Fer de Lance

Chapitre 17 : La rentrée

2526 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 14/03/2018 22:10

Bien que Sandra ait déjà eu l'occasion d'apercevoir l'École des dresseurs quand elle était venue à Mauville après l'hospitalisation de Peter, elle n'en fut pas moins émerveillée lorsqu'elle fit face à la grille qui clôturait l'enceinte de l'établissement. Enfin, elle y était, après deux interminables années d'attente.

Nicolas tenait sa main dans la sienne et celle de Peter dans l'autre. Il y avait tant de parents, tant d'élèves et tant de bousculades que sans cette précaution, ils auraient été séparés les uns des autres depuis longtemps. Sandra trépignait d'impatience, guettant l'instant où le concierge ouvrirait l'accès à l'établissement.

Lorsque cela se produisit, la foule avança en rangs serrés. Les adultes dont les enfants effectuaient leurs premiers pas à l'école étaient priés d'assister à une réunion qui serait donnée dans le réfectoire, la seule salle assez vaste pour accueillir tout ce monde. Nicolas, pour avoir déjà connu cela avec Peter, savait exactement où se rendre.

Le garçon, pendant ce temps, devrait se rassembler avec le reste de sa classe pour assister à l'introduction de l'année qui s'annonçait, la distribution de son emploi du temps et la présentation des nouveaux élèves, si nouveaux élèves il y avait. Il se sépara donc de sa famille au milieu de la cour, et s'éloigna à contrecœur seul de son côté.

- Est-ce que tu es heureuse d'être enfin ici, Sandra ? demanda Nicolas tandis qu'ils pénétraient dans la cantine.

L'intéressée hocha farouchement la tête. Elle avait eu toute la nuit, durant laquelle elle n'avait presque pas fermé l'œil, pour se faire à l'idée d'être séparée de Karai. À présent qu'elle l'avait accepté, rien n'entamait son euphorie. Elle se laissa tomber sur une chaise, attendant la suite des évènements.

Quand tous furent assis, un homme à la solide carrure et au visage strict toussota dans un micro, à l'extrémité de la salle. Un coup d'œil suffit à Sandra pour décréter qu'elle ne l'aimait pas, à cause de sa mine patibulaire. Elle déchanta lorsqu'il déclina son identité, celle de M. Fontanet, le principal.

Il fit un long discours, pour ne pas dire interminable, duquel la fillette décrocha au bout d'une poignée de minutes. Nicolas faisait mine d'écouter, mais pour lui qui l'avait déjà entendu autrefois, c'était presque aussi pénible que pour sa nièce. À l'instar de la plupart des parents présents dans l'assemblée, il s'ennuyait fermement.

Quand la tirade de Fontanet s'acheva enfin, trois autres professeurs le rejoignirent au centre de l'attention, tous munis d'une feuille de papier. Sandra croisa les doigts pour qu'ils n'aient pas l'idée de faire une annonce, eux aussi, mais il s'agissait simplement de la liste des classes. À tour de rôle, ils appelèrent les élèves.

Il y aurait en tout trois groupes de premières années, chacun comptant une quinzaine d'enfants. Nicolas adressa un signe de la main à sa nièce lorsqu'elle se leva pour suivre le sien, après lui avoir dit au revoir. Elle se retourna une dernière fois au moment où elle quittait le réfectoire et le vit nouer sa cape autour de son cou.

Le cœur de Sandra se serra un peu, mais l'enthousiasme que lui inspirait le fait d'être ici surpassait sa peine. Elle bondissait presque en se dirigeant vers le bâtiment principal avec ses nouveaux condisciples.

Son professeur principal se nommait Mme Elmire, et elle enseignait la géographie. C'était un petit être chétif aux cheveux d'un blond presque blanc. Elle était si minuscule qu'elle semblait ratatinée sur elle-même. Cette pensée fit pouffer Sandra, tandis qu'elle s'engouffrait dans la salle de classe où on les avait menés, ce qui lui valut un regard noir de la part de l'enseignante.

« Celle-là non plus, elle ne va pas être commode », songea-t-elle avec un regard blasé. Mme Elmire n'était pas sans lui évoquer Mme Beaurel, l'institutrice qu'elle avait dû supporter tant bien que mal au cours de ces deux dernières années. Cela promettait...

- Je vais vous distribuer un document, indiqua l'enseignante une fois que tous les élèves se furent installés. Vous répondrez à toutes les questions qui sont posées dessus, soigneusement et en évitant les fautes d'orthographe.

Sandra grimaça. La grammaire n'était pas son fort. Quand elle écrivait, elle se concentrait davantage sur le contenu de ses phrases que sur l'orthographe employée. Elle sortit un stylo de sa trousse et commença à remplir les champs prévus à cet effet. Il ne s'agissait que d'un simple questionnaire de présentation.

- Lance ? fit Mme Elmire en passant à sa hauteur. Tu es parente avec Peter ?

- C'est mon cousin.

- Eh bien, tu as intérêt à ne pas me donner autant de fil à retordre que lui. J'ai rarement vu un élève aussi dissipé.

- Ne vous inquiétez pas, madame, ricana Sandra. Peter et moi n'avons strictement rien en commun.

Elle était tout de même surprise par la remarque du professeur. Jamais elle n'aurait pu imaginer que qui que ce soit critique son cousin, lui qui avait toujours été le chouchou de tout le monde, grâce à son calme, son intelligence et sa docilité. Cette description que Mme Elmire faisait de lui ne collait pas avec l'image que Sandra avait de Peter.

***

La matinée touchait à sa fin et les troisièmes années furent enfin libérés pour se rendre au réfectoire. Peter n'était pas mécontent de quitter la salle de classe dans laquelle leur nouveau professeur principal, M. Vancouver, leur avait longuement parlé de la nouvelle matière qu'ils étudieraient tout au long de l'année, à savoir le dressage.

Non pas que le sujet ne soit pas intéressant, mais le garçon avait mal à la tête. Pendant plus de deux heures, il avait dû supporter Rémi, à sa gauche, qui n'avait eu de cesse de le surnommer « Peter la péteuse ». Il aurait dû être habitué, à force, pourtant même avec le temps, il supportait difficilement leur persécution.

Il avait tout de même acquis certains réflexes, comme de sauter par-dessus la jambe tendue de Kévin lorsqu'il passa à sa hauteur, avant de se précipiter dans le couloir. Il avait hâte de retrouver Sandra, hâte de pouvoir prendre, pour la première fois depuis longtemps, un déjeuner autrement que tout seul.

À cause de ses bourreaux, Peter se renfermait sur lui-même et n'avait presque aucun ami. La première année, il avait pu compter sur ses camarades de chambre, mais ils avaient ensuite été séparés. Mike avait redoublé, Romain ne se trouvait plus dans la même classe et Félix avait terminé ses études. Quant aux autres garçons avec lesquels il partageait un dortoir l'an passé, il n'avait jamais réussi à sympathiser avec eux.

Comme si cela ne suffisait pas, il n'était pas rare que des élèves, même ceux qui lui étaient inconnus, se laissent entraîner par Kévin et sa bande et s'amusent à l'humilier également.

Peter ignorait où trouver Sandra. Puisqu'elle ne connaissait pas encore l'établissement au moment où ils s'étaient séparés, bien qu'elle ait dû prendre part à une visite guidée entre-temps, fixer un point de rendez-vous n'aurait servi à rien. Heureusement, il n'eut aucun mal à la repérer dans le flot d'élèves qui se dirigeait vers la cantine.

Alors qu'il s'apprêtait à la rejoindre, quelque chose le percuta entre les omoplates et il s'écroula de tout son long, face contre le bitume qui recouvrait cette partie de la cour. Sa veste et ses paumes s'éraflèrent dans sa chute. Il tâcha de ne pas gémir au moment de se redresser.

- Bah alors, Peter ! s'esclaffa Thibaut. Regarde où tu mets les pieds.

Le garçon fit mine de les ignorer, tout en époussetant sa tenue, mais les trois idiots qui lui faisaient office de condisciples ne l'entendaient pas de cette oreille. Kévin croisa les bras sur son torse avec mécontentement.

- Tu ne réponds pas ? Qu'est-ce qu'il y a ? Tu n'es pas content de nous revoir, nous, tes meilleurs potes ?

- Vous n'êtes pas mes amis. Laissez-moi tranquille.

Peter voulait s'éloigner, mais Rémi, qui avait la stature la plus imposante du trio, n'eut aucun mal à le retenir en l'agrippant par le poignet. Il tenta de se dégager, en vain. Son ennemi le cramponnait si fort qu'il s'attendait à entendre ses os craquer d'un instant à l'autre.

Soudain, Rémi le lâcha et porta ses doigts à son visage en poussant un cri de douleur. Peter ferma les yeux, lui aussi, car quelque chose l'avait percuté à la tempe. Lorsqu'il les rouvrit, il réalisa qu'ils n'étaient plus quatre, mais cinq. Sandra s'était approchée, une poignée de graviers dans chaque main.

- Dites, bande de nazes, je rêve ou vous êtes en train de vous en prendre à mon cousin ?

- Eh, mais c'est qui, celle-là ? s'exclama Thibaut.

- C'est moi qui pose les questions, tocard. Qu'est-ce que vous lui voulez, à Peter ? Je sais que c'est un abruti, mais je suis la seule qui a le droit de lui gâcher l'existence, c'est clair ?

- Ah ouais ? répliqua Kévin. Écoute-moi bien, sale petite peste ! Je ne sais pas pour qui tu te prends, mais...

Tout en s'exprimant, il avait effectué un pas qui se voulait intimidant en direction de Sandra, mais il le regretta aussitôt. Elle enfonça une main dans sa poche, d'où elle sortit une nouvelle poignée de graviers, qui rebondirent contre son torse.

- Je te conseille de rester là où tu es, débilos, sinon la prochaine fois, je viserai les yeux.

- Comme si tu en étais capable !

- C'est un défi ?

Rémi et Thibaut, livides, s'étaient rapprochés l'un de l'autre et avaient reculé d'un bon mètre. Seul Kévin n'avait pas encore bougé, mais ses yeux ne lâchaient pas les doigts de Sandra, prêts à saisir de nouveaux projectiles.

- Pff ! finit-il par maugréer. J'ai pas de temps à perdre avec des crétins dans votre genre.

Ses deux acolytes n'attendirent pas qu'il ait tourné les talons pour battre en retraite. Alors qu'il s'apprêtait à s'éloigner lui aussi, Kévin reçut un autre jet de cailloux, qui le frappa entre les omoplates.

- Ça, c'est pour m'avoir traité de crétine, gronda Sandra avant d'enchaîner avec un autre tir. Et ça, pour m'avoir mise dans le même panier que Peter.

Kévin lui jeta un regard méprisant, avant de s'élancer à la suite de ses camarades qui avaient déjà disparu dans la file d'attente du réfectoire. Les prunelles de Sandra le suivirent, les sourcils froncés, puis elle ramena son attention sur Peter.

- C'était qui, ce type ? s'enquit-elle.

- Ses amis et lui sont dans ma classe. On se chamaille de temps en temps.

- Je n'appelle pas ça se chamailler... Pourquoi est-ce qu'ils s'en sont pris à toi ?

- Comme ça, sans raison. C'est leur façon de s'amuser, c'est tout. Un peu comme toi quand tu me tyrannises.

- La différence entre eux et moi, c'est que moi, j'ai mes motifs. Et puisque tu es mon cousin, j'ai presque un droit de vie et de mort sur toi.

- Tu ne crois pas que tu exagères un peu ? répliqua Peter.

- Et toi, tu ne crois pas que tu es mal placé pour me dire ce que je dois penser ou non ? Tu peux peut-être jouer les braves et les moralisateurs quand tu oses t'aventurer dans l'Antre du Dragon, mais une fois que tu n'as plus Drake à tes côtés, tu n'es bon qu'à te laisser marcher dessus. Il n'y a vraiment pas de quoi être fier.

Sur ces mots, Sandra s'éloigna à son tour. Peter voulut lui emboîter le pas, mais un groupe d'élèves passa devant lui au même moment. Lorsque la file du réfectoire avança enfin, sa cousine avait déjà pris son plateau et s'évanouissait dans la salle en quête d'une place libre.

Peter salua d'un signe de tête poli mais timide l'agent qui lui tendit une assiette pleine de brocolis, puis se mit en quête de Sandra. Ne parvenant pas à la localiser parmi tous les apprentis dresseurs rassemblés dans la cantine, il renonça à la trouver et s'installa à la première table disponible qu'il aperçut.

La nouvelle année commençait mal. Non seulement il avait réussi à mettre sa cousine en rogne dès la rentrée, mais de surcroît, il doutait que Kévin et sa bande en restent là. Après l'intervention de Sandra et ses provocations ostentatoires, ils allaient vouloir le lui faire payer, d'une façon ou d'une autre. En voulant le défendre, elle n'avait fait que le condamner à des représailles.

S'il avait tenté de minimiser la situation, c'était parce qu'il avait trop honte d'admettre qu'il était la victime de prédilection de ses condisciples depuis près de deux ans. Il aurait cependant dû supposer que, perspicace comme elle l'était, Sandra ne mettrait pas longtemps à découvrir le pot aux roses. Au final, de quoi avait-il l'air, à ses yeux ? D'un couard.

Peter entamait son dessert, un yaourt aux baies dont il venait d'arracher l'opercule, quand il devina une présence, à proximité. Il posa sa cuillère et jeta un regard alentour pour voir Kévin venir s'accouder au rebord de sa table. Tout, sur son visage, transpirait la méchanceté, de ses lèvres pincées aux éclairs que jetaient ses prunelles.

- Ça va comme tu veux, p'tite tête ? Écoute bien ce que j'ai à te dire, parce que ça peut t'intéresser. Courageux comme tu es, tu n'auras pas toujours une fille derrière laquelle te cacher. À ce moment-là, je peux t'assurer que tu vas regretter très cher ce que tu m'as fait aujourd'hui.

Peter songea que lui-même n'avait pas été particulièrement brave, puisqu'il avait capitulé devant Sandra sans demander son reste, mais il se garda d'en faire la remarque, car il savait que cela, loin de réduire Kévin au silence, ne ferait que le provoquer davantage.

Ce dernier lui arracha son yaourt des mains, ainsi que sa cuillère, et en avala une portion qui dessina un liseré violacé entre ses lèvres. Peter le regarda emporter son dessert avec lui, avant de baisser la tête. Son expérience plus que son instinct le poussait à prendre au sérieux les menaces de Kévin, si bien qu'il allait probablement passer les prochaines semaines à regarder sans cesse par-dessus son épaule, en guettant le pire.

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