de la petite fille tremble un peu.

Puis Merlin rejoint le roi de son pas boitillant, un gros oreiller dans les bras, son large sourire remonté jusqu'aux oreilles, et taquine Arthur jusqu'à ce que celui-ci reprenne un air confiant.

Les yeux d'ambre s'éclairent à cette vision familière.

Son père n'est peut-être pas le colosse décrit par l'histoire, mais elle l'aime de tout son cœur. Oh oui. Et plus que tout, elle souhaite lui plaire et le servir. Elle décide qu'ils n'ont pas besoin d'un autre roi que lui, peu importe la gloire et les promesses d'Excalibur. Elle ne cherchera pas le chevalier mystérieux, elle choisit de croire en Arthur.

Elle détourne volontairement les yeux de l'épée et glisse des genoux de la Dolma qui la regarde s'éloigner d'un drôle d'air, un peu comme une mère oiseau s'enorgueillit de voir enfin ses petits s'envoler, puis enchaîne avec une autre histoire.

La jeune princesse, elle, trottine jusqu'à Guenièvre qui, un tablier noué à la taille, découpe d'épaisses tranches de lard. Elle grimpe sur un tabouret et lui propose son aide.

Tandis qu'Arthur s'endort enfin pour quelques heures sous la garde vigilante de son serviteur, Albion tartine de grosses noisettes de beurre sur du pain de seigle, à côté de la reine qui prépare le souper du peuple.

 

oOoOoOo

 

Quand le roi se réveille, l'épaule gentiment secouée par Perceval, il fait nettement plus sombre dans la grande salle et un parfum épais de viande bouillie et de chou a remplacé l'odeur légère et froide du sanctuaire.

Le feu brûle toujours dans la cheminée gigantesque, jetant des reflets rougeoyants sur les soldats de pierre qui arpentent la grande paroi.

- Il faut que vous mangiez, Sire, dit le géant en lui tendant un bol fumant et une cuillère.

- La bataille a-t-elle repris ? s'enquiert Arthur en frottant ses yeux ensablés et en faisant rouler ses épaules pour se dégourdir.

- Non, mais cela ne saurait tarder. La chaleur s'est atténuée et la nuit ne tardera guère.

Le roi avale rapidement son repas, puis se lève. Merlin lui apporte de l'eau mais il trébuche, s'emmêle sur ses longues pattes et le bassin, l'eau, le serviteur, tout se retrouve étalé par terre.

- Qu'est-ce que tu me fabriques ? grommelle Arthur en aidant son ami à se relever. "C'était quoi, ça ? Tu t'es fait un croche-pied à toi-même ? De mieux en mieux, Merlin."

- Désolé, bredouille le jeune homme, ses grands yeux bleus plus ahuris que jamais. "Je crois que j'ai perdu l'équilibre."

- Une bonne chose que tu ne te sois pas trouvé sur les remparts, avec une coordination aussi – splendide… Non, tu nettoieras ça tout à l'heure, pendant qu'on… bref. Va chercher mes armes et mon bouclier, plutôt.

Merlin se hâte et Perceval le suit d'un regard attendri.

- Il vous a trouvé un autre casque, Sire. Mais j'ai bien peur que votre tête ne soit trop grosse pour rentrer dedans.

Quelqu'un pouffe de rire et Arthur fait la moue.

- Oups. Une bien malencontreuse façon de formuler les choses, glousse Léon qui s'approche d'eux.

- Pendant un instant, j'ai cru que c'était Gwaine, soupire Arthur. "Il…"

Encore une fois, sa phrase reste en suspension, lourde de tout ce qui va – et pourrait – arriver cette nuit.

C'est le soir de la deuxième bataille.

A l'aube, quand résonne le souffle puissant du dragon, les combattants retournent à l'intérieur, épuisés et bien moins nombreux que lorsqu'ils ont quitté les grottes.

La ville basse a été prise.

Sous un déluge de feu et de flèches, ils ont lutté farouchement, ne reculant qu'un pas après l'autre, tassés derrière les portes jusqu'à ce que la gueule enflammée du bélier ne rompe les planches, les battants cloutés et les barres de fer. Beaucoup sont morts pour endiguer l'irruption des soldats ennemis.

Puis les barricades sont tombées une à une dans la ville qui empestait le souffre, le sang, l'agonie, la peur. Comme une coulée de lave, l'armée d'Odin s'est répandue entre les maisons, dévastant tout sur son passage.

- Retraite, retraite ! a hurlé Arthur d'une voix suraigüe, lorsqu'il a compris qu'il ne perdrait que davantage d'hommes s'il continuait cette lutte déjà perdue.

Ils se sont rapatriés derrière la seconde ligne de remparts, ont relevé le pont-levis alors que la première lueur de l'aurore glissait sur les tours encore intactes.

Le campement est maintenant installé sur la place du marché et les trébuchets sont tombés aux mains de l'ennemi. Figure maigre aux yeux hantés par les horreurs qu'il a vues, Daegal a réussi à se faufiler à l'intérieur juste à temps.

La fumée sombre qui s'élève au-dessus de Camelot cache presque le soleil dans ses volutes qui empestent la chair grillée, le chaume, le bois carbonisé et ce nuage se voit de loin à travers la plaine, comme un vol d'oiseaux noirs dans la lumière dorée du matin.

 

oOoOoOo

 

- Ils sont encore en vie. Je le sais. Dépêchons-nous, marmonne Gwaine entre ses dents, et il talonne son cheval à bout de forces pour le pousser sur le chemin escarpé qui monte à travers la montagne.

Derrière lui, Numéro Quatre l'imite.

Le vent froid leur griffe la barbe, le nez, les yeux, se glissant avec un goût âpre au fond de leurs gorges. Leurs manteaux de laine grise s'envolent et les protègent mal des flocons qui tourbillonnent déjà à cette altitude.

Le premier avant-poste, à Stonewell, a été mis à sac comme Arthur l'avait prédit. Il s'en est fallu de peu que les deux cavaliers ne soient repérés par les hommes qui le gardaient.

La seule chance de Camelot les attend au col de Kemeray. S'ils peuvent allumer le bûcher là-bas, alors les feux se répandront de montagne en montagne. Mercia et Essetir seront prévenues en quelques heures par les relais et, par elles, la nouvelle ira à Nemeth au sud et en Gawant au nord.

Il suffira de deux jours pour que les armées alliées apparaissent sur les crêtes et Odin sera fou s'il croit qu'il peut combattre alors qu'il est assailli sur les flancs et par l'arrière.

Deux jours.

Il faut que Camelot tienne encore deux jours.

Gwaine pioche une pomme dans celles qu'il a bourrées dans sa sacoche avant de partir et croque dedans en se penchant en avant, les yeux plissés pour suivre le sentier étroit.

Il va les sauver.

Il va les sauver tous.

Des pierres roulent avec fracas derrière lui, un hennissement déchirant retentit, suivi d'un grognement de douleur.

- Derian ! crie-t-il en se retournant, tirant sur les rênes sans se soucier de blesser les gencives sanguinolentes de sa pauvre monture.

Numéro Quatre lui adresse un signe de tête pour le rassurer, tout en se relevant avec peine. Son cheval s'est écroulé et a glissé un peu dans la pente. Il s'est sûrement cassé une patte et, à la façon dont l'Ombre Blanche se déplace, Gwaine comprend que l'homme a dû se blesser dans la chute, lui aussi.

Les yeux dilatés, la pauvre bête halète, les naseaux blancs.

- Il va crever, dit le chevalier barbu. "Quelle pitié."

C'est tout, parce qu'ils n'ont pas le temps de pleurer la mort d'un animal alors que les vies de milliers de gens sont entre leurs mains.

Numéro Quatre s'accroupit à côté de son cheval, pose sa main sur l'encolure qui tremble de peur, de fatigue et de souffrance. Il ronronne doucement, flatte le poil mouillé de sueur, défait avec précaution les sangles de ses fontes qu'il charge sur son épaule. Puis il tire son couteau de sa ceinture et le plante dans le cœur de la bête, très vite.

Il se relève, essuie la lame rouge de sang bouillonnant sur sa cuisse et suit Gwaine sur le sentier.

 

oOoOoOo

 

Les femmes pleurent.

Arthur se refuse à contempler la salle qui s'étend devant lui, remplie de familles en deuil.

956 hommes.

956 âmes.

956 morts.

Le nombre horrible lui martèle le cœur, résonne contre ses tympans comme une migraine atroce, un glas, une accusation.

Les femmes pleurent, mais elles ne disent rien. Pas une ne lui a lancé de regard de reproche, pas une n'a hurlé ou ne s'est débattue en tombant dans les bras de ses amies, de ses parents, alors qu'on lui ramenait le cadavre de son fils, de son mari, de son fiancé, de son frère, de son père.

Deux batailles et déjà tant de pertes.

Comment espérer, comment croire qu'il est encore possible de survivre, comment imaginer rebâtir un monde où tant de gens manqueront ?

Arthur ne connaissait pas tous leurs visages ni tous leurs noms, mais il se sentait vibrer à l'unisson avec eux lorsqu'ils hurlaient le cri d'attaque en se jetant contre leurs ennemis.

Ce sont les siens.

Ses soldats, ses chevaliers, ses enfants.

Le visage enfoui dans ses mains, à l'écart dans la grande salle où les sanglots discrets le bercent comme le doux murmure de la mer, il n'ouvre pas les yeux, concentré sur la douleur.

Il les a perdus.

C'est sa faute.

De toutes ses forces, il voudrait être ailleurs, ne pas avoir cette responsabilité écrasante sur les épaules, revenir en arrière, faire un autre choix peut-être, changer le passé, ne pas être celui qui les conduit à leur mort.

Doucement, quelqu'un détache les mains qu'il presse contre son visage maculé de fumée et de sang et il voit les yeux de saphir de Merlin, remplis de larmes.

- Ce n'est pas vrai, chuchote le serviteur. "Ce n'est pas votre faute."

Quelqu'un se racle la gorge et il relève la tête, hébété.

Sir Léon est debout devant lui, avec un bandage en travers du visage qui cache le coup d'épée qui le laissera défiguré pour le reste de sa vie.

- Sire, dit-il de sa voix ferme et posée. "Nous voulions juste vous dire qu'il n'est pas un homme parmi nous qui ne soit prêt à mourir pour vous. Nous vous avons juré allégeance."

Perceval est là, lui aussi, son bras en écharpe, son épaule nue luisante de l'onguent qu'on y a appliqué pour faire diminuer l'enflure rouge craquelée de bleue qui lui paralyse tout le côté gauche.

- Nous portons les armes des Pendragon avec fierté, ajoute-t-il avec un sourire bienveillant. "Hier, aujourd'hui, demain - nous combattons en votre nom, Sire. Pour rétablir liberté et justice dans ce pays."

Guenièvre s'agenouille aux pieds de son mari, entrelace ses doigts usés de servante avec ceux calleux de l'homme d'épée, ses yeux noisette humides et fervents.

- Nous pourrions affronter une armée mille fois plus nombreuse à mains nues pour vous, Sire. Vous n'êtes pas seul."

Merlin hoche le menton.

- Nous sommes ensemble.

Arthur les regarde un à un, bouleversé par leur fidélité, leur amitié, la simplicité avec laquelle ils viennent – encore une fois – le relever alors qu'il pense tout perdu.

Ses lèvres tremblent et il ravale ses larmes.

Il sent le courage de Lancelot flotter autour de lui, l'amour et l'espoir immense de Mithian qui l'enveloppent, il peut presque entendre la volonté farouche de Gwaine loin dans les montagnes.

Il se redresse, carre ses épaules courbaturées dans sa cotte de mailles déchiquetée et couverte d'éclaboussures écarlates, attrape le pommeau de l'épée plantée dans la terre à côté de lui.

Ses yeux de lin ont retrouvé leur clarté.

De l'autre côté de la salle, la Dolma serre Albion contre elle tandis que la petite fille émerveillée contemple son père qui se relève enfin.

- Voici notre roi, souffle la nourrice.

 

oOoOoOo

 

Accroupie dans un coin sombre, ses cheveux de jais défaits sur les épaules, Morgane, fascinée, fixe aussi Arthur de ses yeux de perle, tout en se balançant d'avant en arrière, le livre de l'histoire de Tristan et Yseult serré contre elle comme un petit enfant.

Agravaine lâche un reniflement de mépris et quitte la caverne comme une ombre, invisible, pressé, à longs pas agacés.

Il écrase dans son poing un parchemin enroulé qui contient un plan du château.

Il erre un bon moment à l'étage de l'infirmerie, grinçant des dents et claquant la langue comme un chien qui a besoin d'être vermifugé, soulevant des boucliers et écartant des haies de hallebardes, jusqu'à ce qu'il sente une présence derrière lui.

- Qu'est-ce que vous cherchez, mon seigneur ?

Il se retourne lentement, un air complaisant peint sur ses traits un peu lourds. Une mèche grasse s'est détachée de ses cheveux soigneusement rabattus en arrière et tombe sur un de ses yeux noirs calculateurs.

- Pourquoi donc cette faveur jaune à votre bras ? Ne savez-vous pas que ce sont les couleurs de notre ennemi ? continue la voix amusée et froide. "Seriez-vous… un traître ?"

Agravaine fait la moue et soupire.

- Ce que pense un enfant tel que toi m'importe peu, répond-t-il. "Tu ne sais rien. J'agis toujours pour le bien de ce royaume."

Les yeux d'azur limpide de Mordred le mettent mal à l'aise, comme chaque fois qu'il les regarde en face. Il y a trop de vide dans ces prunelles éthérées, trop de profondeur, trop de questions sans réponses, trop d'accusations.

Le garçon lâche un rire sans joie.

- Votre armure est si propre, Lord Agravaine, commente-t-il. "Ce ne peut être l'infirmerie ou les lavoirs que vous cherchez à cet étage."

- Tais-toi et va-t'en.

- Oh, mais pourquoi vous montrer si peu avenant ? Alors que je venais vous dire où est la porte que vous cherchez...

L'homme se raidit.

- C-comment ? souffle-t-il.

Mordred sourit et passe la langue sur ses dents blanches. Ses yeux sont si clairs dans son visage de craie, sous ses boucles si sombres.

- Ma cousine, mon seigneur, est une enfant bien turbulente. Il se pourrait que… par jeu… elle ait découvert… cet endroit… ce dernier tunnel pour lequel vous vous êtes usé les yeux sur les cartes et les plans de Camelot en prétextant les renforcer.

Sa voix devient glaciale.

- Ce passage dont vous réclamiez la clé à ma mère.

Agravaine fait un pas en avant et agrippe le bras de l'enfant avec violence.

- Où est-il ? siffle-t-il. "Tu dois me le dire ! Il en va de l'avenir de Camelot, du trône !"

Mordred fixe la main qui lui blêmit la peau, jusqu'à ce que l'homme la retire comme si ce regard le brûlait.

- Très bien, dit le garçon. "Je vous y conduirais."

Il jette un rapide coup d'œil autour de lui, puis guide l'oncle du roi jusqu'à la porte condamnée, cachée au plus profond des caveaux.

Gaius les voit traverser l'infirmerie, mais ne se pose pas de questions. La fatigue l'abrutit, ses cheveux blancs sont collés sur ses joues ridées et il essuie ses lunettes pour la millième fois, au chevet d'un blessé qui se meurt.

- C'est ici, dit enfin Mordred en faisant un pas de côté pour qu'Agravaine puisse se glisser par l'entrée du souterrain.

- Ce n'est même pas verrouillé ! ricane l'homme en s'enfonçant dans l'obscurité, attrapant une torche qui brûle contre le mur.

L'haleine fraîche de la terre l'accueille et il l'inhale profondément, gonflant le torse.

- Il y a une autre porte, avertit Mordred. "Plus loin."

Agravaine lève un sourcil, puis se décide et suit la courbe du couloir secret, examinant les traces de sabots laissées par les cavaliers qui ont quitté la citadelle la veille.

- Alors il a déjà envoyé quelqu'un, marmonne-t-il. "Arthur n'est pas aussi bête que je ne le pensais…"

La lueur enfumée danse avec son ombre sur les murs tandis qu'il marche devant Mordred.

Le garçon avance lentement, sans bruit, dans le dos de l'homme qui ne s'est pas rendu compte qu'il était suivi, ses yeux au reflet surnaturel écarquillés, une goutte de sang vermeille perlant à sa lèvre tandis qu'il serre son poing sur la courte épée qu'il porte à la ceinture.

 

 

A SUIVRE...

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