Fer de Lance

Chapitre 7 : Le paradis et l'enfer

2573 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 20/04/2017 21:45

Assise au sommet de la falaise d'Ébènelle, les jambes pendues dans le vide et les coudes appuyées sur les genoux, Sandra contemplait la ville en contrebas, sans cesser de pousser des soupirs mélancoliques à intervalles réguliers. Le soleil, malgré sa pâleur, l'aveuglait, car il se reflétait sur les vitres des différentes maisons.

Trois semaines avaient passé depuis la fin des vacances d'hiver, et trois autres devraient encore s'écouler avec les congés du printemps. En attendant, Sandra se languissait. Ces quinze jours qu'elle avait de nouveau pu partager avec Peter, comme au bon vieux temps, lui semblaient déjà remonter à une éternité.

Sa colère avait laissé place à l'ennui, ce dont ses parents n'étaient pas certains de se réjouir. Pour tuer ce temps qui paraissait avancer au ralenti, la fillette commettait plus de frasques et de bêtises que jamais. C'était sa façon de s'occuper et de tromper du mieux qu'elle pouvait l'absence de son cousin.

Récemment, elle s'était enfoncée dans les profondeurs de l'Antre du Dragon, plus loin encore qu'elle avait jamais été jusqu'alors. Un Draco, qui couvait ses œufs, l'avait prise pour une menace et l'avait attaquée. Si Nicolas, venu entraîner ses pokémon, ne l'avait pas entendue hurler, la créature l'aurait étouffée, car elle avait déjà commencé à entourer Sandra de son corps longiligne lorsque son oncle s'était interposé.

Elle jeta un bref regard à son bras, où le dragon avait eu le temps de la mordre. Elle portait encore la trace de ses crocs et elle se demandait si elle en conserverait la cicatrice à vie. Ce serait amusant. Elle pourrait l'exhiber fièrement, en particulier devant Peter, en racontant comment elle avait survécu à un Draco. Bien sûr, il lui faudrait avant cela inventer une version de l'histoire où Nicolas ne serait pas mentionné.

Son oncle allant et venant dans ses pensées, Sandra songea à lui rendre visite, à l'Arène. Elle passait de plus en plus de temps là-bas, et ses parents l'y encourageaient. Ils éprouvaient du soulagement à la savoir en compagnie de son oncle, car pendant ce temps-là, au moins, elle ne mettait pas leur maison à sac.

Sa décision prise, l'enfant entama la descente de la falaise. Comme toujours, cela fut une sinécure pour elle, si bien qu'elle en arrivait parfois à se dire qu'elle avait dû être un Capumain dans une autre vie, sans quoi elle ne posséderait pas une telle aptitude pour l'escalade.

Parvenue à un mètre du sol, elle lâcha la paroi abrupte et rocailleuse pour se réceptionner avec souplesse sur le tapis herbeux qui l'attendait en bas. Il était humide, car une averse s'était abattue sur la ville et ses environs en début d'après-midi. Ce fut avec les bottines crottées debout que Sandra se présenta à l'Arène.

- Tonton Nicolas ? appela-t-elle. Où es-tu ?

Elle n'obtint aucune réponse, mais en tendant l'oreille, elle perçut des bruits qui provenaient de la salle de combat. Une porte en métal séparait l'Arène des appartements privés destinés au Champion et à sa famille. Sandra ôta ses chaussures, qu'elle abandonna sur le tapis, et s'approcha.

La porte était lourde, mais les muscles de la fillette était plutôt développés pour son jeune âge, grâce à ses nombreuses aventures. Si elle pouvait gravir une falaise sans corde, pousser un battant ne lui posait aucun problème.

Elle pénétra dans la vaste pièce où son oncle était en train de disputer un match, comme elle s'y attendait. L'endroit était constitué de deux parties distinctes. Le terrain, où avait lieu les matchs, occupait quasiment tout l'espace. La seule surface qu'il n'accaparait pas était une bande de trois mètres, le long du mur, qui était réservée aux gradins.

Nicolas Lance était en train de disputer un match avec un adolescent qui devait avoir dans les seize ou dix-sept ans. Ses longs cheveux noirs étaient noués au niveau de sa nuque, sa peau était diaphane et il portait des lunettes qui rehaussaient un nez pointu. Son front était plissé par la concentration, car son pokémon se trouvait en fâcheuse posture.

C'était un Ectoplasma. Il affrontait Mid, le Dracaufeu du Champion, celui-là même qui avait traumatisé Peter quand il était plus petit, en l'emmenant contre son gré faire un tour dans le ciel. Le garçon souffrait du vertige depuis ce jour, un sujet sur lequel sa cousine le taquinait fréquemment.

- Ball'Ombre ! ordonna le challenger.

Sandra venait de prendre place dans les gradins, au premier rang, pour voir Mid esquiver l'attaque. Il effectua une volte gracieuse dans les airs, le haut plafond de l'Arène lui permettant de se mouvoir à sa guise en altitude. Sur ordre de Nicolas, il répliqua avec Lance-Flamme. L'Ectoplasma n'y aurait sans doute pas résisté s'il n'avait pas eu le réflexe de se protéger avec Abri avant d'être brûlé.

La protection céda alors que Mid l'avait presque atteinte et il en profita pour refermer ses crocs enflammés sur son adversaire. Des volutes de brume violine s'élevaient des parties du corps de l'Ectoplasma où le Dracaufeu avait enfoncé ses canines et, grièvement blessé, il s'effondra. L'arbitre, qui se tenait au bord du terrain, le déclara K.O.

- Samuel, veuillez envoyer votre dernier pokémon sur le terrain, demanda-t-il d'une voix forte, de manière à se faire entendre par le jeune homme.

Ce dernier s'exécuta. Un Élektek apparut sur le terrain et, sans perdre une seconde, lança la première attaque. Son type l'avantageait face à Mid, qui était sensible aux capacités électriques. Il subit un Coup d'Jus qui lui arracha un grognement de rage. Nicolas lui intima d'utiliser Danseflamme, mais son adversaire réussit à esquiver.

Comme certains Élektek avaient la particularité de paralyser leurs assaillants au moindre contact, le Champion ne pouvait user d'une stratégie qui nécessiterait une approche physique, ainsi qu'il l'avait fait quelques minutes plus tôt avec l'Ectoplasma. Il tenta une nouvelle fois Lance-Flamme.

La créature jaune et noire ne bougea pas, encaissant le jet incandescent. Nicolas fronça les sourcils. Le dresseur, prénommé Samuel, avait probablement une stratégie, car il n'avait même pas ordonné à l'Élektek d'esquiver. Le dracologue découvrit, mais trop tard, ce qu'il avait en tête.

Juste avant que les flammes cessent, le pokémon avait bondi dans les airs. Son impulsion lui permit d'atteindre une hauteur appréciable, assez élevée pour lui permettre de frapper Mid avec son Poing-Éclair. Il l'atteignit à la gorge et, comme si cela ne suffisait pas, ce que Nicolas redoutait se produisait. Son Dracaufeu était paralysé.

Les ailes engourdies, il ne put se maintenir dans les airs et atterrit brutalement sur le sol, où il retomba sur le flanc. Son altération de statut le ralentissait et, avant qu'il ait pu se redresser, un Tonnerre s'abattit sur lui. Ses pattes s'affaissèrent pour de bon. Il venait d'être mis hors-combat.

- Courage, tonton ! s'écria Sandra depuis les gradins. C'est toi le meilleur !

Nicolas, concentré sur son combat, n'avait pas pris conscience de la présence de sa nièce dans l'Arène. Il jeta un regard dans sa direction et lui adressa un sourire complice, qu'elle lui rendit.

Sandra était passionnée par les combats pokémon. Depuis qu'elle était venue au monde, elle rêvait de devenir Championne, mais malgré son jeune âge, elle ne nourrissait aucune illusion. Elle savait que ce titre reviendrait à Peter lorsque son père déciderait de prendre sa retraite. Tout au plus pouvait-elle aspirer à devenir sa seconde, celle qui le remplacerait durant ses absences et ses congés, mais elle n'était pas certaine de le vouloir. Ce qu'elle désirait par-dessus tout, c'était briller, et non pas être dans l'ombre, même s'il devait s'agir de celle de son cousin.

Nicolas libéra un nouveau pokémon, son Drattak qui répondait au surnom de Vind. Il poussa un rugissement féroce en déployant ses ailes sur le terrain, mais l'Élektek ne se laissa pas intimider, pas plus que son dresseur. Il conservait un sang-froid admirable, malgré ses chances presque inexistantes de victoire.

- Onde de Choc ! ordonna-t-il.

L'attaque traversa l'espace pour heurter Vind, sans que le dragon n'en souffre. Malgré son type vol, il possédait de solides écailles qui le préservaient de la plupart des dégâts. Il ne ressentit qu'un léger picotement et riposta avec Dracosouffle. L'Élektek tenta d'esquiver, mais il fut touché au flanc.

- Courage, Léki ! s'exclama Samuel. Si nous devons perdre, ce sera la tête haute.

Son partenaire acquiesça et provoqua une Fatal-Foudre. La capacité était si éblouissante que Sandra ferma les yeux. Elle prit sur elle pour les rouvrir, afin d'observer la réaction de son oncle. En dépit des larmes qui troublaient sa vision, elle vit Vind ouvrir la gueule, dans laquelle un Ultralaser se formait. Lorsqu'il percuta l'Élektek, celui-ci s'effondra.

- La victoire revient à Nicolas Lance, Champion d'Ébènelle ! annonça l'arbitre.

Le challenger vaincu, après avoir rappelé son pokémon, s'avança au centre de la salle, où l'oncle de Sandra l'attendait déjà. Ils se serrèrent la main avec respect, puis Nicolas prit la parole :

- Tu as du potentiel, mon garçon. Entraîne-toi encore et je suis certain que le badge Lever sera à ta portée.

- Je ne m'attendais pas à triompher aujourd'hui, M. Lance, mais je savais que notre combat serait instructif. Les dragons sont des créatures redoutables, en particulier les vôtres. Mon équipe en retirera de l'expérience.

- Ce sont là des paroles dignes d'un excellent dresseur, affirma Nicolas. Je te souhaite beaucoup de chance, d'ici à ce que tu reviennes prendre ta revanche.

Samuel le remercia d'un signe de tête, salua l'arbitre de la même manière, puis quitta l'Arène. Dès que les portes se furent refermées dans son dos, le Champion rejoignit sa nièce, qui venait de quitter les gradins.

- Merci pour tes encouragements, Sandra.

- Tu n'en avais pas besoin pour gagner, assura-t-elle. Et un jour, je serai comme toi. Imbattable.

- Personne n'est imbattable, répondit Nicolas en riant, pas même moi. J'ai beau être considéré comme l'un des meilleurs dresseurs de la région, il m'arrive régulièrement de perdre. Et heureusement, sans quoi ce serait terriblement monotone !

Sandra ne releva pas. Comment son oncle pouvait-il éprouvé de la joie en pensant à la défaite ? Elle ne parvenait pas à le concevoir. Si l'on s'entraînait, c'était pour devenir le plus fort, et si l'on se battait, c'était pour gagner. Quel intérêt, sinon ?

- Allons... Assez de combats pour aujourd'hui, décréta Nicolas. Que dirais-tu d'une tasse de chocolat chaud et de quelques biscuits ? Ce duel m'a ouvert l'appétit.

La fillette acquiesça. Glissant sa main dans celle de son oncle, ils se dirigèrent tous les deux vers la porte en fer qui les ramènerait dans les appartements privés de la famille Lance.

***

Peter était assis contre le mur des toilettes de la cour, ses bras entourant ses genoux. Il sanglotait doucement, sans un bruit. La manche de sa chemise était déchirée, dévoilant la chair à vif de son avant-bras. Il éprouvait une cuisante douleur, un peu comme une brûlure, que l'eau fraîche n'avait pas réussi à soulager.

C'était l'œuvre de Kévin, bien sûr. Il l'avait suivi, après la classe, et l'avait pris par surprise en le poussant sur le bitume. Incapable de se rattraper à temps, le bras de Peter avait frotté le revêtement. Il s'était redressé en gémissant sous les rires moqueurs de son camarade, avant de trouver refuge ici.

Il haïssait un peu plus l'École des dresseurs au quotidien. Il souffrait de l'absence de Sandra depuis son arrivée, mais sa vie était devenue un véritable enfer depuis que Kévin et ses acolytes l'avaient pris pour cible. Il ne se passait pas une journée sans qu'une idée tordue leur travers l'esprit, consistant à gâcher l'existence du jeune Ébèlien.

Si Peter n'était pas un modèle de courage, il n'était pas un lâche pour autant. Il ne s'était plaint à personne des tourments que lui infligeaient ses condisciples, pas même à son père et encore moins à Sandra lorsqu'il les avait retrouvés durant les vacances. Comme il aurait aimé être de retour à l'Arène, auprès des gens qui lui étaient chers au lieu de jouer les souffre-douleur à Mauville !

- Peter ?

L'intéressé renifla avant de lever la tête. M. Herman, le professeur de biologie, le dominait de toute sa hauteur, projetant une ombre démesurée sur lui. Le garçon s'attendait à se faire réprimander, même s'il ne savait pas trop pour quoi, mais l'homme ne paraissait pas en colère. Inquiet serait le terme plus approprié.

- Que fais-tu ici, tout seul ? Pourquoi n'es-tu pas à la cantine ?

- Je... Je n'ai pas faim, monsieur, bredouilla Peter.

- Es-tu contrarié par quelque chose ?

- Ce n'est rien, monsieur. Juste... Ma cousine Sandra. Elle me manque beaucoup.

Peter ouvrit des yeux ronds lorsqu'il vit son professeur prendre place à côté de lui, à même le sol. M. Herman ramena une jambe contre son buste et tendit l'autre devant lui. Il resta silencieux durant près d'une minute, puis reprit la parole :

- Et si tu me parlais d'elle ?

- De Sandra, monsieur ? Que pourrais-je vous dire ?

- Je ne sais pas... Commence donc par la décrire.

Le garçon hésita, ne voyant pas en quoi son enseignait se sentait concerné par sa cousine, mais il finit par s'exécuter. Quelques phrases étaient loin de suffire pour évoquer Sandra, aussi se lança-t-il dans un monologue. Parvenu à la fin, il craignait d'en avoir trop dit, mais M. Herman résuma :

- Elle m'a tout l'air d'être dotée d'un caractère aussi fort que captivant. Je suis persuadé qu'elle se démarquera vite lorsqu'elle sera élève ici. Et maintenant, que dirais-tu de me suivre à l'infirmerie ? Il faut désinfecter ton bras.

Peter baissa les yeux sur sa blessure. Comme le professeur ne l'avait pas évoquée jusqu'à présent, il pensait qu'il ne l'avait pas remarqué. Il songea à refuser, mais M. Herman ne lui en laissa pas l'occasion. Il se mit debout et tendit la main à Peter pour l'aider à en faire de même.

- Comment t'es-tu blessé ? demanda-t-il après avoir hissé le jeune Ébèlien sur ses pieds.

- J'ai trébuché et je suis tombé, mentit Peter. Je suis plutôt maladroit.

Il espérait avoir été convainquant au moment de prononcer ces mots, mais quelque chose dans le regard de l'homme lui laissa penser qu'il ne le croyait pas. Si tel était le cas, cependant, il n'en dit rien. Il se contenta de poser une main paternelle sur l'épaule de Peter et de l'entraîner avec lui vers l'un des bâtiments annexes, où se trouvait l'infirmerie.

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