La Princesse d'Axerik

Chapitre 19 : Le jeu de survie.

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Dernière mise à jour 09/11/2016 14:58

Axerik n’était pas du tout ce que la légende laissait croire.

Ce n’était pas un savant qui a consacré sa vie à sa recherche et qui a choisi la mort lorsqu’il a commencé à sentir qu’il ne pourrait plus vivre en paix et dans la solitude. Non, en fait, c’était un homme cruel, possédant un ego démesuré. Quelqu’un qui a décidé de laisser à l’humanité un défi, et de tuer toute personne parvenant à le relever.

Quelqu’un qui ne pouvait supporter l’idée qu’on puisse se mesurer à lui.

Et eux, ils avaient cette chance. Ils avaient la possibilité d’essayer de résoudre l’énigme. Mais fallait-il vraiment appeler ça une chance ?

Une énigme aussi dure. Ils se retrouvaient face à un jeu terriblement dangereux. Et si réussir leur rendrait le professeur, échouer leur coûterait leurs vies…

Mais Axerik ne leur laissait pas le choix. C’était un ordre, pas une proposition. En d’autres termes, ils devaient participer à ce jeu.

« Le méchant qui s’ennuie et qui veut s’amuser en lançant de tels défis », dit Penelope en regardant encore la feuille. « C’est si peu original. »

Mais même si elle se permettait cette remarque sarcastique, Luke remarqua que sa main qui tenait la feuille tremblait.

Ils savaient qu’Axerik allait mettre ses menaces à exécutions s’ils échouaient. Ils savaient désormais qu’il ne répugnait pas à l’idée de tuer quelqu’un. Ils savaient que s’il avait lancé le défi, c’était car il était sûr qu’ils en étaient incapables.

« Vous ne pouvez pas fuir, alors essayez. Vous ne réussirez pas. »

Flora étouffa un cri en posant ses deux mains sur sa bouche.

« Pourquoi… pourquoi nous fait-il ça ?

-Vous avez une chance de sauver le professeur », déclara Fiona. « N’êtes-vous pas contents ? 

-Allons ! » S’exclama Luke. « Nous n’y arriverons jamais. Une énigme si difficile, et si peu de temps… et puis… pourquoi nous tuer si nous... »

Il s’effondra complètement. Penelope rendit la feuille à Fiona.

« Cet Axerik, s’il existe, est complètement fou. Et vous, vous le servez, comme c’est pitoyable ! »

La Princesse ne lui dit rien. Elle tourna les talons, et s’apprêta à partir.

« Princesse », l’appela Luke. Elle se retourna vers lui.

« Oui, dites-le-nous, pourquoi aidez-vous Axerik ? »

Elle l’ignora et reprit son chemin.

« Janice ! » Appela-t-il à nouveau.

Elle s’arrêta, mais ne se retourna pas cette fois-ci.

« Pourquoi faites-vous cela, Janice ? Pourquoi aidez-vous quelqu’un qui a tué le professeur et qui veut nous tuer ? Ça ne vous ressemble pas ! »

Virginia regarda la Princesse d’un air inquiet. C’était la dernière question qu’il fallait poser à la Princesse.

« Je n’ai pas le droit de désobéir », répondit-elle d’une voix glaciale. « En tant que la Princesse choisie par Axerik, je ne peux pas lui désobéir. »

Qu’est-ce que cela signifiait ? Que la Princesse n’avait pas le contrôle d’elle-même ?

« Oh, et puis… » termina-t-elle en commençant à marcher. « Je ne vois vraiment pas qui est cette Janice dont vous parlez. »

Elle s’éloigna, suivie de Virginia, et laissa les trois enfants dans un état sans nulle autre pareille.

« Que faire ? » Demanda Flora. « On essaye ? 

-Je crois que c’est la seule option », confirma Penelope.

Luke regarda les deux jeunes filles. Il était désespéré, mais il allait laisser les lamentations pour plus tard.

« Oui, essayons. Si nous devons mourir au coucher du soleil, alors au moins essayons d’en découvrir plus avant ! »

Une détermination doublée d’un sentiment de détresse. À partir de maintenant, ils ne se battraient plus pour satisfaire une simple curiosité ni même pour attraper l’assassin du professeur. Ils se battraient pour leur propre survie.

Et, à la nuit tombée, ils seraient tous vivants, le professeur compris, ou tous morts.

~~~~~~~~~~~~~~

« Princesse, allez-vous bien ?

-Non, mais je commence vraiment à m’habituer…

-Allons, il y a toujours une chance pour qu’ils réussissent. »

La Princesse avait un regard glacial.

« Non, Virginia, Il n’y en a aucune. 

-Ah !

-Cette énigme est faite pour que personne ne puisse jamais la résoudre. »

La demoiselle de compagnie regarda Fiona, le même air inquiet sur son visage.

« Mais le professeur avait bien réussi, non ? »

- Je n’en sais rien »

Fiona soupira.

« Depuis le début, je savais que c’était lui le voyageur dont parlait la légende, depuis le début, je savais qu’il allait mourir. Mais la réponse de l’énigme, je ne sais pas comment il a pu la trouver, ni même qu’est-ce qu’il allait dire parce que… »

Les larmes glissaient sur ces joues.

« Cette énigme n’a pas de réponse. »

Virginia lui posa une main sur l’épaule.

« Ce n’est pas votre faute, Princesse. Ce n’est pas votre faute. »

~~~~~~~~~~~~~~

« Quoi ? » S’exclama Clive en manquant de tomber. « C’est une blague ? 

-Hélas, non. »

Le jeune homme frappa la paume de sa main contre son front.

« Ce n’est pas possible ! Si seulement j’avais su ce qui allait arriver, je ne vous aurais jamais appelés… »

Lorsqu’il avait envoyé la lettre au professeur, Clive ne se doutait pas de l’erreur énormissime qu’il venait de commettre. Si seulement il avait été condamné à la prison à perpétuité plutôt que d’être exilé sur cette île maudite !

« Ce n’est pas le moment de penser comme ça ! » L’arrêta Luke. « Désormais, nous devons essayer. Axerik nous défie, alors montrons-lui de quoi nous sommes capables ! »

Penelope, les bras croisés, regarda Luke d’un air sceptique.

Être optimiste est une bonne chose, être sûr que l’impossible n’existe pas aussi. Mais, pourquoi ?

Pourquoi ce défi ? Pourquoi ce jeu ?

Pourquoi à ce moment précis ?

Elle se sentait perdue, déchirée entre ce qu’elle croyait et ce qu’elle voyait, mitigée entre l’idée de continuer seule, d’abandonner, ou de les suivre.

Parmi toutes les personnes impliquées, elle était celle qui avait le plus de chance pour être complètement confuse. Après tout, elle avait été sur le lieu idéal au moment idéal…

Que dois-je faire ?

Lâchant ses deux bras, elle prit vite sa décision. Elle allait jouer le jeu et attendre.

« OK. Allons-y ! »

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« Le dernier acte commence. Axerik contre les malheureux voyageurs. J’ai toujours aimé considérer la vie comme un théâtre, tu sais ?

-Tu es si détendu. Moi, je n’ai même pas le cœur à rire. »

Il regardait par la fenêtre. L’autre personne restait assise.

« Bientôt, je serai débarrassé d’eux, il est tout à fait naturel que je m’en réjouisse.

-Tu aimes tant te compliquer la vie… »

Il se retourna.

« Ce soir, dès que le soleil sera couché, tu pourras passer à l’acte.

-Oui. Je sais parfaitement ce que j’ai à faire. »

Il avança doucement et vint s’asseoir à son tour.

« Cette histoire est bien tragique, tu ne trouves pas ?

-Oui. Une personne est morte, et bientôt une autre la suivra… »

Il joignit les deux mains.

« Axerik est une île magnifique à première vue. Un endroit paradisiaque. Mais les malheurs qu’elle renferme, qu’elle va renfermer, sont si horribles lorsqu’on apprend à les connaître. »

La personne tourna la tête vers lui et le regarda.

« Elle est à l’image d’Axerik lui-même, n’est-ce pas ?

-Impressionnant, horrible et malheureux. Voilà les trois mots qui résument Axerik, l’île et la personne. »

Il était la personne la mieux placée au monde pour en parler.

~~~~~~~~~~~~~~

Il était déjà quatorze heures.

Ils avaient passé la matinée à échafauder des théories, à inspecter la valise du professeur, à lire et à relire la seule page du journal intime qu’ils possédaient sur l’affaire, à essayer de répondre à la fameuse énigme de la Princesse.

« Trouvez la question que je veux vous poser, et répondez-y. »

La vie est dure.

La première fois où l’échec devait leur coûter leurs vies, il fallait que ce soit une question pareille !

« C’est trop bizarre ! » S’exclama Luke. « Axerik existe vraiment, nous le savons maintenant. Alors que voulait dire le professeur par « Axerik n’est… »

-Peut-être voulait-il dire qu’Axerik n’est pas la bonne personne qu’on croyait », suggéra Clive.

« Si la Princesse s’est affolée tant », lui fit remarquer Lopy. « C’est qu’elle le savait déjà. »

Alors que voulait-il dire ?

« Il y a une autre question qui m’intrigue », ajouta Flora. « Lorsque le professeur a dit à Fiona qu’il avait trouvé la réponse, elle ne lui a pas demandé de la lui dire. Elle n’a même pas cherché à savoir si c’était la bonne réponse ! 

-Elle savait que c’était la bonne réponse », lui expliqua Clive. « La légende parle d’un voyageur qui va résoudre le mystère et…

-Comment savait-elle que ce voyageur serait le professeur ? »

Clive réfléchit un instant, puis haussa les épaules. Il n’en savait rien.

« Nous avons perdu trop de temps », souffla Luke. « Et nous n’avançons même pas. Que faire ?

-Il y a deux moyens de procéder », déclara Penelope. « Soit nous essayons de trouver la réponse par nous-même, ce qui me paraît franchement impossible. Soit nous essayons de retracer le chemin du professeur pour savoir à quoi il pensait, ce qui est déjà plus simple. »

Luke aurait été d’accord avec elle, sauf que… non.

« Tu veux qu’on prenne la réponse toute prête ? Laisse-moi te poser une question : pourquoi le professeur a-t-il deviné et nous nous en serions incapables ? »

Penelope haussa un sourcil.

« Le professeur n’avait pas la pression que nous avons. »

Luke lui répondit aussitôt.

« Le professeur a tout deviné avant même de mener la moindre enquête ! »

C’était ça, le détail qui les intriguait le plus dans l’histoire. Comment le professeur, qui n’avait rien vu du tout a pu tout déduire à lui seul seulement de la légende et d’un article de journal, alors qu’eux, ils étaient quatre, avaient tous ces éléments et bien plus, et n’arrivaient pas même pas à élaborer le quart d’une théorie qui tient la route !

« Soit le professeur était vraiment fort, soit nous sommes complètement bêtes. »

Penelope ne put s’empêcher de grimacer à la remarque de Flora. Les deux options ne lui plaisaient pas.

« Allons ! » S’exclama Luke en serrant nerveusement les mains. « Il doit bien y avoir une piste ! 

-Nous avons déjà inspecté tout ce que nous avons plus d’une fois.

-Nous devons bien passer à côté de quelque chose. »

Chacun se mit à creuser au fond de son esprit, à la recherche d’une piste. Quand on cherche bien, on trouve toujours quelque chose. Le problème, c’était que, dans leur cas, il fallait faire attention à ne pas perdre de temps sur une piste inutile.

Chaque geste inutile consumait un espoir de vie.

« Nous devrions nous séparer », remarqua Lopy. « Ainsi nous pourrons explorer plusieurs éléments en même temps. »

Ils étaient sceptiques.

« Oui, mais, vous trois ne connaissez pas assez bien l’île, encore moins la langue. »

C’était un obstacle depuis le début.

« Ça dépend de l’endroit où nous voulons chercher. Par exemple, si tu veux chercher à bord du bateau, ça ne dérange pas. »

Clive haussa un sourcil.

« Que veux-tu chercher à bord du bateau ? »

Penelope croisa les bras.

« J’ai ma petite idée. »

Luke la regarda. Il savait à quoi elle pensait.

« Moi », intervint Flora. « J’avais pensé à aller au palais et entrer par effraction par les fenêtres si basses. Je pourrais alors espionner la Princesse ou chercher des indices là-bas. »

L’idée, aussi ridicule puisse-t-elle paraître à première vue, n’était en fait pas si bête que ça. Peut-être un peu dangereuse, mais pas pour des gens qui jouaient pour leur propre survie…

« Pour ma part », reprit Clive. « J’avais pensé interroger les gens qui sont allés voir la Princesse. Après tout, je suis le seul à pouvoir accomplir cette tâche, et peut-être qu’ils savent quelque chose. »

Le professeur n’était, en effet, pas la seule personne à être allée voir Fiona, bien qu’il fût le seul à avoir connu un tel sort après.

« Quant à moi… » commença Luke. Il fut aussitôt interrompu par Penelope.

« Tu viendras avec moi. »

Il fut surpris par une telle demande.

« Je n’ai pas d’ordre à recevoir de toi », aurait-il voulu lui dire. Mais il savait déjà ce qu’elle comptait faire.

« Bien », dit-il simplement.

~~~~~~~~~~~~~~

Sur ce, ils se séparèrent. Clive alla interroger les quelques habitants de l’île qui s’étaient intéressés au mystère de Fiona. Flora alla au palais. Et Luke et Penelope rentrèrent au bateau qui les avait ramenés sur ces terres.

« Tu veux aller voir Mildred Brice ? » Demanda Luke. « N’est-ce pas ? »

Penelope hocha la tête.

« Qui d’autre ? Je crois vraiment que c’est elle qui a déchiré ces feuilles du journal intime. Ces feuilles où le professeur a bien dû écrire quelque chose d’intéressant.

-Je me disais aussi », approuva Luke.

« Cette femme s’est aussi trouvé sur les lieux du crime. Et si c’est elle la meurtrière, alors je commence sérieusement à me demander que vient faire Axerik là-dedans. »

Luke soupira. C’était vrai.

Mildred et Axerik. Ils étaient aussi suspects l’un que l’autre, mais l’existence de l’un reniait l’existence de l’autre. Or, leur existence à tous les deux avait été prouvée. Ils ne pouvaient pas avoir tous les deux tué le professeur, tout de même !

Mildred était vraiment une femme bizarre. Son rôle dans l’histoire était sans doute le plus sombre et le moins défini. Que voulait-elle ? Pourquoi avait-elle volé le journal intime du grand-père de Penelope ? Pourquoi avait-elle (si c’était bien elle) déchiré des pages du journal intime du professeur ? Avait-elle quelque chose contre les journaux intimes ?

Quel était son rôle dans toute cette histoire, franchement ?

« Au fait, Lopy, tu étais toi-même sur les lieux du crime, non ?

-Oui… mais je suis partie avant qu’il n’arrive quoi que ce soit. »

Vérité ou mensonge ? Luke ne le savait pas. Mais à ce stade-là, il ne pensait pas que cette fille puisse être le véritable tueur. Alors, pourquoi irait-elle mentir ?

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« Mildred Brice ? Je ne l’ai pas vue de toute la journée. »

Il n’y avait pas beaucoup de passager sur le bateau, et le commandant connaissait à peu près tout le monde. C’est pour ça que Luke et Penelope avaient décidé de lui demander à lui.

« Alors elle n’est pas sortie de sa cabine ? 

-Non, je ne crois pas. Oh ! J’espère qu’elle n’est pas malade ! »

Ils lui dirent qu’ils allaient immédiatement voir, et il les remercia, ignorant qu’ils faisaient cela plus pour eux-même…

Suivant les indications du commandant, les deux adolescents arrivèrent à retrouver la cabine de Mildred. Cette femme, ils ne savaient strictement rien d’elle. Son apparence et sa voix étaient déguisées, son nom probablement faux. Bref, ils s’attendaient vraiment à voir n’importe qui et n’importe quoi derrière la porte alors qu’ils frappaient.

Ils n’avaient pas besoin de s’attendre à quoi que ce soit, en fait. La femme qui ouvrit était exactement la même que celle de l’autre fois.

« Oh ! Bonjour ! Comme je suis contente de vous revoir. Vous allez bien ? »

Penelope s’avança immédiatement. Elle ne comptait pas jouer son jeu. Oh que non !

« Rendez-moi mon journal intime. Immédiatement. »

Derrière les lunettes noires de Mildred, Luke pouvait voir ses yeux s’écarquiller de surprise. Il pouffa. Penelope pouvait être si effrayante, des fois.

« Allons, allons. Vous êtes si rude ! Où est partie la gentille petite fille de l’autre fois ?

-Elle n’a jamais existé. Exactement comme la gentille dame qui voulait soigner ma blessure.

-Voyons, vous êtes si énervée… »

Penelope lui lançait un regard qui, tellement il était froid, commençait à former une expression en lui-même.

« Bon d’accord, je suis honnêtement désolée. Le livre était si beau ! Je ne pouvais m’empêcher d’être curieuse… alors j’ai pensé l’emprunter.

-Vous me prenez pour une imbécile ?

-Mais non, bien sûr que non. Tenez, je vais vous le rendre tout de suite. »

Elle disparut un instant dans la chambre puis revint avec le vieux livre entre les mains.

« Tenez. Oh, ce qu’il est lourd ! Comment une fille maigre comme vous peut-elle se balader avec un truc pareil ? »

Penelope le lui arracha et le rangea aussitôt dans son sac. Mildred Brice était la dernière personne au monde qui avait le droit de lui faire des remarques sur sa maigreur !

« Bon, eh bien, maintenant que vous avez ce que vous voulez, vous vous calmez, d’accord ? » Dit la jeune femme d’une voix angélique.

« En fait », l’interrompit Luke. « Nous n’étions pas venus pour ça, essentiellement. Nous voulions savoir, êtes-vous allée au palais d’Axerik le jour de notre arrivée ? »

Contrairement à Lopy, il voulait, lui, simuler l’ignorance pour qu’elle lui en dise plus.

« Le palais ? J’aurais adoré y aller, sauf que j’ai une nièce à surveiller, vous savez. Et apparemment, ils ne permettent pas à deux personnes d’entrer en même temps. Je ne peux pas laisser Lily toute seule, tout de même. »

Menteuse ! L’accusa intérieurement Penelope.

« C’est vraiment important, mademoiselle Brice, vous devez nous aider.

-Insinuez-vous que je suis en train de vous mentir sur ce point ? »

Penelope en avait assez.

« Non. Vous ne mentez pas que sur ce point. En fait, depuis que vous avez prononcé la première lettre vous ne faites que mentir ! 

-Lopy, calme-toi. »

Luke ne croyait honnêtement pas que le jour viendrait où ce serait lui qui demanderait à Penelope de se calmer.

« Mademoiselle Brice, nous avons des preuves que vous nous aviez menti ce jour-là. »

Elle ajusta son chapeau.

« Oh mon Dieu ! Je n’ai fait qu’emprunter un minable livre, et voilà que je suis une voleuse et une menteuse.

-Nous avons des preuves. »

Et c’est vous la minable, pensa Penelope.

« Bon, écoutez, je vous ai rendu ce livre, alors laissez-moi tranquille. Je n’ai pas de temps à perdre à parler avec des enfants insolents comme vous. »

Et, aussitôt sa phrase terminée, elle claqua la porte.

 

Penelope était visiblement énervée. Elle serrait les deux poings et les dents.

« Franchement ! Son excuse est plus qu’incrédible. Et son air innocent… argh ! »

Sur ce point, Luke était d’accord.

« Mais ça n’aurait servi à rien d’insister, elle n’aurait rien dit. »

Penelope souffla. Elle devait se calmer.

« Au moins j’ai récupéré mon journal intime… mais notre objectif principal n’est pas réalisé. »

Ils commencèrent à marcher lentement, n’ayant pas encore décidé où aller exactement.

« Tu sais, Lopy », commença Luke soudainement. « Sous ses airs de femme superficielle, Mildred est vraiment quelqu’un de très rusé.

-Tu trouves ? Moi je la trouve vraiment stupide. Tu as vu comment ses mensonges sont mal construits ? »

Luke n’était pas d’accord avec elle.

« Peut-être que c’est ça, ce qu’elle veut nous faire croire. Qu’on n’a rien à craindre de son côté.

-Ce n’est qu’une possibilité.

-Non », insista Luke. « Elle sait beaucoup de choses, mieux encore, je crois qu’elle nous espionne depuis un moment. »

Penelope leva le regard vers Luke, surprise.

« Elle t’a demandé comment tu pouvais transporter un livre aussi lourd partout avec toi. Comment a-t-elle su que c’est ce que tu fais ? »

C’était une très bonne question. Mildred n’était pas censée le savoir.

« Elle nous espionne ? » Répéta Lopy. « Mais dans quel but ?

-Si elle a volé ton journal intime, c’est qu’elle enquête sur toi.

-Ce n’est pas mon journal intime, c’est celui de mon grand-père. Et il n’y a pas grand-chose sur moi là-dedans. »

Luke ne voyait pas pourquoi une voyageuse qui va passer ses vacances sur Axerik voudrait enquêter sur le grand-père de Penelope.

« Il y a bien des choses sur toi, non ?

-Si, mais très peu. C’est surtout des informations sur mon grand-père, mes arrière-grands-parents, et ma mère.

-Bizarre… »

Penelope leva la tête vers le ciel.

« Le soleil approche de plus en plus de l’horizon. Quelle heure est-il ?

-Surement aux environs de dix-sept heures. Nous n’avons plus que quelques heures devant nous. »

La jeune fille soupira.

« Je commence à perdre espoir. On va où, maintenant ?

-Comme nous ne savons pas où Clive se trouve exactement », suggéra Luke. « Nous pourrions aller voir Flora. Elle a peut-être trouvé quelque chose. 

-J’espère », murmura Penelope.

« Moi ce que j’espère, c’est qu’elle ne se soit pas encore attiré des problèmes ! »

~~~~~~~~~~~~~~

Mildred Brice claqua la porte et la ferma à double tour.

Ces enfants ! Ce qu’ils pouvaient être embêtants avec leurs questions et leurs preuves !

Bon, ce n’était pas bien grave.

Elle avait un rôle à jouer. Un rôle très difficile, puisqu’elle devait être une personne qui était le contraire de ce qu’elle était vraiment. Mais maintenant qu’elle avait rendu son livre à Penelope, son rôle était terminé.

Elle ôta son chapeau, ses lunettes, et tous ses bijoux, puis sortit de sous le lit une boîte qu’elle ouvrit. Elle ne comptait plus quitter sa cabine avant leur retour à Londres, mais si elle devait sortir, elle ne sortirait plus sous le nom de Mildred Brice.

S’ils ne découvrent rien, eh bien tant mieux. S’ils découvrent tout, elle aura une excuse.

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Le jeu de survie avait déjà duré trop longtemps.

« Trop longtemps », se dit Flora à voix basse alors qu’elle surveillait encore la salle du trône par la fenêtre.

Cela faisait déjà un bon moment qu’elle était là, et il ne se passait toujours rien. Fiona regardait toujours par la fenêtre du côté opposé, et Virginia était assise dans un coin à lire.

Elles ne s’ennuyaient pas à faire ça pendant des heures ?

Flora commençait à en avoir assez. Non seulement elle épuisait ce qui pourrait être les dernières heures de son existence à regardait deux filles qui ne faisaient rien de spécial, mais en plus, elle était complètement inutile. Luke, Penelope et Clive allaient surement découvrir des choses, alors qu’elle reviendrait bredouille.

C’était hors de question.

Elle devait trouver autre chose, et vite.

Alors qu’elle hésitait encore à partir, elle entendit soudain la voix de la Princesse qui brisait enfin le silence.

« Virginia, que dois-je faire ?

-À propos de quoi, votre majesté ?          

-Je me sens égoïste, de sacrifier tant de vies pour… »

Virginia se leva, interrompant Fiona.

« Attendez un instant, Princesse. Je ne crois pas que ce soit le moment idéal pour en parler. »

Elle commença à marcher discrètement vers la fenêtre par laquelle Flora les espionnait. La jeune fille se pétrifia ; Virginia avait-elle remarqué sa présence ?

Elle devait fuir. Mais en même temps, si elle s’en allait en courant, les deux jeunes filles entendraient ses pas et sauraient qu’on les espionnait. Mais c’était mieux que se faire prendre, non ?

Elle se figea, ne sachant plus quoi faire. Lorsque la demoiselle de compagnie jeta un regard par la fenêtre et l’aperçut, Flora décida qu’elle irait jusqu’au bout.

« Vous êtes bien tenace », lui dit Virginia. « Cela fait environ deux heures que vous êtes là à nous observer, n’est-ce pas ? »

Virginia était vraiment quelqu’un de perspicace.

« C’est un jeu », lui déclara Flora. « Et toutes les règles sont permises. »

Fiona, ayant entendu sa demoiselle de compagnie, vint à son tour vers la fenêtre.

« Elle a raison », dit-elle à son tour. « C’est un défi entre eux et Axerik. S’il ne leur a pas interdit d’espionner le palais, alors qu’ils espionnent. Je n’ai rien à dire là-dessus. »

Virignia en fut surprise.

« Mais Princesse », commença-t-elle. « Croyez-vous vraiment qu’il serait d’accord…

-S’il n’était pas d’accord, croyez-moi, elle n’aurait pas pu arriver jusqu’ici. Il ne l’aurait pas laissée. »

Le cœur de Flora se glaça. Axerik les laissait faire tout ce qu’ils voulaient ; cela voulait dire qu’il était sûr qu’ils ne réussiraient jamais. Il avait une énorme marge d’avance sur eux. Il les contrôlait.

Fiona se retourna et revint vers sa place d’origine. De sa voix à la fois calme et autoritaire, cette voix qui allait si bien avec son rang de Princesse, elle lança un ordre à Virginia.

« Faites la entrer. Je vais lui parler. »

~~~~~~~~~~~~~~

Luke et Penelope couraient vers le palais. Ils espéraient de tout leur cœur que Flora ait mis la main sur une piste.

Ils se sentaient un peu inutiles. Déjà la dernière fois, Clive et Flora avaient découvert tant de choses alors qu’eux n’avaient trouvé qu’une petite théorie de rien du tout sur une femme dont ils ne savaient rien. Cette fois aussi, Flora et Clive allaient surement découvrir des choses, alors qu’eux reviendraient bredouilles.

C’était hors de question.

« Je commence vraiment à croire que nous n’avons plus de chance », se lamenta Penelope.

« Arrête de dire des bêtises. Même si Flora n’a rien, Clive pourra trouver quelque chose. Et puis, nous-même avons encore le temps d’explorer d’autres pistes.

-Il faut faire vite. »

C’était la course contre la montre. Et plus ils approchaient de la limite, plus ça empirait.

Ils refusaient d’y penser, mais ils avaient tous les deux (tous les quatre, en fait) cette sensation qu’ils allaient échouer. Axerik n’était pas bête, et il avait dit qu’ils échoueraient.

Ils espéraient certes un miracle, mais les miracles n’existent pas. Et quand même ils existeraient, pourquoi le miracle leur arriverait-il à eux, spécialement ?

 

Ces instants qu’ils étaient en train de vivre, seraient-ils les derniers de leurs vies ? Et qui allait remporter le défi, ces jeunes enfants sans défense, ou Axerik ?

Ils allaient bientôt le savoir.

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