La Princesse d'Axerik

Chapitre 23 : La victime du jeu de survie.

5571 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 08/11/2016 11:34

Elle rattrapa la jeune fille qui venait de tomber, et la regarda avec une certaine inquiétude. Celle-ci semblait presque inconsciente, et ses yeux commençaient à se fermer tous seuls. Juste avant qu’elle ne s’évanouisse, elle prononça un mot qui ne manqua pas de choquer la jeune femme qui la tenait dans ses bras.

« Maman… »

Son regard trembla. Si la jeune fille n’avait pas immédiatement perdu connaissance, elle n’aurait su comment réagir à l’instant.

Elle ne s’attendait pas à ce qu’elle puisse la reconnaître.

Sautant par-dessus la fenêtre, Luke et Flora accoururent vers eux. Les deux enfants ne savaient pas ce qui devait les surprendre le plus : l’attaque soudaine d’Axerik, le sauvetage, ou l’identité du sauveur…

« Vous ! » S’exclama Luke, stupéfait. « Mais… c’est impossible ! »

La jeune femme qui se tenait devant eux était, en effet, Claire. Claire qui était morte deux fois, et qui, bizarrement, était encore là.

« Ne restons pas ici », se contenta-t-elle de répondre. « C’est trop dangereux. 

-Mais comment…

-Je vous expliquerai plus tard. »

Elle se leva, portant sa fille dans ses bras, et leur fit signe de la suivre. Ils sortirent par la porte et, étrangement, il n’y avait aucun garde.

Mais ça, bien sûr, c’était le dernier de leurs soucis.

Claire. Elle apparaissait comme ça, comme une héroïne venue de nulle part. C’était beau, certes, la personne que vous croyez morte et qui reviens de nulle part vous sauver dans une situation dangereuse, mais ça n’avait aucun sens !

Avait-elle survécu une seconde fois ? Si c’était le cas, alors pourquoi n’était-elle pas apparue avant ?

Luke et Flora ne comprenaient plus rien. Il ne leur restait plus qu’à attendre les explications de Claire elle-même.

 

Une fois dehors, ils s’arrêtèrent un instant pour reprendre leurs souffles. Luke jeta un regard sur la jeune femme.

Il n’y avait pas de doute ; c’était bien Claire qu’il avait vue, six mois plus tôt. Avec ses cheveux roux bouclés et sa mèche qui tombait sur le côté gauche de son front, ses yeux bruns, son air aimable malgré la difficulté de la situation… non, franchement, même si, logiquement, c’était impossible que ce soit Claire, c’était impossible que ce soit quelqu’un d’autre aussi.

Au moment où il allait parler à nouveau pour la presser de s’expliquer, il fut interrompu par quelqu’un qui les appelait.

« Luke ! Flora ! »

Clive, essoufflé, courait vers eux.

« Oh mon Dieu ! En voyant le soleil se coucher, j’ai vraiment eu peur qu’Axerik se soit attaqué à vous, et je ne savais même pas où vous étiez. Vous allez bien ? »

Il les inspecta du regard.

« Qu’est-il arrivé à Penelope ? »

Flora jeta un regard attristé vers son amie.

« Axerik s’est attaqué à elle. Heureusement, elle a été sauvée par… cette femme. »

Clive regarda la femme qui avait sauvé Penelope, et se rappela soudain d’elle. Comment aurait-il pu l’oublier ? Elle avait été la seule personne à avoir eu pitié de lui au moment où il avait été le plus mauvais de sa vie.

« Mais vous êtes… »

Clive ne savait pas son nom ; il ignorait même le sort qu’elle avait subi. Tout ce qu’il savait d’elle, c’était qu’elle l’avait secouru un jour.

La jeune femme leva le regard alors vers les trois personnes qui l’observaient avec surprise.

« Je sais que je vous dois des explications à tous », leur dit-elle en masquant une inquiétude apparente avec un sourire. « Mais j’aimerais d’abord emmener ma fille en lieu sûr.

-Votre fille ? » S’étonna Clive. « Vous êtes la mère de Penelope ? »

Elle hocha la tête.

« Eh bien allons chez moi », suggéra-t-il. « Je ne sais pas si c’est vraiment un endroit sûr, mais je ne vois pas d’autres endroits où on pourrait se réfugier. 

-Bon. »

~~~~~~~~~~~~~~

La nuit était déjà tombée. Il faisait plutôt froid et l’animation qui caractérisait l’île pendant la journée disparaissait tout d’un coup.

C’était comme si Axerik ne révélait sa véritable face qu’une fois la nuit installée.

Dans la maison de Clive qui se situait dans un coin plutôt isolé, nos protagonistes se retrouvaient enfin dans un endroit où ils pouvaient se sentir plus ou moins en sécurité. Ils savaient cependant que ce n’était pas le cas. Que s’il l’avait voulu, Axerik aurait pu les attraper n’importe où. Même ici.

Mais ils n’avaient pas trop le choix.

Claire posa son enfant sur l’un des sofas du salon. Les meubles n’étaient pas de très grande qualité, mais en moins, ils pouvaient toujours servir.

Puis, se retournant vers les trois autres, elle leur adressa un petit sourire.

« Je suis désolée d’avoir semé autant de confusion », leur dit-elle. « Je sais que vous avez assez de problèmes comme ça… et que mon apparition ne fait qu’empirer les choses. J’aurais souhaité qu’il e fut autrement, mais… je n’avais pas le choix. »

Ils pouvaient comprendre. Si elle n’était pas intervenue, Penelope aurait été tuée.

« Comment se fait-il que vous soyez encore en vie ? » Lui demanda Luke, ne pouvant patienter davantage.

« Comment ? C’est grâce à Hershel, et à Penelope aussi, j’imagine. »

Hershel ? Mais qu’avait fait le professeur ?

« Disons… que le jour où je suis repartie vers mon époque, il m’avait comme retenue un peu. Lorsque mon corps a commencé à devenir instable… c’était le moment pour moi de partir. Pourtant, il m’a retenue en continuant de me parler si bien que… »

Clive ne comprenait pas vraiment de quoi elle parlait, mais il se doutait que ce n’était pas le moment de l’interrompre en posant des questions. De plus, il pouvait plus ou moins deviner.

« Si bien que… lorsque je suis revenue au passé, mon époque, je suis arrivée quelques secondes après l’explosion. C’étaient les secondes en plus que j’avais passées dans le futur. Une sorte de décalage, vous voyez ? »

Ils hochèrent la tête, bien que surpris par le fait que ce soit aussi simple que ça.

Oui. Claire devait revenir à un certain moment, mais, d’une certaine manière, elle avait pu rester dans le futur un peu plus, et est donc arrivée au présent avec le même décalage, c'est-à-dire, après l’explosion. Elle avait survécu.

« J’ai vite fui l’endroit avant que l’incendie ne dévore tout, et ainsi, j’ai survécu. »

Flora porta son regard sur Penelope qui dormait paisiblement sur le canapé. Elle ne le savait pas encore. Elle ne savait que son plan avait en fait marché.

« Tout cela est grâce à Hershel », termina Claire d’une voix un peu triste. « C’est aussi grâce à Penelope. Je sais tout ce qu’elle a fait pour moi… »

À en juger par son regard, par le fait qu’elle ne leur avait pas demandé où était le professeur, ils devinaient qu’elle était au courant pour sa mort.

Personne ne dit plus rien. La réapparition de Claire était censée être une bonne chose, sauf que l’ambiance était plutôt morose. Ce n’était la faute de personne ; la situation dans laquelle ils étaient n’était pas des plus joyeuses.

Claire porta un regard mélancolique sur sa fille. S’assoyant à côté d’elle, elle caressa ses cheveux d’une main tremblante, tandis que son autre main essuyait les larmes qui commençaient à se former dans ses yeux.

Remarquant l’atmosphère chagrine qui commençait à s’installer, Clive décida d’intervenir.

« Vous voulez manger quelque chose ? » Demanda-t-il à ses amis. « Vous devez avoir faim.

-Ah, ça, oui ! » S’exclama Luke alors que son visage retrouvait le sourire. « Je meurs de faim. »

Lorsque vous avez une journée pour résoudre une énigme qui vous coûtera votre vie en cas d’échec, vous arrêter pour manger est la dernière chose à laquelle vous pensez. Alors, oui, ils avaient tous très faim désormais.

« Très bien. Prenez place à table, je crois qu’il me reste encore un peu de nourriture. »

 

Ils s’attablèrent tous les quatre et mangèrent en silence. Claire avait dit qu’elle n’avait pas très faim, mais face à l’insistance des autres, elle accepta de se joindre à eux. Le silence était dû en grande partie à la faim qui les dévorait ; ils mangeaient sans trop penser à s’arrêter pour parler. Mais il n’y avait pas que ça.

Quand on apprend quelque chose d’aussi surprenant que ce qu’ils venaient d’apprendre, il est normal de se poser des centaines de questions.

Claire avait survécu. C’était déjà arriver une fois, dans le passé, sauf que cette fois-ci semblait si différente. Elle était si… parfaite.

Elle a survécu, tout simplement, si facilement. Une raison simple comme bonjour. Pas d’instabilité moléculaire, pas de corps qui cherche à retrouver son époque. Aucun problème.

Et le plus surprenant, c’était ce timing parfait. Selon ce qu’elle racontait, elle serait en vie depuis maintenant près de dix ans. Pourtant, elle n’apparaissait qu’au moment parfait, lorsque quelqu’un menaçait sa fille, pour venir la sauver. Si elle les avait rejoints plus tôt, elle aurait été avec eux lors de l’attaque et n’aurait rien pu faire. Si elle les avait rejoints plus tard, Penelope aurait été déjà morte.

C’était bien trop parfait.

« Je peux vous poser une question ? » Lui demanda tout d’un coup Luke en posant sa fourchette.

 Claire tourna la tête vers lui.

« Oui, bien sûr.

-Qu’avez-vous fait, ensuite ? Je veux dire, durant les dix dernières années ? »

Claire posa à son tour sa fourchette, et garda le silence un bon moment avant de répondre.

« J’ai vite compris ce qui m’était arrivé, mais je ne savais pas encore si j’allais survivre. Je ne savais pas si on pouvait considérer ce qui m’est arrivé comme étant un voyage temporel ou non. Et donc, je ne savais pas si l’instabilité moléculaire allait se manifester à nouveau ou pas. Comme il n’arrivait rien, j’ai décidé de reprendre le cours de ma vie. »

Elle fixait son plat avec un regard vide.

« Cela faisait un bon moment que j’avais repris la mémoire, et ce, avant même la première explosion. Je savais que j’avais une fille, mais je ne savais plus ce qu’elle était devenue. Alors j’ai décidé de la chercher, et j’ai fini par la retrouver. »

Elle redirigea le regard vers Luke.

« Pour répondre à ta question, Luke, j’ai passé les dix dernières années à observer ma fille. De loin, bien entendu. Je voulais m’assurer qu’elle allait bien, qu’il ne lui arrivait rien de mal. Et puis, j’ai su pour tout ce qu’elle a fait pour moi. Chaque jour, je la suivais, je la regardais de loin, je veillais à son bien-être. Je n’avais qu’elle dans la vie… et puis le jour est venu où j’ai dû intervenir pour la sauver d’un danger imminent. Je suis intervenue. Voilà ce qui s’est passé aujourd’hui. »

La réponse de Claire ne manqua pas de les déstabiliser, mais Flora posa aussitôt la question qui les intriguait tous.

« Comment cela ? Pourquoi la surveiller juste de loin ? Pourquoi n’êtes-vous pas allée la voir, lui parler ? Lopy était si seule et souffrait tant de la perte de sa mère, alors que sa mère était en vie… Pourquoi vous êtes-vous tenue en retrait pendant dix ans ? Et si elle n’avait jamais été en danger, l’auriez-vous laissée vivre toute sa vie sans jamais lui révéler la vérité ? »

Claire ne fut pas surprise par cette question. Un petit sourire se dessina sur son visage, mais c’était un sourire triste.

« C’est car je n’avais pas trop le choix. »

Ils ne comprenaient pas trop ce que cela voulait dire, mais au lieu de poser des questions, ils préférèrent écouter la suite.

« J’ai fait des recherches sur mon état, et j’ai compris que ce qui m’était arrivé n’était pas vraiment un voyage temporel, vu que j’étais revenue essentiellement à mon époque. Mais en y réfléchissant bien, je suis arrivée à une conclusion très logique. »

Claire prit son verre et but une gorgée d’eau.

« J’étais bien en vie, et il n’y avait aucun risque d’instabilité moléculaire, mais si je réapparaissais dans la vie de Penelope, ou de n’importe quelle autre personne qui me connaissait, alors que se passerait-il ? »

Luke essaya de deviner, mais il ne voyait vraiment pas. Enfin, Claire n’attendait pas vraiment une réponse. Elle continua.

« Pour toutes ces personnes, j’étais déjà morte, et un futur était en train de se construire à partir de ce point. Tout ce qui s’est passé depuis ma mort jusqu’à aujourd’hui, il aurait été différent, ne serait-ce qu’un petit peu, si Claire n’était pas morte. Alors si Claire est vraiment en vie, et que nous vivons pourtant dans un futur qu’on a construit en la considérant morte, n’y a-t-il pas une sorte de paradoxe qui se crée ? »

Ils ne comprenaient vraiment plus rien.

« Je vous donne juste un exemple. Si j’étais apparue dans la vie de Penelope, alors est-ce que son plan qu’elle a mis au point pour me sauver aurait un sens ? Aurait-elle une raison pour chercher à me sauver si je vivais avec elle ?

-Non, bien sûr.

-Mais si ce plan n’est pas mis en exécution, alors je ne pourrais jamais être en vie. Hershel ne m’aurait pas croisée à nouveau ; il ne m’aurait pas retenue ; et donc, je serais revenue pile au moment de l’explosion et je serais morte. »

Leurs visages affichaient l’expression d’une personne qui commence à comprendre.

« Vous voyez ? Je serais en vie alors que je serais censée être morte. C’est un paradoxe. »

Le voyage temporel avait cet énorme inconvénient. Il créait des paradoxes qu’aucune logique ne serait capable d’expliquer.

« Et ce n’est qu’un exemple qui pourrait s’appliquer sur n’importe quoi. Les dix ans qui séparaient mon époque du futur dans lequel je suis apparue, puis toutes les années qui viendront après. Toute cette période considère Claire comme étant une personne décédée, et cette mort affecte certains événements. Alors, si Claire apparaît à nouveau dans les vies des personnes qui ont été affectées par sa mort, cela créera un paradoxe qui, incontestablement, conduira à un seul résultat… »

Les trois autres regards étaient fixés sur elle.

« La personne qui cause ce paradoxe sera reconduite immédiatement vers son tout premier sort. Dans mon cas, c’est la mort. En fait, ça a le même effet que l’instabilité moléculaire dont j’étais si heureuse de m’être débarrassée. »

Un très lourd silence suivit la déclaration de Claire. Un silence qui ne fut rompu que par Claire elle-même.

« J’étais condamnée à vivre le reste de ma vie sans parler aux personnes que je connaissais avant. Une vie aussi âpre n’était pas bien meilleure que la mort, et j’aurais pu choisir la deuxième… sauf que j’avais un devoir à accomplir. »

Claire essuya ses yeux avec ses deux mains.

« J’avais une fille, et je devais veiller sur elle. J’ai alors décidé de vivre pour elle. Peut-être que je ne pouvais pas lui parler ou entrer dans sa vie, mais je pouvais toujours l’observer, et attendre le jour où elle aura vraiment besoin de moi. Un jour comme aujourd’hui. »

Une expression de choc se dessina aussitôt sur le visage de Luke, Flora et Clive. Est-ce que cela voulait dire que…

« Je ne sais plus trop combien de temps je vais tenir », leur dit la jeune femme en fixant tristement son assiette. « Aujourd’hui, j’ai causé ce paradoxe, et je vais finir par disparaître tôt ou tard… »

Une larme glissa le long de sa joue et s’écrasa sur la table.

« Je suis morte tant de fois que ce n’est même plus une mort originale », dit-elle en leur offrant un sourire, sans doute dans le but de les rassurer.

Mais ça se voyait que c’était forcé.

« Vous avez tant sacrifié pour elle », murmura Luke, qui se sentait vraiment ému par ce qu’elle venait de dire.

« Tu ne sais pas tout ce qu’une mère serait capable de faire pour son enfant », lui répondit-elle simplement.

Oui, il ne le savait pas. Il savait que personne ne pouvait aimer quelqu’un plus que sa mère ne le ferait. Mais jusqu’où irait l’amour maternel ? Il ne le savait pas. Sans doute très loin.

Claire se leva. Elle remercia Clive pour la nourriture, puis alla s’asseoir à nouveau près de sa fille.

« Je ne sais pas trop combien de temps il me reste à vivre, mais j’espère que je vivrai assez pour pouvoir lui parler. Mais, s’il vous plaît, si jamais je venais à disparaître avant qu’elle ne se réveille, alors ne lui racontez pas tout de suite ce qui s’est passé. Ça ne servira à rien. Attendez au moins que vous soyez rentrés en Angleterre et que les choses se soient calmées. »

~~~~~~~~~~~~~~

Luke leva le regard vers Penelope qui était toujours debout. Il lui avait tout raconté comme ça c’était passé, repassant toute l’histoire dans sa mémoire. D’une voix prudente, il lui demanda.

« Tu devines la suite ?

-Oui. »

Luke soupira.

« Elle nous a dit qu’elle ne pouvait plus tenir plus longtemps, et nous a demandé de l’emmener à l’endroit où le professeur a été enterré. Elle nous a dit qu’elle était heureuse de rejoindre le professeur, et puis elle a disparu. »

Luke termina, comme pour lier le tout à la fin que Penelope connaissait.

« Lorsque nous sommes revenus, tu t’étais levée. »

Et il ne dit plus rien. Ce qui était difficile, ce n’était pas la mort de Claire, mais surtout les conditions dans lesquelles elle arrivait.

« En gros », lui dit Penelope d’une voix troublée par l’émotion. « Tu es en train de me dire que non seulement j’ai nourri une haine démesurée envers le professeur alors qu’il avait réussi dans la dernière étape de mon plan, mais qu’en plus, la véritable cause de la mort de ma mère, c’est moi ? 

-Oui. Elle est morte parce qu’elle t’a sauvée. »

Il ne pouvait pas lui mentir. Claire leur avait demandé de ne rien raconter, mais Penelope avait insisté, alors elle saurait tout.

Il observa sa réaction non sans une certaine surprise. Il s’était attendu à ce qu’elle s’effondre, à ce qu’elle explose en sanglots. Elle venait d’apprendre que sa mère avait été en vie, qu’elle n’était morte qu’aujourd’hui, et par sa faute. Elle venait de découvrir qu’elle allait tuer quelqu’un qui l’avait aidée. Elle venait de découvrir qu’elle avait été si proche de la personne la plus précieuse pour elle, mais qu’elle n’avait pas pu la voir ni lui parler.

Sauf que Penelope restait calme. Calme n’était peut-être pas le mot. Elle était plutôt pétrifiée. Ses mains tremblaient, son regard aussi. Mais aucune larme ne se montra, et elle ne dit rien, se contentant de fixer le sol, la bouche légèrement entrouverte.

« Lopy… » L’apostropha Luke. « Est-ce que ça va ? »

La jeune fille leva vers lui un regard fatigué.

« Je ne me suis jamais sentie aussi mal de ma vie. »

Ses mots le surprirent.

« Tu n’as pas l’air bien triste.

-Dois-je te rappeler comment tu as réagi le jour de la mort du professeur ? »

Cette réponse le prit au dépourvu. Le jour de la mort du professeur, il n’avait même pas pu pleurer tant il était choqué. C’étaient ces quelques instants où le chagrin est trop fort pour qu’une expression humaine ne puisse jamais le traduire. Ça l’avait surpris, car il comprenait parfaitement ce que cela voulait dire.

« Je suis vraiment désolé », dit-il en baissant la tête. « Je n’aurais pas dû te raconter cette histoire maintenant. »

Mais Lopy secoua la tête.

« Non. J’avais besoin d’entendre ça. »

Elle serra les dents tout en combattant les larmes qui commençaient à apparaître dans ses yeux.

« Luke, merci de m’avoir dit la vérité. »

Sa voix était faible, très faible.

« Je dois t’offrir quelque chose en échange.

-Ce n’est vraiment pas nécessaire », répondit le jeune garçon en observant son état.

« Si tu voyais ce que j’allais te donner, peut-être que tu changerais d’avis. »

Elle avança jusqu’à lui et posa le gros livre gris sur le lit. Il était si lourd qu’il était impossible de le tenir d’une main pour l’ouvrir en étant debout.

« Qu’est-ce que tu fais ? » Lui demanda Luke en la regardant feuilleter rapidement le vieux journal intime.

« Tout à l’heure, alors que je le lisais, j’ai trouvé à l’intérieur une feuille… qui n’était pas là avant qu’il ne soit volé. »

Les yeux de Luke s’écarquillèrent.

« C’est Mildred Brice qui l’a mis là ?

-C’est la seule possibilité.

-Elle l’a oubliée ?

-J’en doute. »

Penelope trouva la feuille qu’elle donna immédiatement à Luke. Elle n’allait visiblement pas bien, et avant même que l’apprenti du professeur ne puisse jeter un regard à la feuille, elle lui adressa la parole.

« Je suis désolée, Luke, mais je dois vraiment partir… je suis… fatiguée… j’ai besoin… »

Elle porta une main à sa bouche et ferma amèrement les yeux. Luke n’essaya pas de la retenir ; il imaginait la souffrance qu’elle vivait à l’instant, et comprenait qu’elle veuille rester seule.

Ramassant maladroitement son livre, elle se leva et quitta la cabine. Elle eut à peine fermé la porte derrière elle, qu’elle laissa ses émotions l’emporter et fondit en larmes. Elle était du genre à ne pleurer presque jamais, mais cette nuit-là, elle ne put rien y faire. Ses larmes ne voulaient plus s’arrêter.

Cette nuit-là, une personne était bien morte à cause d’Axerik, mais ce n’était pas l’une des quatre personnes que le savant avait défiées.

Le jeu de survie aura fait une victime.

~~~~~~~~~~~~~~

Luke était plutôt inquiet pour Penelope. À un instant, il a même eu peur qu’elle se suicide, mais abandonna l’idée assez vite. Penelope n’était peut-être pas la personne la plus raisonnable qu’il soit, certes, comment elle avait décidé de tuer le professeur le prouvait. Mais elle n’était pas non plus du genre à agir sans réfléchir et sur un coup de tête, comment elle avait décidé de tuer le professeur le prouvait aussi.

Avait-il bien fait de lui raconter tout ? Il ne le savait pas. Mais il savait juste une chose, elle allait devoir le savoir tôt ou tard.

Avec tout ça, il avait presque oublié la feuille qu’elle lui avait donnée. Une feuille que Mildred Brice aurait laissée volontairement dans le journal intime de Penelope après l’avoir rendu.

Pourquoi ?

Son regard se porta sur la feuille, et ses pensées changèrent aussitôt. Son sang se glaça.

Cette matière, il l’aurait reconnue parmi mille.

Cette feuille venait du journal du professeur !

Maladroit sous l’effet du choc, Luke retourna vite la feuille pour en lire le contenu. Des pages avaient étaient déchirées du journal du professeur, et lui et Penelope avaient conclu que Mildred Brice était la responsable de cet acte, et là, l’une de ses feuilles s’offrait à lui.

Il n’y avait que deux lignes écrites sur cette feuille.

Deux et pas plus. C’était donc la dernière feuille, la dernière phrase que le professeur a écrite de sa vie.

Luke pouvait s’attendre à n’importe quoi.

Sauf qu’en la lisant, il commença à regretter que cette feuille puisse exister. Ce qu’il était en train de lire… ça lui donnait juste envie de crier un énorme « Quoi ? » et de laisser sa tête exploser une bonne fois pour toutes.

Ça n’avait aucun rapport !

Il relut la phrase une autre fois pour s’assurer que ce n’était pas juste une hallucination, mais elle était encore là.

La carte maîtresse de Mildred Brice…

« Je ne sais pas exactement quelle sera l’issue de tout cela, mais je suis certain d’une chose : lorsque les Aslantes se mêlent de l’histoire, ce n’est jamais bon signe. »

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