Fer de Lance

Chapitre 18 : Calme et tempête

2551 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 23/03/2018 22:32

Tous les élèves de troisième années étaient rassemblés dans l'une des salles de combat de l'école. Contrairement au reste des cours où ils étaient séparés, les leçons de dressage leur seraient données en commun pendant toute la durée du premier trimestre. Ils ne seraient séparés qu'au second, lorsqu'ils entameraient les matchs.

En attendant, ils pratiquaient des exercices sous forme d'ateliers divers, supervisés par trois professeurs. On leur enseignait les bases, celles qui leur seraient utiles même s'ils choisissaient de s'orienter vers une autre voie que celle de dresseur, comme la coordination, par exemple.

Peter écoutait attentivement les conseils qui leur étaient adressés, bien que cela ne lui apprenne rien de vraiment nouveau. Avoir grandi dans une Arène et avoir dévoré des dizaines de livres hors du cadre scolaire lui avaient permis d'engranger beaucoup de connaissances, même si un petit rappel était toujours le bienvenu.

À l'atelier technique, il écouta l'un des professeurs évoquer une longue liste d'objets de combat, tout en les rassurant en précisant qu'ils n'auraient pas besoin de tous les retenir avant leur cinquième et avant-dernière année. Peter trouva tout de même cela plus intéressant que la tirade monotone qu'ils avaient endurée sur les Potions et les médicaments quelques cours plus tôt.

Un coup de sifflet retentit dans la salle, appelant à un changement. Le garçon se dirigea vers l'atelier suivant, dirigé par M. Johnson, qui serait son unique enseignant lorsque les classes retrouveraient leur individualité. C'était un homme grand et musclé, en dépit d'une légère bedaine qui commençait à se dessiner sous sa chemise. Ses cheveux gris foncés étaient rassemblés derrière son crâne en une queue-de-galopa, dégageant un visage franc aux yeux bruns débordant de bonne volonté.

- Sortez vos pokémon, proposa-t-il d'une voix posée.

Tous les élèves s'exécutèrent. Ils adoraient les moments où ils étaient autorisés à libérer leurs partenaires, car ceux-ci étaient soumis à un règlement encore plus strict que les pensionnaires. En dehors des horaires prévus à cet effet, ils étaient consignés dans un bâtiment annexe de l'école, où des agents étaient chargés de s'occuper d'eux et de veiller à leur bien-être. Les visites étaient permises le soir jusqu'à l'heure du dîner, et les samedis après-midi.

Au début, Drake avait été un peu perturbé par cette façon de faire, ainsi que par ces étrangers qui prenaient soin de lui, mais il avait fini par s'y habituer. Il passait de toute façon la majeure partie des heures où il n'était pas avec Peter dans sa pokéball.

- Les capacités de vos pokémon sont loin d'être les seules compétences dont ils disposent lors d'un combat ou de n'importe quelle épreuve, annonça M. Johnson. N'oubliez pas que leur vitesse, leur force, leur endurance... Bref, toutes leurs caractéristiques sont au moins aussi importantes. Bien sûr, on ne va pas demander à un Caratroc d'être rapide ni à un Hypotrempe d'être résistant. Ce qu'il faut, c'est avoir connaissance du potentiel de son partenaire, afin de le sublimer. Tous les pokémon ont des aptitudes naturelles, il n'appartient qu'à vous de les développer.

- Monsieur ? demanda une fillette en levant la main. Comment est-ce qu'on peut savoir ça ?

- En étant attentif en cours de pokémonologie, sourit M. Johnson. Il n'y a pas de secret. Au sein d'une même espèce, vous aurez toujours des pokémon plus puissants ou plus vifs que d'autres, mais leurs caractéristiques seront sensiblement les mêmes. Soit vous les connaissez, soit vous ne les connaissez pas.

- Je croyais que c'était à ça que servait le Pokédex ? interroge cette fois-ci un garçon.

- Oui, évidemment, le Pokédex est une sorte de mini-encyclopédie portative, mais ce n'est pas une raison pour ne rien mémoriser. Imaginez que pour une raison ou une autre, lors de votre voyage initiatique, vous l'égariez accidentellement dans... Hum... Disons le Bois aux Chênes. Vous ne pourrez plus vous reposer dessus face aux pokémon sauvages, pourtant vous devrez quand même sortir de là.

- Ce sont presque tous des types insecte, commenta un élève. Avec Flammèche, Cerbère pourra aisément me tirer d'affaire.

Il tapota fièrement l'encolure de son Malosse, qui pointa la truffe vers le plafond, fier de nature. Presque aussitôt, une cacophonie s'ensuivit de la part des troisièmes années qui voulaient tous s'exprimer en même temps. M. Johnson les fit taire d'un geste de la main.

- Réduire les combats à une simple affaire de types est une erreur que commettent bon nombre de débutants et que je tiens justement à vous épargner. Un pokémon feu aura certes un avantage sur des adversaires plante ou insecte, mais ce n'est pas pour autant que le duel sera gagné d'avance. Il y a de nombreux éléments à prendre en considération, à commencer par l'expérience. Louis, à ton avis, si ton Malosse affrontait mon Empiflor, qui de nous deux remporterait la victoire ?

- Bah ce serait vous.

- Pourquoi ? insista M. Johnson.

- Parce que vous êtes le prof.

- Parce que mon pokémon est plus entraîné, plus aguerri, que je maîtrise les ficelles du combat et, de surcroît, parce qu'il a atteint son dernier stade d'évolution. Vous pensiez que le dressage serait une partie de plaisir, les enfants ? Laissez-moi vous dire que ce sera probablement la discipline la plus difficile et la plus exigeante que vous pratiquerez dans cette école. C'est aussi la plus gratifiante lorsqu'on réussit, mais encore faut-il y parvenir. Qu'est-ce que vous en dites ? On s'y met ?

Tous les élèves acquiescèrent et Peter échangea un regard avec Drake, qui paraissait prêt pour son entraînement du jour. Son jeune dresseur lui sourit, puis ils se lancèrent dans une série d'étirements. Tandis que tous en faisaient autant, le professeur continua de leur poser des questions, auquel des élèves répondaient à tour de rôle.

- Savez-vous quelle est la différence entre les capacités physiques et spéciales, chez un pokémon ? Peter ?

L'intéressé sursauta. Comme il n'avait pas levé la main, il ne s'était pas attendu à être interrogé. Il pria Drake d'interrompre les mouvements qu'ils étaient en train d'exécuter, puis leva un regard timide en direction de l'enseignant. Aucun son ne sortit de sa bouche lorsqu'il l'ouvrit.

- C'est une notion assez vague et difficile, indiqua M. Johnson. Tu as le droit de ne pas savoir.

- Si, je sais, finit par bredouiller Peter. Les capacités physiques sont plus agressives et elles font appel à la force brute du pokémon, alors que les capacités spéciales demandent davantage de maîtrise et de technique.

- Est-ce que tu as une idée de la compétence principale de ton Minidraco ?

- Il s'agit de son attaque physique, mais contrairement à la plupart des pokémon, il n'y a pas une grosse différence avec ses facultés spéciales. En revanche, sa résistance est un ton en-dessous.

M. Johnson considéra Peter, puis se rapprocha de lui. Mal à l'aise, le garçon posa une main sur les écailles de Drake, dont le contact et la proximité avaient quelque chose de rassurant. Lorsque le professeur s'exprima, ce fut sur un ton bienveillant qui n'avait pas de quoi l'alarmer.

- Tu fais honneur à ta réputation, Peter. Tu es très cultivé et tes connaissances sont remarquables pour un garçon de ton âge.

- Je n'ai pas de mérite. Tout ce que je sais, je le dois à mon père ou à mes lectures.

- Peu importe d'où vient ton savoir, du moment que tu le possèdes. Tu ne devrais pas laisser ta timidité te nuire autant. Tes camarades auraient beaucoup à apprendre de toi si tu te décidais à parler plus souvent.

Peter jeta un regard en coin en direction d'un autre groupe, dans lequel le hasard avait réparti Kévin et Thibaut. S'il s'exprimait plus souvent, il attirerait sur lui l'attention de ses bourreaux, qui le persécutaient déjà bien assez comme cela. Les conseils de M. Johnson partaient sûrement d'un bon sentiment, mais pour son propre bien-être, il valait mieux continuer à se montrer discret. Il n'y avait qu'ainsi qu'il parvenait à avoir un peu la paix.

***

- Sandra, tu sais pourquoi tu es ici, n'est-ce pas ?

L'enfant soutint le regard de M. Fontaret, assis face à elle, de l'autre côté du bureau. Malgré son expression intimidante, elle n'avait pas peur de lui. Elle avait tellement l'habitude d'avoir des ennuis que plus rien ne l'effrayait depuis longtemps.

Quant à la question qui venait de lui être posée, elle ne savait que répondre. Ce n'étaient pas les raisons qui manquaient pour justifier une convocation chez le principal. La liste était si longue qui lui aurait fallu un moment pour toutes les énumérer, et son instinct lui soufflait que Fontaret n'était pas un homme patient.

- Tes professeurs ont exigé de moi que j'intervienne à cause de ton comportement. Apparemment, les punitions et les réprimandes n'ont aucun effet sur toi.

- Alors pourquoi est-ce qu'ils s'obstinent à m'en donner ? interrogea Sandra sur un ton faussement candide.

- Ne réponds pas ! Voilà un premier point que tu vas devoir sérieusement travailler : ton insolence. Tu te permets de parler aux enseignants comme tu le ferais avec tes camarades de classe, et même avec eux, tu es condescendante.

- Condé quoi ?

Sandra n'avait jamais entendu ce mot, mais elle doutait que ce soit un compliment, et elle se renfrogna d'autant plus que, loin de lui en expliquer le sens, Fontaret se contenta de la fusiller du regard.

- La semaine dernière, tu as provoqué une bataille générale de boulettes de papier en pokémonologie sous prétexte que, je cite, « ce sera toujours plus intéressant que le cours ».

- Attendez, ça faisait au moins quarante minutes que le prof nous parlait des types. Des types ! Le truc qu'on connaît déjà avant de savoir lire et écrire.

- Dans ce cas, écris, au lieu de provoquer un indicible chaos. Un peu d'entraînement ne te ferait pas de mal, car ta calligraphie est illisible et tes devoirs sont truffés de fautes... Quand tu daignes les rendre.

- Alors, petit un, comment est-ce que vous pouvez savoir que je fais des fautes si vous n'arrivez pas à me lire ? Rien que ça, ce n'est pas logique. Petit deux, pourquoi est-ce que je gaspillerais mon temps et mon énergie pour démontrer à un prof quelque chose qu'il est évident que je sais ?

- Parce que tes camarades le font, qu'ils sachent ou non.

- Bah justement, mes camarades... Non mais c'est quoi cette classe de débiles ? L'autre jour, il y en a un qui a sorti que les dragons étaient sensibles au type feu. N'importe quoi ! Vous croyez que votre école va aller loin, avec des élèves comme ça ? Au lieu de me faire des reproches, vous devriez plutôt me remercier de remonter le niveau.

- Ça suffit !

Le visage de Fontaret avait viré au rouge, sous l'effet de la fureur, quand il se leva pour frapper son bureau du plat de ses mains. Sandra, loin de se laisser intimidée par cette marque de colère, croisa les bras et les jambes, tout en lui jetant un regard blasé.

- Tout le monde n'a pas la chance d'être la nièce d'un Champion d'Arène, siffla le principal. Et ce n'est pas une raison pour mépriser ceux qui n'ont pas les mêmes connaissances que toi. Tu n'es pas au-dessus d'eux, Sandra. Personne n'est au-dessus de personne.

- Ah bon ? Vous n'êtes pas censé être le chef, ic...

- Silence ! Je vais contacter tes parents, et crois bien que je n'ai pas l'intention de les féliciter pour la manière dont ils t'ont éduquée. Tu veux que je te dise ? Je pense que tu n'es rien d'autre qu'une petite pourrie gâtée à qui l'on a toujours cédé tous ses caprices. Manque de chance pour toi, tu n'es plus à Ébènelle, et ici, nul ne te traitera comme une princesse.

- Encore heureux. Je déteste les princesses. Les robes, les coiffures, le protocole... Beurk.

- Vas-tu cesser de répondre, oui ?

- Si vous ne racontiez pas n'importe quoi, je n'aurais pas à le faire.

Fontaret se pinça l'arête du nez. Jamais ses nerfs n'avaient été mis à aussi rude épreuve. Si ses propres enfants s'avisaient de s'exprimer de la sorte, ils auraient reçu une paire de claques depuis longtemps. Il n'était pas partisan de cette méthode d'éducation, qu'il jugeait peu pédagogue, mais il avait le sentiment qu'une bonne gifle ne ferait pas de mal à Sandra Lance.

- Sors d'ici, ordonna-t-il en contournant son bureau et en désignant la porte. À compter de ce jour, tu seras confinée en salle d'étude tous les mercredis après-midi et tu copieras « Je dois apprendre les règles de savoir-vivre. » jusqu'à ce que tu finisses par assimiler le concept.

Sandra se leva de son siège et se dirigea vers la sortie avec nonchalance. Elle marchait d'un pas lent, en se trémoussant volontairement, car elle savait que son manque de précipitation ne ferait qu'intensifier la fureur de Fontaret, si tant est que cela soit possible.

Il la suivit, sans doute dans le but de la faire accélérer, et une fois qu'elle eut franchi l'encadrement, il empoigna le battant, près à le claquer violemment dans son dos. Il se ravisa cependant et interpella Sandra avant qu'elle ne s'éloigne. Celle-ci consentit à lui accorder un regard par-dessus son épaule.

- Tu crois franchement que cette attitude va te mener quelque part ? demanda-t-il d'un ton soudain plus calme.

Pour toute réponse, elle haussa les épaules. Ce n'était pas le comportement qui comptait, mais les aptitudes. Qu'elle soit polie et gentille ne ferait pas d'elle une meilleure dresseuse, alors pourquoi se donner cette peine quand elle pouvait s'amuser ? Elle prenait un plaisir malsain à voir les gens fulminer autour d'elle.

- Je vais te dire, Sandra... Tu n'es qu'une enfant. Une gamine, même. Ta prétention te vient du fait que tu penses que le monde s'ouvre devant toi, mais en fait, tu ignores tout de lui. Le chemin à parcourir est long et semé d'embûches. À plus d'une reprise, tu tomberas de haut, et puisque tu te places sur un piédestal, la chute n'en sera que plus douloureuse. Les gens comme toi subissent bien plus de désillusions que de joie, dans leur vie.

Sur ces mots, Fontaret tourna les talons et disparut dans son bureau, la porte se refermant derrière lui. Sandra resta immobile quelques secondes, à fixer le battant, les sourcils froncés, avant de marmonner :

- Pff... N'importe quoi !

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