La Lune, le Soleil, et l'Etoile au milieu

Chapitre 8 : Noir et blanc

5535 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 18:56

Dans son sommeil, Rey voit Tam. Elle le revoit tout petit, brun et timide et qui a dit ses premiers mots alors qu’elle n'était pas là. Elle revoit tous ses espoirs pour lui - Ô combien elle espérait qu’il serait normal. Juste un enfant parmi les autres.

Elle le voit tel qu’il était sur la glace - blanc de terreur. Il ne détachait pas les yeux de son bras - celui tombé à ses pieds comme un morceau de viande, et ses pensées étaient embrouillées. Il croyait que c'était de sa faute. Il avait fait venir cet homme ici. Il l’avait appelé et tout le monde mourrait.

Elle le voit tel qu’il est à présent. Tout seul. Et tout le monde lui manque épouvantablement. Les murs sont faits d’une pierre noire et luisante qui le rend claustrophobe. C'est Leia qui lui manque le plus, car c'est elle qui l’a élevé. Elle l’a vu faire ses premiers pas, a applaudi ses premiers mots, et l’a câliné à chaque fois qu’il pleurait parce que sa mère s’en allait à nouveau.

Elle voit Kylo Ren des yeux d’un enfant - haut comme les arbres et noir comme la nuit, plus un monstre qu’un homme.

“Pourquoi gâcher ton chagrin sur une telle femme?” Lui demande-t-il, la voix douce comme une caresse.

“Elle aurait fini par t’abandonner, tout comme elle m’a abandonné. Et comme ta mère t’a abandonné encore et encore.”

“Maman dit que tu es un assassin. Que tu es méchant. Que je n’ai pas besoin de toi.”

“Sais tu que ta mère est une menteuse? Qu’elle est une voleuse?” Sa voix est sereine, mais ses mots sont choisis, et fermes.

Et Tam est trop jeune pour dépasser le premier degré. “Qu’est-ce qu’elle a volé?”

Rey s'éveille avec un odieux pressentiment. Kylo va monter Tam contre elle, et avec du temps il pourrait y parvenir. Rey est consciente d’avoir laissé Tam vulnérable avec un bon nombre de raisons de la détester. Que Leia lui manque plus qu’elle est un piqûre qu’elle essaie d’oublier en se concentrant sur son entraînement.

Luke est un professeur bien plus attentionné mort qu'il ne l'était de son vivant. Lui arracher du savoir était à l'époque plus difficile qu’arracher des rires à une pierre, mais elle comprend aujourd’hui tout ce qu’il enfouissait au fond de lui. Il lui parle de son propre entraînement, ses propres erreurs et suppositions, et combien il avait dû apprendre par lui-même quand il avait réalisé qu’il était le dernier Jedi de la Galaxie.

Il avait consacré sa vie à retrouver les archives de l’Ordre que son propre père avait passé sa vie à détruire. Il ne restait que peu de choses, mais suffisamment pour donner à l'académie une nouvelle jeunesse, libérée des dogmes que l'Ordre Jedi avait accumulés comme toute institution qui traverse les époques.

“Le but d’un Jedi doit être de maintenir l'équilibre dans la Force,” lui dit-il, “et sans doute n’y a-t-il aucun mal à ressentir de la colère, de la peur ou de la passion, tant qu’elles sont équilibrées. On peut être furieux face à l’injustice, effrayé à l’idée du pouvoir que nous possédons, et passionnés dans la protection de ce qui est juste. Peut-être qu’avoir interdit à beaucoup d'être en colère ou de tomber amoureux en a livré davantage au côté obscur que ça n’en a sauvé? “

“Est-ce ce que tu as enseigné à Ben?” Demande-t-elle prudemment. “Qu’il ne doit ni aimer, ni être en colère?”

“J’ai seulement essayé de lui enseigner le contrôle,” soupire le fantôme de Luke. “Ses émotions le dévoraient. Il aime trop profondément. Il est trop effrayé. Sa colère devient trop facilement de la violence. Il n’y a pas de mal à ressentir des émotions, mais il n’avait aucun contrôle sur elles. Il est né comme ça, et ça a été exacerbé par toutes les attentes qu'il ne pouvait pas remplir… Son destin était scellé.”

“Il a fait ses propres choix,” dit Rey.

“Ses choix étaient...limités.”

De l’avis de Rey, Luke est trop indulgent, et il insiste trop pour convertir Rey à la même empathie vis à vis de Kylo Ren. Ça l’agace, et elle fait de son mieux pour l’ignorer, et se concentre à la place sur la formation elle-même et sur ses méthodes choisies pour affûter son pouvoir.

Il la guide jusqu’à une obélisque devant laquelle elle est passée à de nombreuses reprises, et explique que c'est la stèle d’un Jedi, d’une époque ancienne où l’Ordre n’était pas encore connu dans la galaxie. Ce Jedi ancestral connaît des secrets oubliés de tous.

“Et que suis-je sensée faire?” Demande-t-elle à Luke.

“Déterre le, et vois ce que tu arrives à en tirer.”

Rey s’offusque. “Il n’en est pas question! C'est complètement - il va me maudire et me hanter! Les fantômes Jedis ne sont pas une légende, figure toi!”

“Les Jedis ne sont pas très attachés à leurs restes, Rey,” lui dit-il. “Et il faudra que tu l’enterres de nouveau quand tu auras terminé. Et peut-être qu’alors tu en sauras assez à son sujet pour graver de nouveau son nom sur la pierre. Je crois qu’il préférera ça à être oublié avec le temps.”

Toujours convaincue qu’un autre fantôme bleuâtre va jaillir du sol et l’enguirlander, Rey obéit pourtant et commence à desceller, pierre par pierre, la stèle archaïque sous l'obélisque. C'est un travail harassant, et ça lui rappelle la fois à Niima où Unkar Plutt lui a fait déplacer des caisses de lurinium d’un convoi à un autre alors qu’elle n’avait que onze ans. Les pierres sont volumineuses et lourdes, et une fois empilées sur le côté, elle découvre qu’il y a plus d’un mètre de gravier noir à creuser.

“C’est dommage que les fantômes ne puissent pas aider à déplacer des trucs,” dit Luke, ce qui vraiment ne facilite pas la tâche à Rey.

Ça lui prend une journée et demie pour atteindre la couche de sable sous le gravier, et sa main droite est écorchée jusqu’au sang tandis que la gauche va perdre son beau lustrage métallique. Elle creuse le sable, poignée par poignée, jusqu'au moment où ses doigts grattent quelque chose de dur, comme du bois pétrifié.

Murmurant des excuses qui, elle l’espère, apaiseront le locataire, Rey achève de dégager du sable ce qui ressemble à un fémur humain. Elle jette un regard à Luke.

“Hum. Essaie de voir si tu ne peux pas trouver le crâne.”

Si Rey ne le connaissait pas mieux, elle aurait l’impression qu’il prenait ça comme part intégrante de son entraînement.

Réprimant un soupir, elle gratte le sable là où elle estime que doit se trouver le crâne par rapport à une jambe, et après quelques minutes trouve quelque chose de rond et volumineux.

Mais quand elle le tire du sable, il se brise en trois morceaux dans ses mains.

“Oh, Zunep de merde!” s’écrie-t-elle, regardant autour d’elle de peur d’apercevoir un fantôme rancunier.

“Ça ne fait rien.” Luke n’a pas l’air inquiet. “Prend un morceau, on se débrouillera avec.”

Rey ramasse alors le plus gros morceau du crâne, globalement une orbite et quelques dents, et le transporte délicatement vers le plateau de méditation. Luke lui demande de méditer avec, et Rey n’est pas mécontente d’avoir à faire quelque chose d’aussi relaxant après tout ce travail épuisant. Si épuisant d’ailleurs, qu’elle s’assoupit assise.

Des heures plus tard, quand une brise glaciale balaie le sommet de l’île, Rey cligne des paupières.

“Est-ce que ça a marché?” baille-t-elle.

“Peut-être qu’il faudrait essayer sans t’endormir, cette fois?” lui suggère-t-il tranquillement.

Alors elle essaie de nouveau, s’ouvrant à la berceuse de la mer et aux sensations de la Force. Elle essaie de ressentir comment la Force réagit au morceau de crâne, et elle sent qu’il a quelque chose à lui dire. Alors elle tend la main et caresse du bout des doigts la surface blanchâtre de l’os.

Sa tête s’emplit alors des images d’une vie, d’une époque où cette île était peuplée de dizaines de gens, tous humains, tous parlant une langue que Rey ne parle pas mais dont elle n’a pas besoin car les émotions sont universelles. Les huttes de pierre sont neuves et les gens vêtus de noir, et celui dont elle regarde à travers les yeux est considéré comme un grand devin.

Rey retire sa main et cherche Luke des yeux.

“Alors?” Demande-t-il.

“Ton puissant Jedi était une femme qui s’appelait Hasta,” dit Rey. “Elle a fondé ce temple.”

Luke acquiesce avec satisfaction. “Continue de méditer sur Hasta… Apprend tout ce que tu pourras auprès d’elle, et ensuite on verra ce qu’il reste du temple.”

Rey découvre donc qu’Hasta était très âgée quand elle est morte - plusieurs centaines d’années, selon Rey. Elle était clairement une Jedi de talent, mais aussi une mère prolifique, avec vingt-cinq enfants au moins. Ce qui impressionne Rey, qui considère la naissance de Tam comme une épreuve suffisante pour une vie entière. Hasta a un talent naturel pour l’enseignement, patiente et sage, et charismatique. Elle forme des centaines d’apprentis au fil de sa vie, et juste avant sa mort, elle sait qu’il y en aura un de plus, car elle a une vision de Rey déterrant son squelette à une époque où les Jedis auront tous disparu. Hasta est heureuse de partager tout ce qu’elle sait, et elle montre à Rey comment procéder.

"Va au temple, Padawan", explique-t-elle dans une langue étrange et mélodique. Demande aux pierres.

Le Temple est profondément enfoui à l’intérieur de l’île, son entrée enterrée par des milliers d’années d'érosion.

Rey la remercie, et la réinstalle dans sa tombe. Une fois chaque pierre remise en place, elle prend soin de graver le nom d’Hasta sur la stèle.

Ensuite, elle se rend à l’endroit désigné par Hasta, s’installe dans une des postures enseignées par Hasta à ses apprentis, et appelle la Force pour déplacer la montagne. Ça prend plusieurs tentatives, et pendant un moment elle a l’impression que la Force glisse entre ses doigts comme du sable fin et que le sol ne fait rien d’autre que trembler.

Puis un déclic se produit enfin dans l’esprit de Rey, et elle s’empare de la Force comme si c’était tangible, puis soulève. Le sol se soulève aussi. Des rochers, du gravier, et des pans entiers d’herbe et de mousse se déplacent, dévoilant un étroit portail creusé dans la pente de la colline. Rey laisse la terre retomber dans l’océan et suit sa curiosité par cette porte, jusque dans un tout aussi étroit couloir. Les gens devaient être plus petits à l’époque, se dit-elle en se cognant plusieurs fois le crâne sur la voûte basse du couloir, avant de déboucher dans une grande salle plongée dans l’obscurité.

C’est si calme et sombre que Rey a l’impression d’avoir pénétré dans un caveau. Il n’y a aucune lumière et étrangement, ça ne correspond pas à l’endroit. Levant les yeux, elle voit un plafond grossier très élevé, qui n’est pas fait comme le reste de la salle. Il a été construit pour enterrer cet endroit et le dissimuler, mais dans sa vision, le temple était ouvert aux éléments. C’était sa caractéristique principale.

Alors Rey s’empare de nouveau de la Force et pousse de toute sa puissance. Ses bras tremblent sous l’effort, mais elle sent que la terre accepte sa requête, et se fend. La lumière inonde la salle, et Rey continue de pousser et repousser la matière jusqu’à ce que le plafond circulaire soit totalement ouvert à l’air libre, et qu’elle sente le temple réagir, comme s’éveillant d’un long sommeil.

Luke est près d’elle lorsqu’elle termine. “C’est l’histoire de notre peuple, Rey” lui dit-il, et elle voit son émerveillement et sa vénération, à présent qu’il se tient au coeur de l’endroit qu’il a cherché toute sa vie.

“Hasta m’a dit ‘d’interroger les pierres’,” dit elle.

“Alors interroge les.”

Rey regarde autour d’elle. Le sol est parfaitement lisse et les murs sont été creusés de motifs et de symboles dans l’ancienne langue parlée à l’époque d’Hasta. Elle est surprise d’en reconnaître certains, mais son attention est attirée par deux grandes pierres dressées de part et d’autre de la salle. Un trou a été taillé dans la partie haute, à peu près à hauteur des yeux, et de la largeur de son poignet.

“Ah, et Un” dit-elle à Luke, caressant une des pierres de la main droite. “Une est la vie, l’autre la mort. La lumière et l’obscurité, toujours liées. Elles n’ont de sens que l’une avec l’autre.”

“Et que te disent-elles?”

Rey touche la pierre qui selon elle, représente la lumière, et se concentre. Elle cherche les murmures et les agrippe, les tirant à elle pour écouter la mémoire de la pierre.

C’est une erreur.

Il y a des milliers d’années de souvenirs dans ces pierres. Elles ont vu des milliers de techniques de combat, ont entendu des milliers de sermons, vu un nombre incalculable de philosophies naître et disparaître, gravées dans les murs, puis recouvertes de nouvelles idées et nouveaux modes de pensée. Tant de visages. Tant de vies. Tant de fois où la Force a régné sur ce lieu, et tant de fois où elle avait disparu, avec les occupants. Il y a eu des prophéties conçues dans cette salle. Tant “d’élus”. Une fois par millénaire environ, quelqu’un est conçu par la Force, quelqu’un dont le destin est grand, mais presque toujours sanglant. Ils balaient tout, le poing de la Force cherchant à rétablir son équilibre. Le dernier enfant de la Force apparaît, et après lui, il n’y a plus rien dans les pierres, que du sang et de l’obscurité, jusqu’à ce que la main de Rey les touche.

Enfin libérée, elle s’écroule au sol mais ne ressent pas l’impact. Elle reprend conscience avec le goût de cuivre dans la bouche et des croûtes de sang séché sous les narines.

Le visage bleuté de Luke est penché sur elle, comme celui d’un parent inquiet. “Tout va bien. Allez, debout.”

Elle voudrait qu’il soit réel, pour qu’elle puisse prendre sa main pour se relever. Toute seule, ça lui prend de longues minutes pour retrouver la force de rouler sur les genoux, puis de se redresser.

“Combien de temps suis-je restée inconsciente?”

“Toute la nuit,” dit-il. “Et avant ça, la pierre t’a possédée pendant presque toute une journée. Je propose de faire une pause.”

“Je ne peux pas faire de pause,” dit-elle, chancelant jusqu’à la pierre qui symbolise l’obscurité. “Kylo retient Tam. Je dois obtenir la puissance de les trouver, et de les sauver.”

“Quelques heures ne changeront-”

“Luke, il avait raison. Kylo avait raison. Tam est un enfant conçu par la Force, comme Anakin. Si Kylo lui met les griffes dessus, il pourrait en faire un véritable monstre. Je l’ai vu. Les Enfants de Force… ils naissent pour épurer. Je dois l’arrêter...arrêter…”

Elle tombe à genoux avant d’atteindre la pierre, et fond en larmes sincères.

Luke tend la main, et un instant elle croit sentir le réconfort de son contact.

“Rentre, et mange quelque chose. Va dormir. Tu es épuisée.”

Il a raison, évidemment, et il lui rappelle ce qui arrive aux apprentis qui n’obéissent pas à leur Maître. Quelque part, elle est soulagée qu’il lui force la main, car en arrivant à sa hutte elle est tellement à bout de forces qu’elle ne sent pas le goût du poisson qu’elle mâche machinalement avant de s’écrouler sur les couvertures et de sombrer de nouveau.

Tam emplit de nouveau ses rêves. Ses gazouillis de nourrisson la première fois qu’elle l’a tenu dans ses bras, quand elle a senti son coeur se déchirer entre amour et désespoir. Elle n’avait pas voulu d’un enfant. Elle n’avait pas voulu d’enfant de lui. Elle avait tenté de nier ce qui était en train de se passer, jusqu’à ce qu’arrivent les contractions, et à sa grande honte, elle se dit que peut-être est-elle retournée immédiatement dans le déni de son existence. Elle l’a laissé à Leia, est retournée à ses combats, et a passé des semaines sans une pensée pour la vie minuscule qu’elle avait laissé derrière elle sur Palamoor.

Elle ne méritait pas son amour. C’était criminel de voir son visage s’illuminer à chaque fois qu’elle rentrait avec un cadeau de pacotille pour consoler le chagrin de son absence. S’il savait combien elle avait tenté de l’éviter, ça aurait brisé son petit coeur, et il avait toujours été trop jeune pour s’en rendre compte.

Il lui avait fallu des années pour accepter Tam dans sa vie, et c’était arrivé quand il avait cessé d’être un bébé pour devenir un enfant. Quand il s’était assis à table avec elle et babillait pour raconter sa journée, parlant interminablement des choses qu’il trouvait intéressantes - un truc trouvé par terre, ou comment les lacets de ses chaussures se dénouaient sans arrêt. Elle ne savait pas toujours comment lui parler à son tour. Mais elle avait commencé à le considérer comme un être à part entière… pas juste le résidu d’un homme mauvais.

Ses rêves le lui montrent un peu plus âgé, comment il a perçu l’excitation dans les yeux de sa grand-mère le jour où elle l’a surpris en train d’utiliser la Force pour déplacer ses petits soldats en formation serrée à travers sa chambre. Elle voit qu’il a toujours été si sensible à la Force, qu’il savait où était Rey à tout moment, que ce soit dans la pièce à côté ou à l’autre bout de la galaxie, il l’avait toujours attendue.

Il l’attend, en ce moment. Seul, assis dans une pièce sombre aux murs lisses et aux raies de lumière rouge autour de la porte. Il ressent où elle est, et il a peur. Il va arriver quelque chose. Quelque chose qui lui rappelle la peur ressentie quand il a vu son père lui trancher le bras. Il se cache sous sa couverture et pense à Leia.

Ensuite elle rêve de choses qui ne sont pas encore arrivées. D’un homme qui s’enveloppe de noir et vit derrière un masque pour ne pas voir le sang qu’il a sur les mains. Plus personne au monde ne se souvient que son vrai nom est celui qu’elle lui a donné. Ils sont tous morts, disparus, oubliés, et il est seul.

Rey s’éveille et reste assise longtemps, le lendemain matin, repensant à sa vision, l’humeur grave. Était-ce un rêve, ou une prémonition? Elle n’a pas faim, mais elle mange quand même et se passe de l’eau fraîche sur le visage pour chasser l’obscurité de ses rêves. Elle redescend au temple, où elle trouve Luke qui l’attend pensivement.

“Sois prudente,” lui dit-il.

Elle ne veut pas renouveler l’expérience de la pierre, mais elle est décidée à faire face au pire, en tendant la main pour toucher la pierre qui représente l’obscurité.

Quand viennent les souvenirs, elle est surprise de découvrir que le côté obscur est le plus calme, le plus doux des deux. Il l’envahit, lui montrant des petits détails, là où la Lumière ne montrait que des Grandes Choses. Elle voit des gens méditer, récitant des prières, rasant le crâne des enfants, toujours en nombre équitable, toujours avec un respect équivalent.

Il y a un garçon et une fille, et le garçon est appelé par la lumière, et la fille entend les murmures de l’obscurité, et ils grandissent pour devenir un homme et une femme, et leurs enfants ne ressentent que la lumière. De même que les autres enfants. Les disciples de l’obscurité diminuent en nombre jusqu’à ce qu’ils soient rejetés et chassés, jusqu’au jour où naît une enfant sans père, et elle est imprégnée par l’obscurité. Ses disciples frappent la Lumière, et l’équilibre est rétabli dans la violence et maintenu dans un consensus sanglant. Ce n’était pas sensé se passer ainsi.

Mais la mémoire de cette pierre ne s’achève pas comme l’autre dans une immense obscurité. Elle continue au-delà. Elle la voit debout à son côté, mais il y a quelqu’un d’autre aussi. Un homme masqué attend dans l’ombre, tendant la main vers sa nuque.

Rey relâche la pierre et se retourne.

“Comment… comment m’as-tu retrouvée?” Demande-t-elle, reculant avec effroi.

Kylo Ren allume le sabre et s’avance vers elle. Luke n’est plus là, et Rey essaie maladroitement d'attraper le bâton accroché à son dos. Elle regarde avec inquiétude son bras métallique, se demandant s’il sera à la hauteur.

Sans un mot, il fait un moulinet, et Rey pare le coup, son corps entier vacillant sous la force de la frappe. Ils tournent dans la pièce, et Rey essaie de maîtriser sa peur. “Où est Tam?” Demande-t-elle, levant son sabre pour parer une nouvelle frappe puissante.

"Résiste à la peur!" Quelque chose lui parle alors qu’elle s’avance dans un rayon de lumière venant d’en haut.

Reste calme, murmure une autre voix, quand elle recule dans l’ombre. Écoute ce que te dit ta peur.

Rey déglutit et observe Kylo Ren. Il n’est pas d’humeur à faire la conversation, qu’il en soit ainsi. Peut-être a-t-il finalement décidé d’achever sa tâche, d’en finir avec la lutte pour l’âme de Tam une bonne fois pour toutes. Tout, dans son apparence, a été conçu pour intimider, et la lame tourne dans sa main, en mouvements réguliers, prête à s’engouffrer dans la moindre ouverture qu’elle laissera dans sa défense. Elle ne peut pas se permettre d’attendre son attaque. Elle feinte une attaque et change rapidement de direction, balayant très bas, forçant Kylo à reculer. Sentant qu’elle a l’avantage elle en profite, frappe vite, désespérée d’entamer sa défense.

Fais appel à la Force, suggère une voix dans son oreille.

Tu la perçois mieux que lui, confirme une autre.

Rey entend le bruit des vagues, et les vibrations de la Force autour d’elle, ressent sa façon d’onduler en réaction à des mouvements qui n’ont pas encore eu lieu, à des pensées pas encore formulées. Il va planter son sabre dans sa tête. Rey ne pare pas. Elle esquive simplement sur le côté, et ressent la chaleur de sa lame grésiller près de son oreille, et pendant une fraction de seconde, son corps n’est pas protégé.

Elle plante l’extrémité de son sabre en plein dans son coeur.

Kylo Ren ne s’écroule pas tout de suite. Son sabre grésille jusqu’à s’éteindre, et il se touche la poitrine, incrédule, puis tombe à genoux.

“Je suis désolée,” s’entend-t-elle dire.

Étrangement, il tend la main vers elle, mais pas comme le ferait un ennemi qui refuse sa défaite. Sa paume vers le haut, les doigts tremblant, suppliant. Rey, prise de pitié, s’agenouille près de lui et le laisse s’effondrer sur ses genoux. Il saisit sa main et la serre fort, comme s’il tenait à elle.

Elle ne supporte plus son masque. Elle en saisit les côtés et le retire.

Des boucles brunes roulent sur son bras, et elle contemple un visage qui lui ressemble tant. En tous points, sauf les yeux. Ce sont ceux de son père, et maintenant, ils expriment la douleur, et la trahison.

“Tam…” elle hoquette, des larmes perlant dans ses yeux. “Non - non! Qu’ai-je fait? Oh pitié, non!”

Le corps qu’elle serre contre sa poitrine n’est plus celui d’un homme mais celui d’un garçon, minuscule, et sans vie.

Ce n’est pas réel, se dit-elle encore et encore. Mais ça ne diminue pas ses larmes, parce que tout ce qu’elle craint au monde est là, devant ses yeux.

Ne t’abandonne pas à la peur, lui rappelle la voix douce. Inspire-toi d’elle. Comprend la. Comprend toi.

Rey dépose délicatement le corps de Tam sur le sol et se lève. Sa voix est brisée alors qu’elle articule.

“Ça n’arrivera pas. Je ne le permettrai pas.”

Alors tu vas devoir être plus forte.

“Alors s’il-vous-plaît… Enseignez-moi. Aidez-moi.”

Rey n’est pas bien sûre d’à qui elle parle : les fantômes des Jedis d’autrefois, les pierres elles-mêmes, ou les nuances de la Force qu’elles représentent. Ça n’a pas d’importance. Elle sait qu’ils l’écoutent et sont attentifs, et leur réponse porte le poids de l”Histoire.

Oui.

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