La Princesse d'Axerik

Chapitre 17 : La Princesse.

3995 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 08/11/2016 22:45

Ils eurent du mal à dormir, cette nuit-là.

Le lendemain matin était un jour qu’ils avaient attendu depuis qu’ils avaient appris l’existence de la Princesse, qu’ils attendaient encore plus après avoir lu cette page du journal intime.

À quoi ressemble donc cette Fiona ? Sait-elle quelque chose à propos de la mort du professeur ? Leur veut-elle du bien ou du mal ?

Ils ne le savaient pas.

Sauf qu’ils n’étaient pas les seuls à avoir passé une nuit blanche…

Assise en face de son bureau, une faible lampe allumée devant elle, Mildred Brice avait le regard plongé dans le vieux journal intime qu’elle avait réussi à prendre à Penelope. Au début, elle avait cru que le voler serait l’étape la plus difficile. Sauf qu’en fait, le lire était bien plus fatigant.

Cela faisait maintenant des heures. Elle commençait vraiment à se sentir lasse, mais ne pouvait pas arrêter. Elle devait le lire en entier avant le lever du jour.

Elle porta une main à sa bouche et bailla, puis tourna une autre page.

Elle devait le lire en entier, et vite.

~~~~~~~~~~~~~~

Le lendemain matin, Penelope, Luke et Flora se réveillèrent non sans une certaine peine. Ils allèrent retrouver Clive dans un point qu’ils avaient fixé la veille.

« Il me tarde de voir la Princesse ! » S’exclama Luke. « Dis, Clive, tu penses qu’elle pourrait nous montrer quelques-un de ses miracles ? 

-Tu n’auras qu’à lui demander. Je suis certain qu’elle acceptera. »

Flora se mêla à la discussion.

« Mais n’oublie pas ! Nous n’allons pas là-bas pour nous amuser. Nous devons à tout prix cibler nos questions si nous voulons en savoir plus. »

Ils commencèrent à marcher, bavardant encore sur les derniers événements de la veille, et particulièrement de ces quelques mystères auquels ils ne trouvaient pas de réponses. Penelope se tenait un peu en retrait, marchant au-devant. Elle n’avait pas envie de trop parler, avait-elle dit. C’était inutile.

« Tu as peur de trahir ? » Elle entendit une voix chuchoter derrière elle. C’était Luke qui venait de la rejoindre, laissant derrière lui Flora et Clive qui étaient encore en train de décortiquer le dialogue entre le professeur et Fiona.

« Je n’ai rien à cacher », répondit-elle simplement.

Luke secoua la tête.

« Je ne te crois pas. 

-Pourquoi ne leur as-tu pas dit que je voulais tuer le professeur ? »

Luke esquissa un sourire.

« Ce n’est pas par pitié à ton égard, rassures-toi. C’est juste que je trouve que ça n’avance rien à l’enquête, et que si je leur en parle, ça ne fera que les encombrer avec des informations inutiles. »

Penelope le regarda d’un air sceptique.

« Et aussi… » termina-t-il, toujours en chuchotant. « C’est toujours utile d’être le seul à savoir quelque chose sur toi.

-Ton professeur ne t’a-t-il jamais appris que c’était mal, de faire du chantage ? »

Luke pouffa de rire. Bien sûr, il ne comptait pas lui faire du chantage ; ce n’était pas du tout digne d’un gentleman. Il voulait juste observer sa réaction, et l’énerver comme elle osait lui faire à chaque fois.

« Tu as vraiment peur, pas vrai, Lopy ?

-En aucun cas je n’aurais peur de toi. Et puis, depuis quand est-ce que tu m’appelles Lopy ? Je ne t’en ai pas donné la permission.

-Je ne me rappelle pas t’avoir donné la permission de m’appeler « gamin », non plus. »

Elle l’ignora.

« Tu vois. Maintenant que j’ai une information qui te menace, tu n’oses même plus me répondre. »

Elle se retourna vite vers lui. Elle était encore calme, mais ça se voyait que ça lui demandait un certain effort.

« Je n’ai pas de temps à perdre, c’est tout. »

Ils avaient arrêté de chuchoter, et Flora et Clive pouvaient désormais entendre toute leur dispute. Chose qui ne manqua pas de les choquer.

« Tu sais, le professeur t’a fait confiance juste parce que tu es la fille de Claire. Mais ce qu’il ignorait, c’est que, contrairement à elle, tu es un véritable démon.

-Tu as déjà dit quelque chose dans le genre.

-Oui. C’est si dommage que tu ne sois pas morte à sa place ! 

-Et tu oses dire que je suis horrible alors que toi-même tu dis des choses comme ça !

-Oui, tu es horrible. Tu n’as pas vu comment tu as parlé à Flora tout à l’heure ? La pauvre voulait nous aider et toi tu lui demandes d’arrêter de se vanter ? Tu l’as choquée ! »

Heureusement pour eux, leurs deux amis n’avaient pas entendu la partie concernant Penelope et sa tentative de meurtre…

Flora les regardait, un air triste s’emparant d’elle. Un air que Clive ne manqua pas de remarquer.

« Tu t’inquiètes pour eux, n’est-ce pas ? » Demanda-t-il d’un ton empathique.

« Luke est triste et ça se comprend. Moi-même je n’arrive pas encore à surmonter ce qui s’est passé… c’est surtout Lopy qui m’inquiète. »

Flora le savait. Si Luke et Lopy n’arrivaient jamais à s’entendre, c’était surtout car au fond, chacun d’eux était tellement perturbé. Et ça, ça l’affectait profondément, car elle avait cette impression qu’elle était la seule capable de faire quelque chose, et qu’elle ne faisait rien.

« Elle a tellement changé. Elle a toujours été un peu solitaire comme personne, mais la fille que je connaissais était si gentille. Maintenant, elle est devenue si froide et elle dit parfois des choses horribles… »

Il se rappela de l’étrange expression qu’elle arborait après la mort de Layton et durant l’enterrement.

« Depuis toutes petites, nous étions amies. Sauf que maintenant, elle a changé du tout au tout. Lorsque nous étions à Londres, elle m’a dit que ma cuisine était horrible et ça m’a tellement vexée… mais je ne le lui ai pas dit tout de même. Parfois… non, souvent, elle me donne l’impression qu’elle ne me considère plus comme une amie. »

Flora essuya les larmes qui commençaient à se former dans ces yeux. Non, ce n’était pas le moment de pleurer.

« Quand cette histoire sera terminée », lui suggéra Clive. « Essaye de lui parler pour savoir pourquoi elle est devenue comme ça. »

Flora leva la tête.

« Quand cette histoire sera terminée, nous devrons probablement tous nous séparer. Maintenant que le professeur est mort, Luke rentrera surement chez ses parents et moi j’irais à Saint-Mystère. Quant à Lopy, j’ignore vraiment ce qu’elle va devenir. Peut-être qu’elle voudra venir avec moi, mais je n’en suis pas sûre. Nous trois ne pourrons peut-être plus jamais nous revoir…

-Il est encore trop tôt pour aborder la question », la rassura Clive. « Tu ne devrais pas avoir des pensées aussi négatives pour rien.

-Oui… tu as raison. »

Bientôt, ils arrivèrent au palais royal. Le splendide palais qui surplombait le reste de l’île et qui, d’une certaine manière, parvenait à intimider les visiteurs de la Princesse avant même qu’ils ne croisent cette dernière.

Ils parlèrent aux gardes, et ceux-ci leur dirent qu’ils attendaient en effet leur visite. Sans embûche, sans la moindre difficulté, ils les laissèrent entrer.

 

C’est là que la personne qui les espionnait s’éclipsa. Si elle l’avait voulu, elle aurait pu entrer aussi. Sauf que cela ne servait à rien.

Le moment n’était pas encore venu.

~~~~~~~~~~~~~~

Ils étaient devant la grande porte menant à la salle principale où se trouvait Fiona. Derrière cette porte, la Princesse d’Axerik les attendait.

La dernière fois qu’une personne avait obtenu une audience avec cette Princesse, cette personne avait fini assassinée dans le couloir du palais. Alors, avaient-ils peur ? Non. La curiosité l’emportait sur la peur.

La porte s’entrouvrit et une jeune fille se montra. Une jeune fille que Flora et Clive reconnurent immédiatement. C’était Virginia.

« Bonjour », dit-elle en leur souriant aimablement. « Alors vous êtes venus. 

-Merci de nous avoir permis de rencontrer la Princesse.

-Merci à vous. La Princesse est très heureuse que vous soyez venus lui parler… elle voulait vous dire quelque chose. »

Avant même qu’ils puissent manifester leur surprise, elle adressa quelques mots aux deux gardes qui ouvrirent la porte. Luke, Penelope, Flora et Clive avancèrent, le cœur battant. Ils allaient enfin voir Fiona.

Ils marchèrent le long de la très grande salle, escortés par Virginia. Lorsque celle-ci s’arrêta, ils s’arrêtèrent aussi. Doucement, ils levèrent la tête vers le trône où la Princesse était assise.

 

La Princesse d’Axerik se trouvait devant eux.

 

Le moment était exceptionnel. Fiona… ils avaient tant attendu pour la voir. Et… elle était désormais là. Là, devant eux, humblement assise, les deux mains jointes, la tête baissée vers eux.

Dans leurs têtes, Luke, Penelope et Flora s’étaient chacun créé une image de la Princesse dans sa tête. Et comme toujours, la véritable personne ne ressemble jamais à nos attentes.

Elle était très belle, c’était vrai. Mais sa beauté n’avait rien à avoir avec celle de Virginia. On l’aurait plus qualifiée de sérénité, de pureté, plutôt que d’élégance et de délicatesse. Elle avait de longs cheveux roux, « De la même couleur que la pierre philosophale », comme le disait la légende. Son visage était clair, ses yeux grands et purs. Elle ne semblait cacher rien du tout. Elle semblait tout sauf mauvaise.

Mais ce qui les a le plus surpris, c’était qu’elle n’était pas du tout habillée comme une Princesse. Elle ne portait aucun bijou, pas même un diadème qui témoignerait de son statut. En fait, tout ce qu’elle portait, c’était une très simple robe faite d’un tissu blanc ordinaire, et une paire de sandales tressées. Aucun motif, aucune broderie ou dentelle, aucun ornement. Même ses cheveux étaient simplement lâchés, sans aucune coiffure spéciale.

Elle devait être la personne la plus simplement habillée de toute l’île, habitants et touristes confondus.

Et pourtant, elle dégageait une certaine aura… un air mythique. Elle ne semblait pas venir du monde des humains.

« Bonjour », dit-elle à ses invités.

Sa voix aussi était spéciale. Profonde. Distinguée. « Harmonieuse avec le son des vagues. »

« Bonjour, votre majesté… » commença Clive.

La Princesse leur sourit.

« Vous devez sans doute me connaître. Je suis Fiona, la Princesse de cette île. Et vous, qui êtes-vous ? 

-Je m’appelle Clive Dove. Je suis très honoré de vous voir, Princesse.

-Et… moi… c’est Flora. Flora Reinhold. »

Flora ne pouvait s’empêcher de balbutier en parlant. La Princesse était encore plus intimidante que sa demoiselle de compagnie, bien qu’elle n’eût en aucun cas l’air mauvais.

« Penelope Koldwin. »

Tout simplement.

Ils attendirent une quatrième voix, mais il n’y eut rien du tout. Clive, Lopy et Flora se retournèrent vers Luke. Ce dernier restait figé, fixant la Princesse, ne plaçant pas le moindre mot.

« Luke ! » Chuchota Flora.

« Heu… je suis Luke… Triton… Ravi de vous rencontrer… Prin… Princesse Fiona. »

Pourquoi se comportait-il si bizarrement ?

La Princesse hocha la tête.

« Je vois. Vous êtes les compagnons de ce brave professeur à qui j’ai parlé avant-hier. Je suis vraiment désolée de ce qui est arrivé… »

Elle lança un regard vers Virginia.

« Si je vous ai permis de venir aujourd’hui, c’est car je dois vous dire quelque chose. Quelque chose de très important. »

Virginia les avait prévenus.

« Écoutez-moi bien… »

La Princesse se leva.

« Profitez de votre séjour sur l’île. Et tâchez d’oublier cette histoire au plus vite. »

Cet ordre les frappa telle la foudre.

« Mais nous devons lever le voile sur ce qui est arrivé au professeur ! » S’opposa Clive.

Fiona secoua la tête.

« Ceci est inutile. Vous feriez mieux d’abandonner. 

-Quoi ! Mais… »

Penelope leva le regard vers elle.

« Je sais que vous êtes la Princesse, mais justifiez au moins vos ordres. »

À ce moment, Fiona soupira. Elle avança d’un pas.

« Ce n’est pas un ordre ; c’est un conseil. Je m’attendais à ce que vous compreniez… »

Comprendre quoi ?

« Le professeur est mort. Vous ne pouvez plus rien faire, alors laissez tomber. Je ne veux pas… je ne veux pas voir plus de sang couler sur mon île ! »

Quatre regards choqués la dévisagèrent.

« Je l’avais prévenu. Il avait tout compris… et c’est pour ça qu’il est mort. Si seulement il m’avait écoutée… si seulement il n’avait rien découvert… il serait encore en vie maintenant.

-Le professeur ? »

Les yeux de Fiona commençaient à s’emplir de larmes.

« Qui d’autre ! Il avait trouvé la vérité, et c’était son ultime erreur ! »

Trouver la vérité avait été l’ultime erreur du professeur…

« Vous voulez dire qu’il a été tué parce qu’il a pu résoudre votre mystère ? »

Elle baissa la tête.

« Oui. Alors, de grâce, n’essayez pas vous aussi. Je n’ai pas envie qu’une autre personne meurt à cause de moi… »

Flora, et tous les autres, se rappelèrent alors comment Fiona s’était affolée lorsque le professeur lui avait dit qu’il avait tout compris. Elle réagissait de la même manière avec eux.

En gros, la Princesse leur demandait de laisser tomber leur enquête alors qu’ils avaient rassemblé tant d’indices, d’oublier le mystère d’Axerik, d’oublier la mort du professeur et de rentrer chez eux en faisant comme si de rien n’était !

Et bien qu’un tel ordre puisse paraître absurde au premier abord, plus ils y réfléchissaient, plus cela paraissait logique. Layton a été tué car il avait tout compris. S’ils comprenaient, ils mourraient eux aussi.

Ils devaient choisir entre laisser tomber la vérité, et entre la mort.

« Ce que vous nous demandez là est très délicat… »

La Princesse avança encore.

« Bon, si c’est vraiment ce que vous souhaitez, je peux vous dire qui a tué le professeur. »

Ils la regardèrent tous, l’air surpris. Fiona souffla.

« C’est Axerik. »

Comme Flora l’avait dit auparavant…

« Axerik… Mais… »

Elle leur coupa la parole.

« Maintenant, partez ! Je vous ai dit qui l’a tué, ne cherchez pas à en savoir plus, ou il vous tuera vous aussi.

-Mais nous avons encore des questions à vous poser… »

La Princesse dirigea le regard vers sa demoiselle de compagnie.

« Virginia, dites aux gardes de les faire sortir. »

La demoiselle de compagnie s’exécuta et, bientôt, nos héros se retrouvaient dehors. Perdus, confus, effrayés et complètement indécis.

Ils espéraient que la rencontre avec Fiona allait les éclairer, sauf que les choses n’avaient fait qu’empirer.

Et les voilà désormais revenus à la case départ. La question qui se posait n’était plus « qui a tué le professeur ? » ou « pourquoi le professeur a-t-il été tué ? »

La question était : « Fallait-il chercher la vérité, ou pas ? »

Ils étaient totalement choqués. Eux qui voulaient avancer, se retrouvaient devant un dilemme. Et pas des moindres.

Ce qu’ils ignoraient, c’était qu’il y avait un petit détail. Un détail que seule une des quatre personnes avait découvert. Un détail qui se limitait à deux mots seulement, et qui, une fois prononcé, allait rendre l’histoire cent fois plus compliquée qu’elle ne l’était déjà.

« Que devons-nous faire ? » Demanda Flora.

« Risqué », soupira Clive. « Je savais que c’était risqué. Mais…

-Nous ne pouvons pas nous sacrifier aussi facilement pour quelqu’un qui est déjà mort », expliqua Lopy. « Mais en même temps, cette histoire avec Axerik me paraît inventée de toutes pièces. Un savant mort revenu tuer celui qui a découvert son secret. Ça ne peut pas être vrai.

-Je n’y croyais pas trop non plus au début », murmura Flora. « Mais je commence à changer d’avis.

-C’est si dommage que vous n’ayez pas pu voir les miracles de la Princesse », se désola Clive. « Elle nous a si subitement chassés… »

Alors que Penelope, Flora et Clive continuaient à parler, Luke restait silencieux. Il était horrifié. Non, il était choqué. Non, en fait, il était juste totalement dépassé.

« Qui a-t-il ? » Lui demanda soudainement Penelope. « Déjà que tu étais complètement figé tout à l’heure… ne me dis pas que tu as peur de Fiona ! »

Luke n’était pas d’humeur à plaisanter.

« C’est normal qu’il soit confus », expliqua Clive. « Ce qu’elle nous a dit est très perturbant. »

Luke respira un fond.

« Non, ce n’est pas ça. »

Il regarda ses trois amis.

« Fiona… le professeur la connaissait… et moi aussi je la connais. »

Surpris, ils le regardèrent avec un air impatient.

« Le professeur et moi l’avions rencontrée lors de l’une de nos aventures…

-Mais… » l’interrompit Flora. « Vous m’avez raconté toutes vos aventures et pourtant vous ne m’avez jamais parlé d’une Fiona.

-Normal. Ce n’est pas son vrai nom… en vérité, elle s’appelle… »

Luke ferma les yeux. Dans ce contexte, les mots ne voulaient pas sortir.

« En vérité, elle s’appelle… Janice Quatlane. »

~~~~~~~~~~~~~~

Dans deux lieux différents, deux personnes différentes se disaient exactement la même chose.

« Ainsi, Penelope Koldwin est la fille de Claire… »

 

C’était juste la suite qui différait un peu.

 

« Ça facilite les choses », se dit l’une des deux.

« Ça complique les choses », se dit l’autre.

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