Fer de Lance

Chapitre 8 : S'attirer des ennuis

2626 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 25/04/2017 21:52

Le stylo de Peter effectua un gribouillage sur son cahier quand Thibaut, l'un des acolytes de Kévin, lui enfonça l'extrémité de sa règle entre les omoplates. C'était la troisième fois que cela se produisait depuis le début du cours et la leçon qu'il recopiait était remplie de rature. Lui qui était d'un naturel soigneux, cela l'exaspérait.

Il avança sa chaise de quelques centimètres, jusqu'à ne presque plus pouvoir respirer car la table comprimait son torse au niveau des poumons. Cette précaution fut inutile. Il suffisait à Thibaut de se pencher vers l'avant pour l'atteindre, comme il le lui démontra dans la minute qui suivit.

Si seulement Mme Elmire, professeur de géographie, remarquait quelque chose, peut-être Peter aurait-il enfin la paix. Hélas pour lui, la femme au chignon blond qui tendait sur le blanc, à la silhouette squelettique et à la robe terne était si obnubilée par les cartes suspendues au tableau qu'elle n'accordait aucune attention à ses élèves.

- Et à présent, quelqu'un peut-il me dire quelle est la capitale de Sinnoh ? demanda-t-elle d'une voix nasillarde.

- Unionpolis, madame, répondit une fillette au premier rang, après avoir levé la main.

- Excellent. Viens nous montrer son emplacement, s'il te plaît.

L'élève se leva et franchit les deux mètres qui la séparaient du planisphère. Après avoir pris quelques secondes pour l'étudier, elle posa son index à l'endroit où se situait la métropole, principalement connue dans le reste du monde pour le prestige de ses Concours pokémon.

Alors que Mme Elmire la félicitait, un bruit spongieux retentit. Une boulette de papier mâchée, humide de salive, venait de percuter la carte, à laquelle elle était restée collée. La fillette, dégoûtée, s'empressa de regagner sa place, pendant que Peter entendait du mouvement dans son dos. Thibaut avait jeté quelque chose dans son cartable.

- Qui a fait ça ? tonna l'enseignante en balayant la salle de son regard inquisiteur. Qui ?

- C'est Peter, madame ! dénonça son voisin de derrière. Je l'ai vu. Il a caché sa sarbacane dans son sac.

- Oui, moi aussi, je l'ai vu faire ! renchérit Kévin, à l'autre bout de la salle.

Le principal intéressé voulut démentir, mais aucun son ne franchit ses lèvres quand il ouvrit la bouche et il ne trouva rien de mieux à faire que de se tasser sur sa chaise lorsque Mme Elmire avança jusqu'à lui. Elle le fusilla des yeux, puis s'accroupit pour fouiller son cartable. Comme il fallait s'y attendre, elle découvrit un tube longiligne à l'intérieur.

- Chez le principal ! s'écria-t-elle. Tout de suite !

Après avoir désigné un élève pour l'accompagner, l'enseignante rédigea furieusement un mot relatant l'incident. Peter ne chercha pas à se défendre. Les preuves contre lui étaient accablantes et si quelqu'un dans la salle avait vu le vrai coupable, personne ne tenait visiblement à le dénoncer.

Sans un mot, le garçon sortit dans le couloir, le pas traînant. Il se laissa conduire docilement par son condisciple, un garçon brun aux yeux clairs et au nez retroussé qui se prénommait David, jusqu'au bâtiment dans lequel était établie l'administration. Peter avait l'estomac serré : il ne s'en tirerait pas sans une punition et une sévère réprimande, il en était convaincu.

Le bureau du principal se trouvait à l'extrémité d'un couloir austère aux murs blancs et au sol recouvert d'un linoléum beige. Tandis que les deux élèves franchissaient les quelques mètres qui les séparaient de la porte, Peter avala sa salive avec difficulté. C'était la première fois qu'il venait ici.

David semblait tout aussi intimidé que lui, bien que lui-même n'ait rien à redouter. L'Ébèlien crut voir son poing trembloter lorsqu'il le leva pour cogner contre le battant à deux reprises. Une voix grave et profonde, celle d'un homme, les invita à entrer. Ce fut la tête basse qu'ils franchirent le seuil.

M. Fontaret, le chef de l'établissement, impressionnait tous les enfants d'un simple coup d'œil. Il était carré, que ce soit au niveau de ses épaules, de son menton ou de son caractère. Ses yeux sombres exprimaient une autorité naturelle, sa bouche ne semblait pas savoir ce qu'était un sourire et ses mains étaient toujours serrées l'une dans l'autre, au niveau de son dos.

- Oui ? demanda-t-il. Que voulez-vous ?

- J'ai un m-mot de Mme Elmire, bredouilla David. Elle m'a d-demandé de conduire P-Peter ici.

Ses frissons s'intensifièrent quand il fit un pas en direction du bureau pour remettre le billet au principal. Celui-ci le parcourut du regard, posa ses prunelles obscures sur Peter, puis congédia son condisciple d'un geste de la main. Celui-ci ne se fit pas prier pour disparaître hors du bureau en refermant la porte derrière lui.

- Puis-je savoir pourquoi tu as fait ça, jeune homme ? demanda M. Fontaret avec dureté.

- Je... Ce n'était pas moi, monsieur.

- Pas toi ? Alors que tes camarades l'ont confirmé et que ta professeur a découvert la sarbacane dans ton sac ?

- C'est quelqu'un d'autre qui l'a placée là, assura Peter en essayant de réfréner sa peur.

- Vraiment ? Qui donc ?

Le garçon hésita. S'il disait la vérité, il avait peut-être une chance d'échapper à la sanction, mais dans ce cas, Thibaut serait lui aussi convoqué par le principal, et il se vengerait sur lui. Ne valait-il pas mieux se contenter d'une sanction ? Des lignes à copier seraient toujours moins terribles que des représailles de la part du trio.

- Je... Je l'ignore, monsieur, mentit Peter. Tout ce que je sais, c'est que je n'y suis pour rien.

- Si ce que tu dis est vrai, pourquoi les autres élèves t'ont-ils dénoncé ?

- Peut-être pour protéger le coupable, si c'était l'un de leurs amis. À leur place, j'aurais sûrement agi de la même façon. Enfin, non, je me serais plutôt accusé moi-même. J'ai l'habitude. À Ébènelle, j'endossais souvent la responsabilité des bêtises de ma cousine Sandra, pour lui éviter d'être grondée.

- Et ça fonctionnait ? demanda M. Fontaret avec un peu moins de rudesse que celle dont il avait fait montre jusqu'alors.

- Pas vraiment... Ses parents devinaient toujours que je mentais pour la protéger.

Le principal ouvrit un tiroir et passa en revue plusieurs dossiers, jusqu'à trouver celui qu'il cherchait. Peter, debout face au bureau, eut le temps d'entrapercevoir son nom inscrit sur la couverture, avant que M. Fontaret l'ouvre. Il le lut en diagonal, avant de résumer :

- Selon tes professeurs, tu es un garçon solitaire qui ne prend jamais la parole en cours, mais dont les résultats sont satisfaisants et dont le comportement est irréprochable. Est-ce vrai ?

- Je fais du mieux que je peux, monsieur, mais je n'aime pas beaucoup parler en public, et je préfère la compagnie des livres à celle des gens.

- Hum... Je t'imagine assez mal muni d'une sarbacane pour bombarder le tableau, mais je peux me tromper. Pour cette fois, je consens à te laisser le bénéfice du doute. Si ça devait se reproduire, cependant, tu seras puni en conséquence. Sommes-nous d'accord ?

Peter acquiesça, sans conviction. Il était heureux de s'en tirer aussi facilement, mais il savait qu'il n'aurait pas deux fois la même chance, car à présent que Thibaut, Kévin et Rémi avaient trouvé un moyen supplémentaire de lui attirer des ennuis, ils ne s'en priveraient pas de sitôt.

- Oui, monsieur, murmura-t-il sans oser croiser son regard. Nous sommes d'accord.

- Parfait. File, maintenant. Remonte en cours, présente des excuses à Mme Elmire et dis-lui que je m'entretiendrai personnellement avec elle de ce qui s'est passé.

- Merci, monsieur.

Peter inclina la tête en guise de salutation, puis quitta le bureau. Sitôt qu'il fut de retour dans le couloir, loin des oreilles de M. Fontaret, il laissa échapper un soupir, plus inquiet que satisfait. Il n'avait aucune envie de retourner en classe, où il souffrirait de la présence de ses trois bourreaux. Qui savait ce qu'ils étaient déjà en train de mijoter pour la prochaine fois ?

***

- Sandra Lance ! Peux-tu répéter ce que je viens de dire ?

La fillette sursauta. Ses mains soutenaient son menton, mais ses coudes glissèrent sur son pupitre et elle s'écroula sur la surface en bois. La leçon que donnait Mme Beaurel était si ennuyeuse qu'elle s'était mise à somnoler sans s'en rendre compte. Elle se redressa précipitamment, sous les rires de ses camarades.

- Silence ! tonna l'enseignante, et il fut presque aussitôt possible d'entendre une mouche voler. J'attends, Sandra. Quel était le nom du Maître de la Ligue de 1965 à 1972 ? En tant que nièce du Champion d'Ébènelle, tu devrais être au fait de ce genre de chose, non ?

- Mon tonton tient l'Arène, et alors ? Ma mère porte des bijoux, ce n'est pas pour ça que j'en mets.

- Petite insolente ! Je t'ai déjà dit que tu n'avais pas à me parler sur ce ton. Veux-tu que je convoque tes parents une nouvelle fois ?

L'enfant prit sur elle pour ne pas pouffer. Gabriel et Isabelle s'étaient déjà entretenus à trois reprises avec Mme Beaurel, sans que cela n'ait aucune répercussion sur l'attitude déplorable dont Sandra faisait preuve en classe. Ils se contentaient à chaque fois de lui dire qu'elle souffrait de l'absence de Peter et que cela finirait par lui passer tôt ou tard.

Peter... Dire qu'il était encore élève ici, il n'y avait pas si longtemps. Elle se souvenait des nombreuses parties de Miaouss perché qu'ils avaient disputées avec les autres élèves. Grâce à sa capacité innée à grimper partout, Sandra remportait tous les jeux en se suspendant aux branches des arbres, contrairement à son cousin, qui était toujours éliminé dès le premier tour. En plus d'avoir le vertige, il était très lent.

C'était le bon temps, un temps révolu qu'elle déplorait à chaque instant. Si, à cette époque-là, elle détestait déjà l'école, c'était encore plus pénible d'y venir à présent qu'elle n'était plus en compagnie de Peter. Puisque Sandra se destinait elle aussi à une carrière de dresseuse, elle savait qu'elle apprendrait sûrement plus de choses à l'Arène, en observant son oncle, ou dans l'Antre du Dragon plutôt qu'ici, à user ses collants qui la démangeaient horriblement sur un banc.

- Ce n'est pas parce que tu t'appelles Lance que tu peux te croire tout permise. Va au coin ! tonna l'institutrice.

Sandra ne se le fit pas répéter. Elle préférait ce châtiment à des lignes à recopier, car tout ce qu'elle avait à faire, c'était rester debout dans un angle de la pièce. Cela lui épargnait même l'ennui du cours, qu'elle n'aurait pas à faire semblant de suivre.

En quoi cela lui servirait-il, dans la vie, de savoir qui avait été Maître de Johto à la fin des années 60 ? C'était le genre de questions inutiles et ennuyeuses auxquelles Peter aurait sûrement su répondre, mais pas elle. En revanche, si Mme Beaurel l'avait interrogée sur les pokémon, en particulier les dragons, Sandra aurait peut-être même pu lui apprendre des choses, tant le sujet l'intéressait.

Elle traversa la salle sous le regard de ses condisciples, avant que l'enseignante réclame l'attention. Au fond de la classe, un espace pour la lecture, la musique et les jeux pédagogiques avait été aménagé pour les élèves, mais ce fut vers l'angle opposé, beaucoup plus austère, que la fillette se dirigea.

Il n'y avait rien d'autre qu'une étagère et une toile de Mimigal, suspendue au papier peint défraîchi. Dans le meuble, divers objets s'entassaient. Il s'agissait de tous ceux que Mme Beaurel avait confisqués aux enfants depuis le début de l'année scolaire, ce qui faisait beaucoup. On trouvait de tout : des jouets télécommandés, des fausses pokéball et même une baguette de sourcier.

Sandra la reconnut. C'était Erwan, un garçon studieux et timide, qui l'avait apportée à l'école deux semaines auparavant. Son grand-père l'avait trouvée lors d'une promenade et lui avait expliqué qu'il pouvait l'utiliser pour chercher de l'eau, ce qu'il s'était empressé de faire dans la cour. Mme Beaurel, jugeant le morceau de bois capable d'éborgner quelqu'un, l'avait ramassé sitôt qu'elle l'avait aperçue.

En le voyant, ce n'était pas du tout la quête d'une source qu'il inspirait à Sandra, mais une idée beaucoup plus mesquine. Elle jeta un regard par-dessus son épaule, en direction du tableau. L'institutrice avait repris le fil de sa leçon et inscrivait des phrases à la clé, pour que les élèves les recopient. Elle ne lui prêterait donc pas attention.

La fillette retira l'élastique qui retenait ses cheveux et ses boucles turquoise tombèrent en cascade sur ses épaules. Avec un cutter, confisqué lui aussi et qu'elle ne put attraper qu'en se hissant sur la pointe des pieds, elle le coupa en deux. Une fois cela fait, elle s'empara de la baguette de sourcier et noua les extrémités du caoutchouc à chacune des branches en V.

Ce n'était pas le premier lance-pierres qu'elle fabriquait, aussi cela ne nécessita-t-il guère de temps. Dès qu'elle eut terminé, Sandra chercha des yeux un projectile. Elle trouva une balle rebondissante, qui ferait une munition excellente. Elle en riait d'avance. Elle plaça la sphère contre l'élastique, puis attendit.

Mme Beaurel, après avoir expliqué un élément de la leçon à sa classe, s'était retournée vers le tableau pour ajouter quelques annotations. C'était le moment opportun. Sandra banda son arme de fortune, et tira. La boule fusa à travers la pièce, percuta le mur opposé à moins d'un mètre de l'enseignante et rebondit à plusieurs reprises entre les élèves, qui se mirent à pousser des cris de surprise.

- Assez ! s'écria Mme Beaurel, tandis que la responsable de ce joyeux tumulte s'esclaffait en se tenant les côtes. Assez, j'ai dit ! Sandra !

L'intéressée mit un moment à recouvrir son sérieux, assez pour que l'institutrice la rejoigne, les mains sur les hanches, les yeux jetant des éclairs. Elle la domina de toute sa hauteur, avant de gronder :

- Une diablesse, voilà ce que tu es ! Puisque tu ne peux pas rester cinq minutes sans me provoquer, tu vas passer le reste de la journée à recopier la phrase suivante : « Je dois cesser de commettre toutes les bêtises possibles et imaginables. »

- Et si je vous listais plutôt toutes les bêtises possibles et imaginables ? Comme ça, vous sauriez à quoi vous attendre.

Le visage de Mme Beaurel vira au rouge et Sandra n'aurait pas été étonnée de voir de la fumée lui sortir par le nez et par les oreilles. La provoquer était l'un de ses passe-temps, le seul auquel elle prenait encore du plaisir depuis que Peter était parti à Mauville. Cela lui valait certes des tas d'ennuis, mais au moins, elle s'amusait. Elle n'aurait pu en dire autant de son cousin. Sans elle pour l'arracher à ses livres et à ses activités monocordes, son existence à l'École des dresseurs devaient être bien morne.

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