La Princesse d'Axerik

Chapitre 22 : Où est-elle ?

2900 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 02:34

La vie est vraiment difficile.

Généralement, on ne s’en rend compte qu’une fois ayant atteint l’âge adulte. Mais quand on est un enfant qui doit faire face à une situation vraiment difficile sans la présence d’une grande personne qui subira tout pour nous, alors on comprend d’une certaine manière que la vie n’est pas aussi facile qu’on le croyait.

C’était exactement ce qu’ils étaient en train de subir.

Luke entra dans sa cabine et ferma la porte. Il savait très bien qu’il n’allait pas pouvoir dormir, qu’il allait encore passer une nuit blanche. Franchement, il en avait plus qu’assez ! S’il entendait le mot « Axerik » encore une fois, il aurait éclaté devant la personne l’ayant prononcé. Quelque part, c’était mieux comme ça. Ils allaient partir de ces lieux maudits, oublier cette île, son fondateur et sa Princesse.

Janice… pensa-t-il alors qu’il jetait son cartable nonchalamment sur son lit. Qu’est-ce qui lui arrive ? Si nous partons, que va-t-il lui arriver ? Est-elle destinée à tenir ce rôle de Princesse pour l’éternité ?

Il enleva sa casquette qui alla vite rejoindre le vieux cartable marron. À force de courir, de marcher, d’aller d’un endroit à un autre pendant toute la journée, ses cheveux étaient complètement en bataille. Ce n’est pas pour autant qu’il y pretta attention.

Et Clive, se laissa-t-il à nouveau emporté par ses pensées. Il va rester ici, et s’il lui arrivait quelque chose ? Peut-être que Virginia nous mentait… peut-être qu’Axerik va vraiment lui faire du mal…

Ce n’étaient pas les sujets d’inquiétude qui manquaient. Et Luke voulait, non, Luke avait vraiment besoin de se changer les idées. Car la décision était prise et il était trop tard pour se mettre en question.

Son regard tomba sur la valise du professeur qui était posée devant la table. L’autre jour, lorsqu’ils avaient inspecté son contenu, Luke avait proposé de la garder dans sa chambre. Il savait que garder un souvenir du professeur aussi proche de lui allait lui causer une certaine souffrance, mais en même temps, il sentait que c’était à lui de s’acquitter de cette tâche et de garder les affaires de son mentor.

Il l’ouvrit, la fouilla un peu puis, d’une main tremblante, saisit le fameux journal du professeur. Combien de fois l’avait-il vu écrire dessus ? Luke pouvait encore voir l’image du professeur prendre son stylo et noter les dernières nouveautés de leurs enquêtes.

Professeur, depuis que vous êtes parti, les aventures ne sont plus aussi passionnantes qu’elles étaient. Elles sont juste amères et terriblement difficiles. Pas difficiles comme une énigme qu’on ne peut pas résoudre… non… difficiles comme la douleur, la peine, et la peur… la peur insupportable.

Une larme glissa sur la joue du jeune garçon. Penelope avait raison, il n’était rien d’autre qu’un gamin. Il n’avait même pas pu sauver ses amis.

Il avait laissé le professeur mourir. Il avait laissé Flora souffrir sans se soucier d’elle. Penelope avait frôlé la mort. Janice était peut-être en danger elle aussi. Il avait même abandonné Clive sur l’île.

Il n’avait même pas pu se sauver lui-même. Si ce n’était pas la Princesse qui avait décidé de les aider, il serait mort ainsi que tous les autres.

Luke prit le journal. Il éteignit la lumière et alluma la lampe de chevet. Puis, s’assoyant sur le bord de son lit, il se plongea dans la lecture de ce dernier.

La dernière fois, il avait lu avec les autres la dernière page, celle qui parlait de l’aventure en cours, et avaient découvert que des pages avaient été déchirées. Mais cette fois-ci, ce n’était pas ça que Luke voulait lire. Il voulait juste lire les entrées des aventures précédentes. Se rappeler de l’époque où il pouvait encore dire qu’il était heureux.

Il commença à la première page, et se laissa absorber par les événements qui lui étaient très familiers. Se dire que le professeur avait écrit ses mots, c’était un peu bizarre mais étrangement réconfortant et gênant à la fois.

Et il lut.

Toutes ces histoires, il en connaissait le dénouement, mais lire les questions que le professeur posait était vraiment intéressant. Se dire qu’à cet instant on ne savait pas une chose que maintenant, on sait parfaitement.

« Nous étions complètement loin de la vérité », ou « Non ! Nous n’aurions pas dû faire ça ! » Ce genre de pensées traversait la tête de Luke alors qu’il lisait. Il se dit que si lui tenait un journal intime, il pourrait le lire dans le futur et rire de la bêtise dans laquelle il sombrait dans le présent.

Si seulement Clive était vraiment le moi du futur. Il m’aurait dit quelle sera l’issue de cette histoire.

Alors qu’il se perdait dans sa lecture et ses pensées, il se rendit soudain compte que quelqu’un frappait à sa porte. Il frissonna à l’idée que ce soit Axerik venu le tuer avant qu’il ne prenne fuite, mais il se rappela de ce que lui avait dit Clive un peu plus tôt.

« Je doute qu’Axerik ait besoin qu’on lui ouvre la porte. »

Il ne put s’empêcher de rire de lui-même. Cet Axerik était devenu une véritable psychose pour lui.

Mais il était tout de même très tard. Qui donc viendrait le voir aux environs d’une heure du matin ?

Glissant rapidement le journal sous son oreiller, il accourut vers la porte et demanda prudemment qui c’était.

Une voix rauque vint de l’autre côté de la porte.

« C’est Penelope. Ouvre donc. »

Ses yeux s’écarquillèrent et il lui ouvrit la porte. Il voulait lui faire une remarque comme quoi elle venait toujours le voir à des heures impossibles, mais dès qu’il la vit, la remarque se mourut d’elle-même et il ne put rien dire.

La jeune fille était dans un état surprenant. Non seulement elle était plus pâle qu’elle ne l’avait jamais été, mais même ses vêtements et ses cheveux étaient complètement en désordre. Elle n’avait pas son air sarcastique et un peu fier comme d’habitude ; elle semblait plus… perdue ?

Et entre ses bras maigres, elle serrait le vieux livre gris.

« Qu’est-ce qui t’arrive ? » Demanda Luke, choqué.

« Je peux entrer ? » Même sa voix était différente. Pas de remarque méchante, pas de « gamin ». Juste une voix fatiguée et affaiblie.

« Euh… oui, bien sûr. »

Il s’écarta et elle entra. L’éclairage était assez faible dans la chambre de Luke, et il ne songea même pas à allumer la lumière. Cela suffisait parfaitement comme ça. Rien que la faible lumière de la lampe de chevet lui avait permis d’en voir assez.

« Qu’y a-t-il ? » Demanda-t-il encore, cette fois-ci avec un ton plus inquiet que choqué.

Elle se retourna vers lui.

« Luke, c’est ma mère qui m’a sauvée. »

Ce n’était même pas une question, et il ne sut quoi dire.

« Je sais que vous trois me mentez. Je voulais que tu le saches. »

Les yeux de Luke s’écarquillèrent, mais il répondit rapidement.

« Qu’est-ce que tu racontes ? C’est Clive qui… »

Elle coupa la parole.

« Non, ce n’était pas Clive », hurla-t-elle. « C’était ma mère. Je l’ai vue de mes propres yeux ! 

-Arrête de crier ! Sais-tu quelle heure il est ? Et arrête de dire des bêtises, tu t’es juste fait une illusion à cause du gaz. »

Penelope serra les poings par-dessus son livre alors qu’une vive colère venait se mêler à l’expression qui était déjà présente sur son visage.

« J’ai aussi entendu une voix avant même de respirer ce gaz. C’était la voix d’une femme, pas celle de Clive. »

Luke soupira.

« Arrête, Lopy. Tu es juste stressée par les derniers événements. Va te reposer et demain tout ira bien. »

Elle secoua la tête.

« Non. Pas avant que tu ne m’ais dit la vérité !

-Mais puisque je te dis que la vérité c’est que c’est… »

Elle lui coupa la parole encore une fois.

« C’était ma mère. »

Luke croisa les bras et lui lança un regard lourd.

« Puisque tu es si sure de toi-même, alors pourquoi me poser la question ?

-Tu ne comprends vraiment rien, n’est-ce pas ? Je n’en ai que faire, de tes aveux. Je veux que tu me dises où elle est ! »

Luke sursauta. Il ne s’attendait pas vraiment à ça.

« C’est elle qui m’a sauvée, mais quand je me suis réveillée, elle n’était plus là et vous êtes venus en me racontant un vil mensonge qui n’avait aucun sens. Je veux savoir où elle est. Dis-moi où elle est ! »

L’état de détresse dans lequel elle se trouvait, son regard inquiet et confus… Luke ne savait pas comment il devait lui expliquer les choses.

« J’ai pensé aller la chercher moi-même, mais ensuite j’ai bien réfléchi. Si vous me mentez, c’est qu’il lui est arrivé quelque chose. Peut-être qu’elle n’est même plus en vie à cette heure-ci. Je n’ai pas voulu aller voir Flora, je savais qu’elle aurait pitié de moi et me cacherait la réalité pour ne pas m’attrister, mais toi, je sais bien que ça t’est égal, alors dis-moi ce qui est arrivé ! Dis-moi où est ma mère ! »

Elle parlait à nouveau d’une voix assez élevée, mais cette fois-ci, Luke oublia même de la faire taire. Il était surpris. Surpris qu’une fille comme Penelope puisse se faire autant de souci pour quelqu’un. Elle lui avait déjà dit que Claire et Bruno étaient très importants pour elle, mais il ne s’attendait pas à voir une personne aussi glaciale que Penelope se mettre dans un tel état.

« Lopy, tu devrais vraiment te calmer. »

Elle baissa la tête.

« Bon. Si tu ne veux pas me le dire, j’irai la chercher moi-même. »

Elle avança quelques pas. Luke l’arrêta aussitôt.

« Mais tu es folle ? Il y a dehors un horrible spécimen qui veut à tout prix nous tuer, et toi tu comptes sortir ? Tu veux lui offrir un cadeau ? »

Elle leva vers lui un regard fatigué.

« Tout ce que je veux, c’est trouver ma mère.

-Tu ne la trouveras pas ! Ta mère est morte. »

La réponse de Luke surprit Penelope.

« Quand ? » Demanda-t-elle.

« Quand ?

-Oui, quand est-elle morte ? Il y a dix ans ? Il y a quelques mois ? »

Elle le regarda avec colère.

« Aujourd’hui ? »

Luke se tut. Insister plus ne servait à rien. Penelope était trop têtue ; pire, elle était déjà convaincue qu’elle avait raison.

Et elle avait raison.

« Bon », lui dit-il un peu à contre-cœur. « Je sais que je vais le regretter, et que tu vas le regretter toi aussi, mais je vais te raconter ce qui s’est passé. »

Elle se calma tout d’un coup, arrêta de trembler, et le regarda avec curiosité.

« Mais j’ai deux conditions.

-Je ferai tout ce que tu voudras. »

Tout ce que tu voudras. Il aurait pu lui dire de ne plus jamais le traiter de gamin, de lui demander si elle ne cachait rien du tout, mais il savait bien que ce n’était pas le moment de réfléchir comme ça et surtout, que c’était absolument mesquin de chercher à tirer profit d’une telle situation.

Ses conditions étaient d’une autre nature.

« La première, promets-moi que tu sauras te contrôler. Qu’une fois que tu sauras l’histoire complète, tu ne feras pas de crise comme celle que tu viens de faire à l’instant. Je peux comprendre que tu sois triste, mais essaie au moins de te contrôler, et surtout, abandonne cette idée de quitter le bateau.

-C’est d’accord.

-La deuxième, ne dis à personne, surtout pas à Flora, que c’est moi qui te l’ai raconté.

-C’est d’accord. »

 

Luke s’avança vers son lit et se rassit. Penelope, elle, resta debout. Elle ne dit rien d’autre et s’apprêta à recevoir ce qu’il allait dire.

Il savait qu’il faisait une bêtise. Il n’aurait pas dû. Rien que l’idée que sa mère puisse être (encore) morte mettait Penelope dans un tel état. Qu’allait-elle faire si elle apprenait toute l’histoire ?

Mais il se disait qu’il valait mieux qu’elle soit triste pour quelques jours plutôt que de vivre encore plus dans l’ignorance. De toute façon, elle allait l’apprendre tôt ou tard ; il valait mieux que ce soit maintenant.

Fermant les yeux, il se remémora les événements qui s’étaient passés quelques heures plus tôt.

Pardonnez-moi, Claire.

 

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